5. L’étude des adaptations

Introduction au sujet

Dans ce chapitre, nous plongerons dans l’étude des adaptations, qui est bien sûr un grand thème en écophysiologie évolutive. Nous allons voir comment on définit une adaptation et ensuite nous comparerons les approches que les biologistes utilisent pour déterminer qu’un trait est effectivement une adaptation. Finalement, nous verrons comment utiliser ces différentes approches.

Objectifs spécifiques

À la fin de ce chapitre, vous serez en mesure de :

  • Définir le concept d’adaptation
  • Sélectionner l’approche à utiliser afin de déterminer qu’un trait est une adaptation
  • Utiliser des observations en nature pour se renseigner sur la valeur adaptative d’un trait
  • Utiliser l’histoire évolutive d’un trait pour se renseigner sur la valeur adaptative d’un trait
  • Utiliser la méthode expérimentale pour se renseigner sur la valeur adaptative d’un trait
  • Expliquer ce qu’on peut apprendre sur les adaptations avec une expérience d’évolution expérimentale

1. L’adaptation

Lorsqu’on étudie un trait afin de déterminer si c’est une adaptation, la première chose à faire est de bien définir ce que l’on cherche. Une adaptation peut être définie comme un phénotype qui améliore la survie ou la reproduction de l’organisme, relativement aux valeurs alternatives de ce trait, dans un environnement donné [1]. Il est important de garder en tête qu’une adaptation est toujours évaluée « dans un environnement donné », car le même trait peut procurer un avantage pour le fitness dans un environnement, mais pas dans l’autre (figure 5.1).Deux phalènes du bouleau, un avec les ailes pâles et un autre avec les ailes foncées. À droite, une carte de la Grande-Bretagne où figurent des diagrammes circulaires montrant l’abondance des deux formes à différents endroits. Les diagrammes près des grandes villes et des usines montrent une plus grande abondance de la forme foncée.Figure 5.1. Exemple d’adaptation morphologique où la pollution de l’air au charbon associée à l’industrialisation a créé une pression de sélection naturelle sur le phalène du bouleau (Biston betularia). Le phalène à coloration pâle qui est la forme typique de cet insecte (« typica ») (A) a un succès plus faible que la forme foncée (« carbonaria ») (B) et est retrouvé en moins grand nombre dans les endroits où la pollution est importante, ici en 1950 en Grande-Bretagne (C). Il a été proposé que la différence de phénotype affecte la capacité de se camoufler, ce qui affecte sa détection par les prédateurs. Adapté de [2-4].

 

2. Comment déterminer qu’un trait est une adaptation

Comme biologiste, on entend souvent parler de concept d’adaptation. Par exemple, un article scientifique peut mentionner que le trait étudié dans le projet de recherche est une adaptation. Mais comment fait-on pour savoir qu’un trait est effectivement une adaptation et que ce n’est pas seulement une déclaration basée sur une intuition? Il faut vérifier que le trait correspond bien à notre définition, c’est-à-dire que le phénotype améliore la survie ou le succès reproducteur comparé aux autres valeurs du trait dans la population, dans cet environnement. Pour y arriver, on doit combiner différents types de données.

Il y a trois approches pour déterminer qu’un trait est une adaptation. Les deux premières utilisent des observations et nous permettent d’émettre l’hypothèse que le trait est une adaptation. Ce sont les observations en nature et l’histoire évolutive d’un trait. La troisième approche nous permet de tester que le trait est une adaptation, ce sont les méthodes expérimentales.

2.1. Observations en nature

Les biologistes qui étudient un organisme peuvent faire une observation en nature et remarquer qu’un certain trait, par exemple une certaine forme de feuille, est présent chez une plante dans un habitat particulier. Cette observation en nature permet d’émettre L’hypothèse que ce trait est une adaptation. Il faudra ensuite évaluer si ce trait améliore le fitness dans cet environnement. Pour ce faire, les scientifiques devront déterminer la fonction du trait (autrement dit son effet sur la performance) et son lien avec le fitness à l’aide d’une expérience de manipulation.

