8. La vie de biologiste – Unité 1

Entrevue avec Dr. Michelle Tseng

Le thème de cette unité est « Causes et conséquences de la variation phénotypique ». J’ai fait cette entrevue avec la Dr. Michelle Tseng, professeure aux départements de Zoologie et de Botanique à University of British Columbia, afin d’illustrer le thème de cette unité. En effet, les travaux de son groupe de recherche combinent l’évolution, l’écologie et la physiologie afin d’étudier la réponse des organismes aux changements climatiques.

 

La vidéo est sous-titrée en anglais et en français. [CC-BY]

 

Transcription de l’entrevue

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Je m’appelle Michelle Tseng et mes pronoms sont elle / elle et je suis professeure adjointe en écologie ici à l’Université de Colombie-Britannique dans les départements de botanique et de zoologie.

Oui. J’ai commencé en Ontario. Alors, j’ai fait mon diplôme de premier cycle à l’Université de Toronto en écologie et évolution et puis je suis restée à Toronto pour faire une maîtrise, puis j’ai déménagé aux États-Unis, je suis allé à l’Université d’Indiana pour un doctorat où j’ai travaillé sur la co-évolution hôte-parasite avec les moustiques puis je suis venue ici à UBC pour un postdoc où je suis restée en quelque sorte dans l’écologie et l’évolution des maladies et j’ai travaillé sur les chenilles et les virus. Ensuite, j’ai pris une pause du milieu universitaire pour un moment et j’ai travaillé dans l’édition scientifique pendant de nombreuses années, je pense sept, huit, neuf ans, puis je suis revenue à la science en tant que chercheure associée dans un laboratoire et heureusement il y a eu une retraite ici et ils embauchaient pour un poste où j’avais de l’expertise, donc j’ai postulé et j’ai obtenu le poste, alors me voici!

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Oui, donc en général notre labo est super intéressé par comment les communautés écologiques réagissent aux changements climatiques et par changement climatique, il se passe beaucoup de choses avec le changement climatique. Des changements dans les précipitations, il y a des inondations, il y a les températures extrêmes. Nous nous concentrons principalement sur le réchauffement de la température alors comment les

communautés écologiques répondent à la température. Nous travaillons principalement sur les invertébrés, à la fois aquatiques et terrestres. Donc dans le milieu aquatique, nous travaillons sur le phytoplancton et le zooplancton. On se pose ces questions sur le phytoplancton et le zooplancton puis sur le côté terrestre on se pose ces questions chez les insectes.

Nous nous intéressons beaucoup aux écosystèmes aquatiques et donc nous savons que les océans et les lacs se réchauffent, la température de l’eau se réchauffe assez rapidement et donc dans les lacs d’eau douce la base de l’écosystème aquatique est le phytoplancton et le zooplancton et nous savons que ces organismes ont d’énormes tailles de population et des temps de génération rapides. Nous supposons donc qu’ils s’adaptent à la fois par la plasticité phénotypique et par des changements évolutifs. Donc notre objectif est d’essayer de comprendre comment ces organismes s’adaptent-ils et à quelle vitesse changent-ils en réponse au réchauffement et ensuite quelles sont les implications plus larges au niveau de la communauté de cette adaptation à la fois par plasticité phénotypique et par les changements évolutifs.

 

Donc, un exemple est avec le phytoplancton. Nous avons fait croitre une espèce de phytoplancton à différentes températures et nous supposons que parce que le phytoplancton a de plus grandes tailles de populations et un temps de génération plus rapide que le zooplancton, que le phytoplancton va, devrait évoluer plus vite face au réchauffement que le zooplancton et donc ceci créé potentiellement un décalage : ta nourriture s’est déjà adaptée au réchauffement mais tu ne t’es pas adapté au réchauffement. Donc quelles sont les conséquences de ce décalage? Et donc c’est la question à laquelle nous essayions de répondre avec cette étude particulière.

 

Nous avons donc cultivé du phytoplancton à différentes températures, pour un long moment, plusieurs générations et plusieurs mois et ensuite en même temps nous donnions ces phytoplanctons à manger au zooplancton qui grandissait aussi à ces différentes températures.

