3.3. Quoi planifier à gérer

Le repère « Quoi planifier à gérer » est un temps pour se représenter et vérifier les moyens nécessaires pour démarrer le projet et l’administrer dans le temps. Pour ce faire, ce sont des compétences d’organisation et de gestion de projet qui sont mobilisées. Dans un premier temps, cela demande d’imaginer les activités liées au projet en identifiant l’ensemble des tâches qui seront à accomplir. Une fois identifiées, ces tâches sont regroupées par catégories, ce qui est désigné comme des « lots de travail » dans le langage de gestion de projet. De manière pragmatique, ce repère du moment d’exploration permet de répondre aux questions 6 et 7 des sept questions pour intégrer l’approche « modèle d’affaires » : « Qu’est-ce qui est planifié pour opérationnaliser tout ça ? » et « Avez-vous planifié combien tout cela coûtera ? »

La manière la plus efficace de penser la planification reste la description exhaustive des tâches, afin de pouvoir en déléguer l’exécution à l’échelle de la petite équipe des ressources humaines que vous avez. C’est aussi là que les notions d’ordonnancement des tâches dans le temps et de gestion des ressources humaines se dessinent. C’est également le moment de planifier vos budgets de démarrage et d’exploitation.

 

3.3.1. Notions de base

Sans le savoir, tout le monde fait de la gestion de projet. Planifier une sortie d’une journée, un voyage de plus longue haleine, un déménagement, un mariage ou un jardin dans sa cour arrière fait appel aux éléments de base de la gestion de projet. En ce sens, quatre éléments de base sont présents dans la planification de tous types de projets :

1) Tâches

2) Ordonnancement

3) Ressources

4) Coûts

Une liste exhaustive des tâches, c’est-à-dire de toutes les actions qui doivent être posées, doit être dressée. Ce travail d’exhaustivité, quoique fastidieux les premières fois, est essentiel pour bien se représenter le travail à faire et ne rien échapper. Dans la pensée « modèle d’affaires », il est question d’activités clés à planifier, afin que votre proposition de valeur, sous forme de produit ou de service, rejoigne la clientèle ou les bénéficiaires et génère les revenus anticipés. Bien sûr, ces activités clés sont amenées à évoluer selon les phases de développement envisagées, mais leur planification initiale est déterminante pour la suite.

De plus, à cette étape de planification initiale et globale de votre projet, les tâches d’exploration du modèle d’affaires sur le terrain doivent être considérées. Cela permet en effet d’évaluer la faisabilité, dans le temps, de ce qu’il y a à fournir comme efforts de validation. Cette planification à l’interne n’est pas toujours évidente et doit être discutée en équipe, agendas en main. C’est la seule manière de déterminer qui fait quoi au sein de l’équipe, si cela est réaliste, et ce qui est attendu des personnes collaboratrices extérieures à l’équipe.

L’ordonnancement consiste à réfléchir sur quand ces tâches doivent être accomplies dans le temps, le temps requis pour les faire et quelles tâches dépendent d’autres tâches pour être réalisées. Ici, l’exercice peut devenir plus difficile lorsque vous n’avez pas l’expérience des activités à réaliser. Par exemple, combien de temps peut prendre la réalisation d’un site Internet ? Encore une fois, la validation terrain est incontournable, par des appels et des rencontres avec des personnes qui ont déjà réalisé ce genre de tâches. Ces conversations viendront aussi vous éclairer sur l’ordre dans lequel planifier les tâches et le temps requis pour les réaliser. Elles viendront aussi clarifier les compétences requises pour que ces tâches soient bien faites. Enfin, l’ordonnancement est le seul moyen de connaître les jalons de réalisation des lots de travail (p. ex. : prototypage prêt, diffusion de la promotion, embauche de personnel, etc.) et de confirmer la faisabilité de ceux-ci selon certaines dates butoirs.

Cette faisabilité s’évalue en fonction des ressources humaines et matérielles disponibles pour votre projet. Vous aurez ainsi besoin d’identifier les compétences et les personnes requises pour exécuter ces lots de travail dans le temps souhaité et, le cas échéant, les besoins matériels pour que ces tâches se réalisent. Dans la pensée « modèle d’affaires », il est question de ressources clés nécessaires à l’exécution des activités clés. Ces ressources peuvent être internes à l’équipe du projet ou requérir l’aide de collaborateurs ou collaboratrices externes, fournisseurs, partenaires ou autres, pour effectuer certaines de ces activités.