Les biologistes vont aussi souvent quantifier de la variation phénotypique entre les individus. Par exemple, ils vont mesurer le phénotype de différents individus et une variable qui représente leur fitness afin de découvrir une relation entre les deux (figure 5.2). Ce type d’analyse revient à estimer la présence de sélection naturelle dans la population. Nous avons vu que pour estimer le fitness, on utilise souvent des traits qui sont directement liés à la survie et la reproduction, mais aussi parfois des traits qui « estiment » ces composantes. Par exemple, on peut mesurer le nombre d’œufs d’un poisson, la survie d’une salamandre, le nombre de fleurs d’une plante, mais aussi la vitesse de croissance d’une larve de libellule ou d’une lignée de levures, etc. Si certains individus de la population ont un meilleur fitness associé à une forme d’un trait, il sera ensuite important de déterminer quel est le lien entre cette forme du trait et le fitness. Autrement dit, on se demandera ensuite comment ce trait affecte la performance de l’organisme et bien sûr quelle est l’héritabilité de ce trait.

Une image à trois panneaux. À gauche, on observe une population de souris qui se déplace dans une nouvelle région où les roches sont très sombres. La majorité des souris ont un pelage beige et quelques souris ont le pelage foncé. Les différences de couleur du pelage des souris sont dues à la présence d'allèles différents à un locus impliqué dans la coloration. On voit un oiseau de proie dans le ciel qui mange les souris. Dans l’image du centre, on observe que les souris claires sont plus mangées par les oiseaux prédateurs que les souris foncées comme elles sont plus visibles sur la roche noire. L’image de droite montre les souris après une génération où se retrouvent les souris qui survivent et atteignent l’âge de se reproduire. Comme les souris foncées ont davantage de chances de se reproduire que les souris claires, la génération suivante présente une plus grande proportion de souris foncées que la génération précédente.Figure 5.2. Observation de la sélection naturelle chez des souris basée sur la couleur du pelage [5].

 

2.2. Histoire évolutive d’un trait

Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire évolutive d’un trait, l’objectif est de comparer la forme ancestrale de ce trait avec la forme actuelle pour des individus qui vivent dans des habitats différents. S’il y a une association entre la forme du trait des individus et l’environnement où ils ont du succès, et que ce trait a évolué dans cet environnement, cela nous permet d’émettre l’hypothèse que c’est une adaptation. C’est une autre forme d’observation. Pour esquisser l’histoire évolutive du trait, il faut déterminer la forme du trait chez l’ancêtre de l’organisme qui nous intéresse en utilisant une analyse phylogénétique (figure 5.3). On peut estimer quand le trait est apparu durant l’évolution et déterminer la probabilité qu’il soit présent sous cette forme dans un ancêtre commun. On peut aussi déterminer quand un trait est disparu durant l’évolution de ce groupe. Ce genre d’information phylogénétique nous permettra de déterminer s’il y a de l’évolution convergente ou de l’évolution divergente.

Un arbre phylogénétique des ordres de poissons osseux montre que plusieurs organes électrosensoriels sont apparus ou disparus de façon indépendante et répétée plusieurs fois dans différentes lignées de poissons sur 300 millions d’années.Figure 5.3. Arbre phylogénétique de poissons à nageoires à rayons montrant l’évolution des phénotypes d’organes électrosensoriels au fil des millions d’années. Les symboles représentent les électrorécepteurs ampullaires en vert, les électrorécepteurs tubéreux en rouge et l’électrogénèse en jaune. Une croix rouge sur ces symboles indique une perte de ce type d’électrorécepteur dans la lignée évolutive. Les symboles * indiquent que toutes les lignées descendantes ont ce phénotype et les + indiquent que certaines des lignées descendantes possèdent ce phénotype. Adapté de [6].

 

2.2.1. Évolution convergente

L’évolution convergente est définie comme l’évolution indépendante du trait dans deux taxons ou plus. Si un trait évolue plus d’une fois de façon indépendante quand les populations font face aux mêmes défis environnementaux, cela suggère que le trait est une adaptation à ce défi de l’environnement. On observe chez différents taxons non directement apparentés des « solutions » qui se ressemblent face aux mêmes défis de l’environnement.