 

Donc, ce que nous avons découvert, c’est que le phytoplancton a évolué assez rapidement face au réchauffement. Qu’est-ce que ça signifie en fait? Habituellement, quand vous cultivez des invertébrés à des températures plus chaudes, quelques choses arrivent à coup sûr. L’une est qu’ils sont généralement plus petits en taille, donc nous avons vu une réponse évolutive vers des cellules de plus petite taille pour le phytoplancton cultivé à la température plus chaude. Nous avons aussi vu une réponse évolutive dans les taux de respiration, mais pas dans les taux de photosynthèse, qui est aussi plus ou moins ce que nous attendions, parce que nous savions grâce à des études antérieures que la photosynthèse évolue beaucoup plus lentement que la respiration. Ce qui était aussi vraiment intéressant c’est que lorsque nous avons nourri ces différentes lignées évolutives de phytoplancton au zooplancton, donc la lignée qui a évolué au froid et la lignée qui a évolué au chaud, le zooplancton nourri avec la lignée d’algues qui a évolué au froid a fait beaucoup mieux. Ils avaient des tailles de population plus grandes et leur propre réponse évolutive au réchauffement était plus rapide quand on les nourrissait d’algues de la lignée froide que lorsqu’ils étaient nourris d’algues de la lignée chaude.

 

C’était un résultat vraiment excitant parce qu’il montrait que cette évolution rapide chez le phytoplancton a eu des effets immédiats sur le potentiel évolutif du zooplancton et nous pensons que la raison pour ça est que lorsque vous cultivez du phytoplancton à des températures plus froides, ils fabriquent plus de ces acides gras essentiels appelés les acides gras oméga-3 et le zooplancton qui est déficient en ces acides gras a tendance à ne pas avoir autant de descendants et il grandit plus lentement et ne fait tout simplement pas aussi bien. Donc le zooplancton, ce que nous pensons ce qui s’est passé, c’est que le zooplancton qui était nourri avec ces lignés d’algues ayant évolué au froid, le zooplancton avait plus d’acides gras oméga-3 dans sa diète et il a atteint des tailles de population plus élevées. Quand on a mesuré les taux d’évolution à la fin, ils avaient en fait répondu plus rapidement au réchauffement de la température que le zooplancton qui était nourri avec les algues élevées au chaud.

 

Nous étions assez excités par ce résultat et nous avons pu publier ce résultat et puis après on a fait quelques études de suivi pour réellement mesurer les acides gras et les nutriments qui sont produits par les algues élevées au froid et à la chaleur. Nous voyons bien cet effet où le phytoplancton élevé au froid, pour plusieurs espèces en fait, le phytoplancton produit toujours plus de ces acides gras essentiels que lorsqu’ils sont cultivés à plus haute température. C’est donc le genre de réponses écologiques au changement climatique qui nous intéresse vraiment. À quelle vitesse ces changements se produisent? Donc quand les algues sont réchauffées, elles font moins de ces acides gras, mais comment, vous savez, à quel point cet effet est-il transitoire? Si vous réchauffez l’eau disons en été et ensuite la refroidissez en hiver, ils fabriqueront plus de ces acides gras tout de suite. Donc, nous essayons de penser, avec les changements climatiques, quel sera l’effet net des augmentations de la variation de température, ou des augmentations de la température moyenne sur la production globale de nutriments par cette base de l’écosystème aquatique.

 

Et une chose que j’ajouterai c’est quel est le mécanisme expliquant pourquoi le phytoplancton fabrique moins de ces acides gras quand les températures sont plus chaudes, nous pensons que c’est à cause de la fluidité de la membrane. D’autres personnes, pas notre labo, d’autres personnes, depuis des décennies, ont montré que lorsque les cellules se développent à des températures plus froides, elles ont besoin de plus de ces acides gras à longue chaîne, dont le zooplancton et d’autres organismes ont besoin, pour garder leurs membranes fluides, puis lorsque vous augmentez la température, les algues n’ont pas besoin de faire autant de ces acides gras. C’est intéressant que ces acides gras rendent les membranes plus fluides mais ils sont aussi un nutriment venant de l’alimentation. Les gras sains que vous et moi, si vous mangez du poisson, les gras sains que vous et moi obtenons du poisson viennent tous originellement du phytoplancton.