C’est ainsi que la notion de partenaires clés est introduite. Il s’agit de personnes ou d’organisations avec qui vous établissez une relation de confiance où chaque partie bénéficie du fait de collaborer. C’est ce qu’on appelle une « relation gagnant-gagnant ». Une entente est à conclure pour confirmer les paramètres de cette relation. En ce sens, cette partie prenante trouve un avantage à collaborer avec vous qui est au-delà d’une relation de fournisseurs de produit ou de service. Un primo-adoptant ou une primo-adoptante (early adopter) est un exemple de partenaire clé. Alors que vous tirez profit de l’aide de cette cliente ou de ce client potentiel pour le développement de votre projet, cette personne peut, en retour, compter sur vos efforts pour développer un produit ou un service adapté à ses besoins et pouvoir l’utiliser en primeur. Un bailleur de fonds peut aussi devenir un partenaire clé lorsqu’une entente prévoit, par exemple, un partage des bénéfices selon votre rendement financier.

Outre les partenaires clés, il est aussi important d’identifier tous les autres groupes, organismes ou personnes qui influencent ou peuvent être influencés par votre projet, sans qu’ils soient pour autant des partenaires. Il s’agit des autres parties prenantes. Des décideurs politiques sont un exemple de parties prenantes qui peuvent exercer une influence sur la manière dont votre projet se déroule. En ce sens, des actions sont à considérer dans la gestion de ces parties prenantes.

Enfin, les coûts sont des dépenses en argent à prévoir pour que les ressources soient adéquates et suffisantes pour l’exécution des tâches dans le temps planifié. Dans la pensée « modèle d’affaires », il est question de structure des coûts. En fait, il s’agit des différents coûts du projet associés aux activités ou aux ressources clés planifiées pour offrir votre produit ou votre service, rejoindre votre clientèle ou vos bénéficiaires et tirer des revenus de vos ventes. En phase de démarrage de projet, une distinction est faite entre ce qui servira à lancer le projet et ce qui servira au roulement du projet une fois lancé. On parle respectivement de budget de démarrage et de budget d’exploitation.

Par ailleurs, une attention particulière est requise sur le plan de la gestion de l’argent pour assurer un fonds de roulement suffisant. En effet, dans la vie du projet, des sorties d’argent surviennent souvent alors que certaines entrées d’argent ne sont pas encore effectives. La planification de votre budget de caisse est donc primordiale ! Elle doit prévoir l’argent en main (aussi appelé « liquidités ») nécessaire pour assurer que votre projet reste en vie sans être submergé par les dépenses. Tous les entrepreneurs et toutes les entrepreneuses vous diront comment la gestion du budget de caisse est un apprentissage crucial et déterminant au moment de la planification et de l’exécution du projet. C’est, en quelque sorte, le pouls de votre projet, qui doit être pris de manière régulière pour en mesurer la vitalité et la viabilité. D’où l’importance de prendre le temps de bien planifier les choses et de le faire avec d’autres autour de vous !

Finalement, les tâches, l’ordonnancement, les ressources et les coûts doivent être pensés et planifiés, peu importe la nature de votre idée de projet. À cet effet, la gestion de projet fait appel à un mélange de votre savoir-faire issu d’expériences passées, d’imagination dans le cadre de l’idée de projet que vous développez et de validation auprès de personnes qui ont l’expérience des tâches à exécuter. La planification est donc un exercice de réflexion détaillée sur les composantes à organiser, à quel moment les effectuer, ainsi que sur le réalisme, pour vous et les autres, de pouvoir exécuter ces tâches. Cette planification permet de limiter les risques, de mieux gérer les imprévus et d’assurer la solidité et la pérennité du projet. Encore une fois, il n’y a pas de recette miracle, cela demande d’aller sur le terrain pour observer, écouter, discuter et sentir les choses !

Dans le milieu entrepreneurial, ce travail de planification mène à l’écriture d’un plan d’affaires. Le plan d’affaires est un outil de communication qui détaille le modèle d’affaires de votre projet, le plan de sa mise en œuvre et les prévisions financières. Il est fort utile, voire nécessaire, lorsque vous êtes à l’étape d’aller chercher des financements plus importants. Il vise principalement à vendre votre projet à des partenaires financiers et à d’autres partenaires possibles et à les convaincre de la valeur de votre projet. C’est un document écrit d’une vingtaine de pages, en plus des états financiers prévisionnels, qui est construit à partir de votre modèle d’affaires et d’autres éléments de la planification. C’est le fruit de votre travail d’exploration dans un moment charnière vers l’exécution.