On peut confirmer l’évolution convergente si l’ancêtre commun de ces taxons (plus ou moins éloignés évolutivement) n’avait pas cette forme du trait. Autrement dit, l’origine du trait n’est pas unique. Nous pourrions par exemple étudier les différentes espèces d’animaux qui vivent en altitude et découvrir qu’ils ont des caractéristiques physiologiques qu’on ne retrouve pas dans les populations qui ne font jamais face à l’hypoxie, qui est un défi quotidien en altitude. Ici on verrait l’évolution répétée de traits similaires face au défi de l’environnement en altitude. Ce serait de l’évolution convergente.

Un exemple classique d’évolution convergente sur une échelle évolutive très grande est l’apparition d’organes respiratoires internes dans les groupes d’animaux qui ont envahi le milieu terrestre comme les escargots chez les mollusques, les insectes chez les arthropodes et les humains chez les vertébrés. On peut aussi penser à l’évolution de membres en forme d’ailes utilisés pour le vol chez différents groupes non apparentés (figure 5.4). L’évolution répétée de l’électrodétection et de l’électrogénèse chez les vertébrés en est aussi un exemple (figure 5.3), ainsi que la résistance de certains végétaux à la présence de grande quantité de fer dans le sol, ou le style de vie fouisseur accompagné de changements dans la myoglobine des muscles chez l’ordre des Eulipotyphles qui comprend des espèces de taupes, de musaraignes et de hérissons.Figure 5.4. Arbre phylogénétique représentant l’aile d’un oiseau, d’une chauve-souris et d’un ptérodactyle n’ayant pas d’ancêtre commun, mais ayant des ailes morphologiquement similaires adaptées au vol. Adapté de [7].

 

2.2.2. Évolution divergente

Lorsque nous analysons l’histoire évolutive d’un trait, nous pourrions au contraire détecter que des espèces très proches évolutivement ont divergé dans un trait particulier alors qu’elles utilisent des environnements différents (figure 5.5). Pour un trait physiologique, on pourrait penser à diverses capacités de digestion pour des populations de la même espèce qui n’ont pas accès aux mêmes sources de nourriture. Ici on verrait de l’évolution divergente, car ces espèces ou populations proches évolutivement ont des traits différents quand elles font face à un environnement différent.Trois espèces de renards différents provenant du même genre (Vulpus) sont illustrées Selon leur environnement, elles montrent des phénotypes différents, comme la couleur du pelage ou la taille des oreilles.

Figure 5.5. Diversité phénotypique du genre Vulpus causé par la sélection naturelle entrainant une divergence évolutive entre le renard roux (A), le fennec (B), et le renard arctique (C). Adapté de [8-10].

 

On peut penser à un cas où ce sont les humains qui ont changé l’environnement. Les moustiques sont des vecteurs de nombreuses maladies et on dit même que c’est l’animal qui fait le plus de victimes humaines sur terre. Les humains utilisent différents produits chimiques pour tenter d’éliminer les populations de moustiques. Dans les zones où on utilise un insecticide (le DDT), les moustiques ont évolué une résistance à ce produit. Les populations de moustiques à proximité, mais qui ne sont pas en contact avec le DDT, n’ont pas divergé évolutivement. Les moustiques résistants à l’insecticide ont une forme plus performante de l’enzyme qui dégrade le DDT en substance non-toxique et cette meilleure performance augmente leur survie. Les différentes populations ont un ancêtre commun proche, mais elles sont divergentes pour un trait, ce qui permet d’émettre l’hypothèse que ce trait est une adaptation.

Cette vidéo présente les approches basées sur l’observation pour étudier les adaptations. [CC-BY]

Vous trouverez la transcription de l’audio de cette capsule en cliquant sur ce lien: Transcription en format word

 

2.3. Méthodes expérimentales

On vient de voir qu’on peut faire des observations en nature ou utiliser l’histoire évolutive d’un trait pour émettre l’hypothèse que ce trait là est une adaptation. Pour pouvoir tester les prédictions qui découlent de cette hypothèse, on doit utiliser des manipulations expérimentales. On peut utiliser la définition d’une adaptation pour se donner une idée de ce que nous devrons manipuler!