 

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Oui, donc, une chose que nous avons exploré pas mal dans notre labo est de savoir comment les interactions entre les espèces, donc par exemple les herbivores et leur source de nourriture : la daphnie et le phytoplancton ainsi que la daphnie comme proie et les insectes prédateurs comme le prédateur. Ces interactions prédateur-proie, comment ces interactions entre les espèces affectent la réponse d’un organisme au réchauffement de température. Et donc pour faire ça, pendant longtemps, nous avons essayé de faire croitre le prédateur et la proie dans le même contenant parce que nous voulons savoir comment vivre avec un prédateur affecte la capacité de la proie soit de s’adapter d’une certaine manière, on va laisser de côté le mécanisme pour le moment, de s’adapter d’une certaine manière au réchauffement de la température. Est-ce que tu as si peur d’être mangée que tu ne focusses que sur la survie? La force de la sélection est principalement sur la survie et pas tellement sur s’adapter au réchauffement de la température? C’est donc une question à laquelle nous nous intéressons depuis longtemps.

 

Donc pour faire ça, on doit cultiver le prédateur et la proie dans le même contenant pour une longue période. En général quand on fait ça, le prédateur mange toutes les proies et donc l’expérience est terminée très rapidement. Il n’y a aucun moyen de mesurer l’évolution parce que tout le monde est mort! Nous avons donc expérimenté avec différentes formes et tailles de contenants jusqu’à ce que nous en trouvions un où nous pourrions cultiver cet insecte prédateur dans le même espace physique que la daphnie. Heureusement c’était juste un pot en verre très simple de 750 mL qui était un peu plus long que large. L’insecte prédateur s’appelle Chaoborus et il est aussi appelé « le vers de verre », je pense parce qu’ils sont transparents. Ils adorent manger des daphnies, il y a de nombreuses expériences sur les interactions prédateur-proie entre Chaoborus et la daphnie. Donc, le Chaoborus dans ce récipient de 750 mL, le Chaoborus flotte en haut, puis toutes les daphnies se cachent au fond. Parce qu’il y a ce petit espace entre les daphnies et les Chaoborus, ils peuvent coexister pendant des mois et des mois et la daphnie peut se reproduire et ils peuvent avoir des bébés, en général, beaucoup de bébés meurent parce qu’ils n’ont pas encore appris à éviter le prédateur. Alors, oui, nous étions vraiment fiers de comprendre comment élever ces proies et prédateurs dans le même contenant car ça nous permet de faire ces expériences sur l’effet des interactions prédateur-proie sur les réponses au réchauffement.

 

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Il y a beaucoup de choses que j’aime à propos de mon travail. J’aime vraiment interagir avec les étudiants de bacc et les étudiants de cycles supérieurs. Je trouve que plusieurs des travaux cool de mon labo ont été menés par les étudiants de bacc et les étudiants de cycles supérieurs. En fait, les deux dernières conférences invitées que j’ai données portaient exclusivement sur la recherche faite par des étudiants de bacc dans mon labo. Presque toutes ces recherches ont été publiées. Donc, ça c’est vraiment excitant. Spécialement à cette université ci, c’est une très grosse université et nous avons une très grande taille de population d’étudiants de bacc incroyables qui sont vraiment intéressés à en apprendre plus et à obtenir de l’expérience pratique en recherche.

 

Les étudiants aux cycles supérieurs sont vraiment le fun aussi. Ils ont toutes sortes d’idées folles que nous essayons de transformer en mémoire de maitrise ou en thèse de doctorat. J’apprends beaucoup d’eux. Chacun arrive dans le projet avec une perspective différente et lorsqu’on met toutes ces perspectives ensemble, je trouve que c’est un projet plus riche qu’il le serait si c’était seulement moi assise à mon bureau, essayant d’avoir ces idées.

 

J’aime aussi beaucoup la liberté intellectuelle que nous avons. Nous avons beaucoup de flexibilité comme chercheurs et comme professeurs pour concevoir les projets et faire la recherche qui nous passionne. C’est, je crois, rare en dehors du cadre universitaire, d’avoir ce genre de liberté intellectuelle.

 

Oui, ce sont de loin les deux choses que j’aime le plus!

 

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