Vous pouvez télécharger une table des matières commentée d’un plan d’affaires ici : www.impactaed.org/ressources

Sachez aussi qu’il existe plusieurs ressources disponibles sur Internet pour guider votre réflexion sur la rédaction d’un plan d’affaires.

Enfin, savoir planifier une gestion de projet fait partie des compétences entrepreneuriales recherchées, et votre habileté en ce sens devra être démontrée auprès des personnes que vous cherchez à mobiliser et à convaincre de se joindre à vous (bailleurs de fonds, partenaires, fournisseurs, personnel à embaucher, etc.).

Explorez le Chapitre 5 pour en apprendre plus et pour réfléchir sur les manières d’aller à la rencontre des autres dans le contexte de votre projet.

 

3.3.2. Questionnements pour votre projet

Cette section vous permettra d’approfondir l’intégration de votre projet dans une pensée « modèle d’affaires » en précisant le questionnement sur ce qui est planifié pour opérationnaliser tout ça (activités clés, ressources clés, partenaires clés et parties prenantes) et sur la planification de combien tout cela coûtera (structure des coûts).

 

 

QUESTION D’ARGENT $

Sources potentielles (en ordre croissant, à partir du moins coûteux pour votre organisation)

  1. Ventes aux personnes visées, clientes ou bénéficiaires
  2. Subventions obtenues auprès d’organismes publics ou privés
  3. Négociation de rabais ou report de paiement auprès des fournisseurs
  4. Collecte de fonds ou campagne de financement (p. ex. : sociofinancement)
  5. Argent obtenu auprès de personnes proches de vous (love money)
  6. Argent personnel investi dans le projet
  7. Prêts obtenus auprès d’institutions financières
  8. Investissement sous forme de capital de risque

 

Les premières ventes restent le moyen de financement le moins coûteux pour assurer une entrée d’argent initiale dans le projet.

 

Pour chacune de ces sources
1. Lesquelles sont présentes actuellement pour votre projet ?
2. Lesquelles sont envisagées et à quel moment dans la vie du projet ?
3. Quel montant représente chacune des sources actuelles et envisagées dans le temps ?
4. À quelles conditions ces sources d’argent sont-elles disponibles ?

 

FAISABILITÉ, VIABILITÉ ET MOTIVATION
À la lumière de cette réflexion sur les tâches, l’ordonnancement, les ressources et les coûts :

1. Le projet est-il faisable ?
2. Certains éléments de votre proposition de valeur doivent-ils être revus ?
3. Des éléments doivent-ils encore être clarifiés ou précisés ?
4. Si oui, qui allez-vous rencontrer pour apporter ces clarifications ou ces précisions ?
5. Le projet est-il viable ?
6. Avez-vous toujours la motivation de réaliser le projet ?
7. Est-ce que tous les membres de votre équipe sont à la même place que vous sur le plan de la faisabilité, de la viabilité et de la motivation ?

 

3.3.3. C’est l’histoire de… Charlie, Adriana et Violine

L’histoire suivante présente un exemple de comment a été vécue la démarche par des personnes dans la communauté. Elle vise à illustrer plusieurs des notions abordées ci-dessus et à aider à imaginer ce à quoi cela peut ressembler dans la vraie vie.

 

Charlie, Adriana et Violine

 

Charlie, Adriana et Violine étudient respectivement en éducation, en psychologie et en histoire à l’Université de Sherbrooke, au Québec. Ils vivent ensemble et partagent un appartement depuis maintenant deux ans. Pour eux, c’est l’occasion de cuisiner ensemble, de partager quelques repas et discussions tout en rigolant et de sortir de leur quotidien d’études. Ce sont des moments qui sont particulièrement les bienvenus dans les longues périodes de devoirs et d’examens où le stress, l’anxiété de performance et la perte de sens dans le travail scolaire à faire peuvent se montrer dans leur vie.