Basé sur notre définition de l’adaptation, notre prédiction pourrait être que si on change l’environnement tout en conservant la valeur du trait, le trait sera associé à un fitness moins élevé. Pour tester cette prédiction, nous pouvons faire une manipulation expérimentale dans laquelle on change l’environnement et on mesure le fitness du même trait dans de nouvelles conditions environnementales. On parle alors d’une expérience de transplantation.

Nous pourrions aussi émettre la prédiction qu’une autre valeur de ce trait serait associée à un fitness plus faible si on conserve l’individu dans cet environnement. Notre approche dans ce cas-ci est de changer la valeur du trait et de mesurer le fitness dans le même environnement. On parlera alors d’ingénierie phénotypique.

Finalement, on peut manipuler l’évolution elle-même et quantifier ce qui change dans les traits de l’organisme qui lui permettent de faire face au défi de l’environnement qu’on a créé. C’est l’évolution expérimentale.

2.3.1. Modifier l’environnement : la transplantation

Dans une expérience de transplantation, nous gardons la valeur du trait constante et nous manipulons l’environnement. Le fitness des individus est mesuré dans chaque environnement : original et environnement manipulé. C’est pour ça qu’on parle de transplantation; c’est comme si on transplantait l’individu dans un autre environnement. Étant donné notre hypothèse que ce trait est une adaptation, notre prédiction est que le fitness sera moins élevé dans le nouvel environnement. Si on compare deux populations qui ont des traits différents, on peut chacune les élever dans leur environnement d’origine et dans l’autre environnement. On parlera alors dans la littérature de transplantation réciproque.

Pour manipuler l’environnement, il faut avoir une idée de l’agent de sélection. Par exemple, doit-on manipuler la présence de prédateurs, la température de l’eau, la quantité d’oxygène? Si on prend l’exemple fictif d’une plante qui vit en milieu tempéré et qui semble adaptée à son environnement. Si on créé un traitement où la température est élevée, on peut mesurer les effets de transplanter cette plante sur le fitness et tester notre prédiction (figure 5.6).

Le panneau de gauche montre deux plants identiques placés dans deux environnements distincts : un environnement témoin à température similaire à l’environnement d’origine et un traitement où la température est plus élevée. Le panneau de droite montre les mêmes plants 2 mois plus tard. Le plant qui vit dans les conditions contrôles a grandi et compte plusieurs fleurs alors que celui exposé à une température élevée n’a pas poussé. À droite de ces schémas, un graphique montre le nombre de fleurs après 2 mois (un estimé du fitness) en fonction de l’environnement de croissance (témoin ou traitement). Un indice de fitness (le nombre de fleur). Le plant exposé à l’environnement à température plus élevée a un fitness plus faible que le plant exposé à l’environnement témoin.Figure 5.6. Design expérimental d’une expérience de transplantation où une plante adaptée à un environnement tempéré (témoin) est exposée à une forte chaleur (traitement). A) Au début de l’expérience, les plants sont divisés entre l’environnement témoin et le traitement (B) Une période d’exposition de 2 mois permet de mesurer les effets à long terme sur les plants. C) On observe une baisse du fitness (nombre de fleurs) lorsque le plant est exposé à l’environnement 2 (traitement) comparativement à son fitness dans l’environnement original (témoin).

 

2.3.2. Modifier le phénotype : l’ingénierie phénotypique

Dans une expérience d’ingénierie phénotypique, nous gardons l’individu dans son environnement, mais nous manipulons la valeur du trait qui nous intéresse. On mesure ensuite le fitness du trait avec sa valeur originale et lorsqu’elle est manipulée, dans le même environnement. Comme notre hypothèse est que le trait original « améliore la survie ou la reproduction de l’organisme, relativement aux valeurs alternatives de ce trait, dans un environnement donné », soit la définition d’une adaptation, notre prédiction est que le fitness sera plus bas pour le trait modifié dans cet environnement.

Pour modifier la valeur du trait, nous pouvons faire une manipulation physique qui affecte l’apparence de l’organisme (figure 5.7). Nous pourrions aussi faire une manipulation pharmacologique avec une drogue qui bloque l’effet d’une hormone ou qui augmente son niveau en circulation, par exemple. Finalement, nous pourrions faire une manipulation génétique : utilisation d’ARN interférent (« RNAi) pour rendre un gène silencieux, édition de gène avec des approches comme CRISPR-Cas9, etc.

À gauche, un graphique dont l’axe y représente le nombre de nids moyen par mâle d’euplectes à longue queue et l’axe x représente les différents groupes. Certains oiseaux ont eu leur queue raccourcie, d’autres allongée et des témoins avec la queue non modifiée (ou bien coupée puis recollée, pour prendre en compte l’effet de la manipulation). Les oiseaux à la queue raccourcie ont un nombre moyen de nids de 0,5, les témoins ont un nombre moyen de nids de 1 et les oiseaux à la queue allongée ont un nombre moyen de nids de 2. À droite, un graphique dont l’axe des y représente le fitness, mesuré par le nombre de nid moyen par mâle et en x les différents traitements. On observe que les oiseaux avec la queue allongée ont une meilleure nidification et les oiseaux avec la queue coupés ont moins de nids comparativement aux témoins.Figure 5.7. Expérience d’ingénierie phénotypique sur la longueur de queue d’euplectes à longues queues (Euplectes progne). A) Deux types de traitements sont faits chez les mâles: leur queue est raccourcie ou allongée. Il y a deux groupes témoins dans cette expérience : les mâles ont soit leur longueur de queue non modifiée (témoin 2) ou coupée et remise immédiatement en place pour prendre en compte l’effet de la manipulation (témoin 1). B) On observe le nombre de nids moyen par mâle comme indice de fitness. Les femelles sélectionnent plus souvent les mâles aux plumes allongées artificiellement et ils ont un meilleur fitness que les mâles des groupes témoins. Inversement, les mâles dont les plumes sont raccourcies comparativement à ce qu’on observe en nature ont un fitness plus faible. Adapté de [11].

 

Dans tous les cas que nous avons vus jusqu’à présent, nous avons identifié les variations dans un trait et le lien avec l’environnement ou le fitness, entre des espèces, entre des populations, ou à l’intérieur d’une population. Cependant, comment peut-on quantifier l’effet de la valeur d’un trait sur la performance et le fitness si tous les individus ont la même valeur de trait dans cet environnement? Par exemple, pensez à un trait physiologique qui aurait une valeur très similaire entre les individus d’une population, comme la capacité chez les poissons qui vivent en eau salée de transporter des ions par les cellules de leurs branchies, ce qui leur permet de contrôler l’osmolarité interne qui est différente de celle du milieu ambiant. Comment faire pour savoir si ce trait est une adaptation si tous les individus ont la même capacité? Dans un cas comme celui-ci, on peut avoir recours à l’ingénierie phénotypique pour « créer » de la variation phénotypique, ce qui nous permettra de tester des prédictions sur la valeur adaptative du phénotype!

 

Exercices

Vérifiez votre compréhension des différentes manières de déterminer si un trait est une adaptation avec ce quiz formatif.

Associer les différentes manières de déterminer si un trait est une adaptation en utilisant l’exemple des pinsons de Darwin.

 

2.4. L’évolution expérimentale

Une approche complètement différente pour étudier la cible de la sélection et les bases génétiques d’une adaptation est de créer expérimentalement l’agent de sélection et de mesurer quels traits changent (ou non) face à cette pression de sélection (figure 5.8). Cela nous indique quelle est la cible de la sélection et quels sont les changements génétiques et moléculaires associés.

Par exemple, on peut étudier des drosophiles qu’on expose à la sècheresse sur plusieurs générations en laboratoire, en maintenant une lignée témoin pour la même durée. On étudie quels systèmes physiologiques sont altérés chez les lignées qui font face à la sècheresse et on mesure le fitness dans l’environnement original et dans l’environnement expérimental pour les deux lignées. On peut ainsi voir si la modification de certains traits au cours de l’évolution expérimentale est associée à une amélioration du fitness comparé au trait original et déterminer quels sont les changements génétiques qui sont associés. Est-ce qu’il y a une mutation dans la séquence codante d’un gène qui modifie une enzyme? Est-ce que c’est une mutation dans la séquence régulatrice d’un gène qui code pour un canal ionique qui change la quantité de ce canal dans la membrane? Etc.