Après leurs premières années à l’université, une période pandémique et tous les défis que leur pays doit affronter, Charlie, Adriana et Violine réalisent que les universitaires autour d’eux n’ont pas tous et toutes la chance qu’ils ont. Pour plusieurs, l’isolement dans les études, loin de leur famille et de leur région d’origine, et l’anxiété générale ont des répercussions sur leur santé psychologique. Charlie, Adriana et Violine décident donc de mettre en place un réseau de soutien psychologique par et pour la communauté étudiante. Selon eux, c’est toujours plus facile, lorsque ça ne va pas, de parler à quelqu’un proche de soi, qui vit la même réalité, qui peut écouter et comprendre la situation. Les personnes étudiantes formées à cette culture de bienveillance peuvent ensuite orienter leurs pairs vers les bonnes ressources.

Pendant l’hiver, Charlie, Adriana et Violine ont réalisé une soixantaine de rencontres avec des personnes dans leurs classes respectives et ailleurs sur le campus. Ceci a permis de confirmer que le besoin est généralisé sur le campus, bien que les sources d’anxiété et de détresse soient multiples. Une approche accueillante, en douceur et en écoute ressort de leur démarche de validation terrain comme étant optimale pour les personnes visées par le projet pour ensuite permettre, au besoin, le lien vers des services professionnels. Au moment de planifier le projet, Charlie, Adriana et Violine s’assoient ensemble pour réfléchir à où commencer pour exécuter le projet. Ils visent à mettre le réseau en activité dès la rentrée de l’automne.

Pour cela, ils décident d’aller à rebours par rapport au lancement souhaité à l’automne et dressent l’ensemble de ce qui doit être fait au cours des neuf prochains mois pour que cela marche. Bien que cela prenne du temps et amène de nombreuses discussions entre eux, ils finissent par détailler leur plan d’action, les ressources nécessaires, les coûts anticipés et le temps d’implication demandé pour que le projet fonctionne. Même si leur expérience en gestion de projet est limitée, ils développent, comme équipe, l’habitude de s’asseoir ensemble pour anticiper ce qui va venir.

Leur démarche de planification leur fait prendre conscience que, pour mener à bien le projet, ils doivent, entre autres : recruter des pair(e)s aidant(e)s, développer leur modèle de soutien par les pairs, faire une revue des données existantes sur ces modèles, gérer l’encadrement du programme et trouver un ancrage institutionnel, planifier les responsabilités professionnelles et les assurances afférentes, gérer la trésorerie, trouver du financement, faire de la sensibilisation et de la promotion, créer leur site Internet, communiquer à travers les réseaux sociaux, former les pair(e)s aidant(e)s, trouver et aménager un local à l’université et assurer la gestion générale du projet. Comme ils ne sont pas spécialistes pour détailler la planification de l’opérationnalisation de toutes ces tâches, ils vont vers leurs familles et des amis qui connaissent la chose ou les mettent en lien avec des personnes qui ont l’expérience de ce type d’activités. Les aspects de responsabilité, de formation des pair(e)s aidant(e)s et de création de réseaux sont parmi les sujets où les récits d’expériences des personnes rencontrées ont été déterminants pour bien planifier le projet.

L’exercice de planification a aussi provoqué une prise de conscience des ressources financières nécessaires pour assurer la viabilité du projet tout en maintenant un service de qualité. De là, ils ont pu préparer une demande de subvention éclairée auprès d’organismes régionaux et nationaux qu’ils ont identifiés grâce à des discussions avec d’autres personnes qui accompagnent des gens en détresse dans d’autres milieux au Québec. Les rencontres terrain ont aussi permis de revoir le moment pour le lancement du réseau. Le printemps de la prochaine année, soit deux sessions plus tard que celle prévue initialement, est maintenant visé.

Cette planification révisée fait en sorte que Charlie et Violine décident de continuer à consacrer vingt heures par semaine à lancer le projet et acceptent de ne pas être rémunérés pour cela. Leur motivation reste entière pour aider les personnes visées et provient aussi du désir de léguer à leur communauté universitaire un projet validé et planifié pour durer. Ce sera aussi une bonne expérience vécue qui pourra servir dans le cadre d’emplois futurs et s’ajouter à leur profil de compétences. Adriana, quant à elle, ne pourra plus donner de son temps puisqu’elle doit se consacrer entièrement à ses études afin de bien réussir ses examens de l’Ordre des psychologues prévus l’hiver suivant. Cela dit, elle reste toute proche de ses amis et participera, quand le temps sera propice, à la promotion de ce projet sur le campus.

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