À gauche, un design expérimental où des graines sont choisies aléatoirement en 2002 et plantées dans deux serres différentes où elles ont été exposées pendant plusieurs années (entre 2008 et 2016) à des sécheresses annuelles, ou non. Les plants qui grandissent des graines sont exposés à ces conditions pendant plusieurs années et donc plusieurs générations de plantes. Les graines sont ensuite récoltées en 2016, on observe que les graines des plantes exposés aux sécheresses sont plus pâles. Elles sont ensuite replantées en 2017 et de nouveaux plants grandissent dans des serres où ils ont tous été exposés à une sécheresse. Les plants ayant été exposés à des sécheresses entre 2008 et 2016 montrent maintenant un phénotype différent de ceux non exposés, soit des feuilles plus pâles, ce qui leur confère un avantage lors de sécheresses. À droite, un schéma qui illustre en y la proportion de phénotype feuille pâle et en x les traitements. Les plants ayant été exposés aux sécheresses entre 2008 et 2016 ont une plus grande proportion de feuilles pâles que ceux non exposés.Figure 5.8. Design d’une expérience d’évolution expérimentale où des plants sont exposés ou non à des sècheresses afin de quantifier si ceci résulte en un changement de phénotype. À gauche on voit que la coloration des feuilles des plants exposés aux sécheresses est plus pâle après l’évolution expérimentale. Il est proposé que ce changement de coloration modifie l’absorption des rayons du soleil. À droite, on voit une mesure du fitness pour chaque lignée de plantes. Le premier graphique montre le fitness des plants non sélectionnés dans l’environnement A, soit l’environnement original de cette population de plante, comme point de comparaison (en vert). La mesure du fitness dans l’environnement B (présence de sécheresse, en rouge) montre que les plants qui ont évolué dans l’environnement témoin et qui ont des feuilles foncées ont un fitness moindre, alors que les plants qui ont évolué sous sélection de sécheresse et qui ont des feuilles pâles ont un fitness plus élevé. Adapté de [12].

 

Si on répète l’expérience d’évolution expérimentale plusieurs fois en utilisant des génotypes différents comme populations de départ (drosophiles d’une population au nord, ou vivant en altitude, ou en milieu humide, etc.), on peut tester si tous ces génotypes auront la même trajectoire évolutive et si les mêmes systèmes physiologiques seront la cible de la sélection. L’évolution expérimentale est un outil puissant en biologie évolutive.

 

Cette vidéo présente les approches expérimentales pour étudier les adaptations. [CC-BY]

Vous trouverez la transcription de l’audio de cette capsule en cliquant sur ce lien: Transcription en format word

 

Cas appliqué

Entrevue avec Markus Thormeyer

Cette capsule vidéo [CC-BY] présente une entrevue avec Markus Thormeyer, étudiant au doctorat en zoologie dans le laboratoire de Michelle Tseng, à UBC. Ses travaux portent sur l’évolution des moustiques en milieu urbain, particulièrement face aux ilots de chaleur, comparativement aux milieux ruraux. Vous pouvez activer les sous-titres en français ou en anglais.

 

Vous trouverez la transcription de l’audio de cette capsule en cliquant sur ce lien. Transcription Thormeyer en format word

 

Histoire évolutive d’un trait : l’évolution convergente

Des biologistes ont étudié la viviparité chez des lézards de la famille des Phrynosomatidés (figure 5.9). Il se sont demandé si l’évolution répétée de la viviparité est associée à des changements aussi répétés dans la physiologie, comme la température critique minimale et maximale (CT min et CT max).

Un lézard beige se tient sur une branche.Figure 5.9. Lézard (Phrynosoma platyrhinos) de la famille des phrynosomatidés [13].

 

Les physiologistes ont étudié une famille de lézards qui sont largement vivipares et chez qui il y a eu une transition vers la viviparité à cinq reprises durant l’évolution (figure 5.10). Les ancêtres représentés en rouge dans la figure n’avaient pas ce trait alors que certains descendants sont vivipares (en bleu). Cette transition à cinq reprises vers la viviparité de façon indépendante représente un cas d’évolution convergente.

Un arbre phylogénétique représente la transition de l’oviparité vers la viviparité qui s’est produite 5 fois de manière indépendante.Figure 5.10. Transition à cinq reprises vers la viviparité chez les lézards phrynosomatidés (en bleu) à partir de l’oviparité, représentant un exemple d’évolution convergente. Adapté de [14].

 

Les physiologistes ont émis l’hypothèse que ce changement d’histoire de vie est associé à l’utilisation d’habitats plus froids. Ils ont prédit que si c’est le cas, des traits physiologiques associés à la vie dans un habitat plus froid sont aussi apparus de façon répétée. Ils ont trouvé que les lézards vivipares ont en effet une température critique minimale et maximale plus basse et que la température de leur corps est plus basse de 4 degrés Celsius en moyenne, suggérant une évolution convergente de la physiologie thermique chez cette famille de reptiles.

Méthodes expérimentales : Modifier l’environnement avec la transplantation

Des biologistes s’intéressent à la reproduction chez les insectes. Ils ont étudié différentes populations d’un coléoptère nécrophore, Nicrophorus nepalensis, qui enterre des carcasses d’animaux pour nourrir ses rejetons (figure 5.11).

Figure 5.11. Photo du coléoptère Nicrophorus nepalensis [15].

 

Les scientifiques veulent savoir si ces populations qui vivent à différentes altitudes dans les montagnes en Asie ont une reproduction contrôlée par la photopériode et si oui, si cela est une adaptation locale aux conditions très différentes entre les habitats. Elles ont utilisé une expérience de jardin commun pour tester l’effet de la photopériode sur le comportement de reproduction dans 5 populations de cet insecte. Elles ont placé des individus sous une photopériode à jours courts (ce qui correspond à l’hiver à nos latitudes) et à jour long (l’été) et ont mesuré le taux d’enfouissement de cadavres, une mesure de l’activité de reproduction. Elles ont observé des patrons très variés (figure 5.12) : deux populations se reproduisaient significativement plus dans le traitement à jour court, suggérant qu’elles se reproduisent l’hiver (ex : Wulai qui se situe à 900 mètres d’altitude), deux autres avaient une reproduction élevée sous toutes les photopériodes, suggérant qu’elles se reproduisent toute l’année et que la photopériode ne les affecte pas (ex : Mt. Hehuan à 3200 m) et la dernière, retrouvée au Japon à 4100 m, se reproduisait seulement sous la photopériode de jours longs, donc l’été.

Un graphique à barre présente le taux d’enfouissement moyen pour 5 populations lorsqu’elles sont élevées en laboratoire sous une photopériode longue ou courte.Figure 5.12. Le taux d’enfouissement est affecté différemment par la photopériode selon la population. Certaines populations auront une activité de reproduction élevée sous photopériode courte (en bleu, représente l’hiver) et d’autres sous photopériode longue (en beige, représente l’été). Deux populations ont une reproduction indépendante de la photopériode. Adapté de [16].

 

Les scientifiques ont ensuite utilisé une expérience de transplantation réciproque pour mesurer l’effet sur le fitness de ces différences de réponse à la photopériode. Elles ont mesuré le succès de reproduction d’individus venant des populations de Wulai (reproduction hivernale) et du Mont Hehuan (reproduction tout l’année indépendante de la photopériode) lorsque transplantées à Wulai ou au Mont Hehuan en été ou en hiver (figure 5.13).

Figure 5.13. Des individus provenant de la population du Mont Wulai qui est à basse altitude sont transplantés sur le Mont Hehuan et vice-versa puis leur fitness est mesuré dans chaque environnement. Adapté de [16].

 

Cette expérience de manipulation de l’environnement par transplantation réciproque a permis de déterminer qu’effectivement le fitness est affecté si on change l’individu d’environnement. Les individus ont d’abord été étudiés durant l’été, avec une longue photopériode. Les individus originaires du Mont Hehuan ont eu un meilleur succès reproducteur que ceux de Wulai lorsqu’ils étaient dans leur territoire d’origine (Figure 5.14).

Un graphique à barre présente le succès reproducteur moyen pour des individus de la population de Wulai et du Mont Hehuan lorsqu’ils vivent soit à Wulai ou au Mont Hehuan en été. Le succès reproducteur est très faible à Wulai pour les deux populations. Les individus du Mont Hehuan ont un meilleur succès reproducteur que ceux originaires de Wulai lorsqu’ils vivent dans leur environnement d’origine.Figure 5.14. Succès reproducteur en été des individus des deux populations A) lorsqu’élevées à Wulai et B) au mont Hehuan. Adapté de [16].

 

En contrepartie, lorsque l’expérience avait lieu en hiver, les individus originaires de Wulai avaient un meilleur succès reproducteur que les individus originaires du Mt Hehuan lorsque élevés au Mont Hehuan (figure 5.15).

Un graphique à barre présente le succès reproducteur moyen pour des individus de la population de Wulai et du Mont Hehuan lorsqu’ils vivent soit à Wulai ou au Mont Hehuan en hiver. Le succès reproducteur est plus élevé pour les individus originaires de Wulai lorsqu’élevés au Mont Hehuan que les insectes originaires de cette montagne.Figure 5.15. Succès reproducteur en hover des individus des deux populations A) lorsqu’élevées à Wulai et B) au mont Hehuan. Adapté de [16].

 

En résumé, les individus du Mont Hehuan se reproduisent sous photopériode courte et longue en laboratoire et ont le meilleur succès reproducteur dans l’étude de transplantation réciproque en photopériode longue (l’été). Les individus de Wulai se reproduisent surtout sous photopériode courte en laboratoire et ont le meilleur succès reproducteur dans l’étude de transplantation réciproque en photopériode courte (l’hiver). Mis ensemble, ces résultats suggèrent que l’activation de la reproduction selon la photopériode est une adaptation locale dans chaque population, car la valeur du trait augmente le fitness par rapport aux autres valeurs du trait dans cet environnement.

Résumé

Une adaptation est un phénotype qui améliore la survie ou la reproduction de l’organisme, relativement aux valeurs alternatives de ce trait, dans un environnement donné. On peut déterminer qu’un trait est une adaptation de trois façons principales : à partir d’observations en nature, en étudiant l’histoire évolutive d’un trait afin de faire ressortir de l’évolution convergente ou divergente, ou en utilisant des méthodes expérimentales où on manipule soit l’environnement, soit le phénotype. Il est aussi possible d’étudier les adaptations à l’aide d’une expérience dévolution expérimentale. Les traits physiologiques qui sont possiblement des adaptations qui permettent de faire face aux défis de l’environnement sont le centre d’intérêt en écophysiologie évolutive. Il est essentiel de vérifier que le trait d’intérêt est effectivement une adaptation.

Activité de révision

Exercices

Révision sur l’étude des adaptations

 

Bibliographie

  1. Futuyma, D.J. (2005). Evolution. Sinauer Associates,  3 e édition. 603p.
  2. Hampshire, G. (2021). Phalène à bouleau [CC-BY]. https://www.flickr.com/photos/gails_pictures/51310547557/in/photolist-2mb8Ya4-2mRoseq-2m7eiZA-2jWQH9P-2jiYixV-2gjE4Lk-2j4gS4u-25pDvvA-2jLh9kS-K82inN-PQ4S9W-2kLX1tH-REUZP5-H9Wnar-2fACUvS-GRJ9DE-2nou8Y3-2j4m3nr-HsXnzU-2nr4Avs-2npESEt-VYxKet-2gaBtCR-2mqXJQi-2jmLGwr-2gz5LXh-2a1eYDU-26N6Rpg-obRSi7-QrfCEu-2gb7UGJ-28Xhh8b-TXwaCo-VgahM5-WwN4aX-2j94ARs-2mwRVao-2mayYuV-HBh55t-2j95Wfr-2nzyG5r-2mx3fr8-28h9vxh-2kYb6Cg-2ntEkx9-2jkN7uT-2m4vej7-2mw5HAb-2njrd8t-2nupVXC
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