3.1. Quelle idée de projet

Le repère « Quelle idée de projet » est avant tout exploratoire et collectif. C’est le fruit de la réflexion, itérative, du dialogue avec d’autres et du cheminement des perspectives, qui mène vers l’identification de votre offre de produit ou de service dans la pensée « modèle d’affaires ». À la source, cette offre provient d’une idée. L’idée est générée par vos observations et vos discussions qui font converger vers un besoin à combler. En fait, une idée de projet provient d’un besoin exprimé et d’un changement souhaité d’un milieu ou d’une communauté. En ce sens, même si vous n’avez pas d’idée au début, le simple fait d’aller à la rencontre des personnes pour qui vous souhaitez un mieux-être, c’est déjà vous lancer dans la démarche. Cela fait en sorte que tout le monde peut se lancer dans une démarche entrepreneuriale, avec ou sans idée de projet.

Ce repère est une suite logique du moment d’introspection où, de votre profil d’entrée et de la réussite souhaitée de votre projet (votre profil de sortie), un sens pour soi et la communauté a été énoncé. Votre énoncé doit maintenant être exploré plus amplement à partir des désirs et de l’imaginaire des personnes de la communauté que vous visez. En découvrant les perceptions des personnes de la communauté à qui s’adresse votre projet, en les questionnant, en apprenant à les connaître, une idée de projet prendra forme ou celle que vous aviez initialement sera enrichie. Forcément, les problématiques qui préoccupent les personnes émergent de ce temps d’observation sur le terrain. Ce temps d’inspiration est déterminant à l’idéation puisqu’il vient l’enrichir d’une meilleure compréhension des enjeux et de la manière de faire dans ce qui doit être imaginé comme projet.

 

3.1.1. Notions de base

Lorsqu’on pense à l’idéation, c’est souvent l’image d’une série d’exercices condensés, dans une salle où plusieurs personnes lancent des idées sur des Post-it. Dans une cadence énergique et accélérée, on pense que les meilleures idées émergent. Les termes design sprint ou design thinking sont souvent associés à ce genre d’exercices. Ces approches de résolution de problèmes et d’innovation sont centrées sur l’expérience des usagères et usagers et le développement de produit. Ces séances d’idéation en groupe sont très populaires, et plusieurs spécialistes offrent des formations dans les écoles et auprès d’organisations en quête d’innovation.

Cela dit, ce que plusieurs personnes oublient, voire négligent de considérer est le fait que l’idéation ne peut pas survenir sans une phase préalable d’observation et de collecte d’informations dans le milieu visé par l’idée de projet. Selon la réalité du milieu, cela peut prendre du temps. En particulier, certains événements sociaux se présentent au rythme des personnes et des communautés. En fait, ils ne sont accessibles à l’observateur ou observatrice externe que lorsqu’une forme de synchronisation avec le milieu a lieu. En ce sens, l’idéation se doit d’être, avant tout, ethnographique et sociologique. Ce sont donc les besoins latents d’une communauté qui doivent inspirer, mais aussi délimiter les élans créatifs.

Ces besoins, exprimés comme des défis ou des enjeux particuliers de la communauté, peuvent faire appel à des processus d’idéation plus longs, nécessitant généralement plusieurs séances de réflexion en groupe. Avant toute idéation, il est important de cerner l’enjeu à considérer dans sa complexité, c’est-à-dire de pouvoir visualiser de manière collective ce dont il est question. C’est un travail de mise en mots et en formes des observations faites sur le terrain par les différentes personnes et de réflexion liée à l’idée de projet. Cette description permet de créer une image mentale initiale du contexte du projet, de la situation problématique et des aspects sur lesquels il est possible d’agir. Cela permet ainsi de clarifier la question à aborder et d’en avoir une compréhension commune au sein de votre équipe. Cette visualisation du terrain est aussi le premier lieu d’attache de la réflexion. Si votre idée de solution ne répond pas à une situation problématique réelle du terrain, elle n’aura d’autre valeur que son esthétisme.

L’ensemble des actions d’exploration que vous posez sur le terrain et les rencontres que vous faites amènent ainsi de nouvelles informations. Ces données recueillies nécessitent souvent de générer de nouvelles idées sur la nature et la forme de composantes du projet. Le processus de développement du projet fait donc appel à l’imagination. L’habileté entrepreneuriale est liée à celle de générer de nouvelles occasions dans la manière d’envisager et de poser les actions dans le contexte de la communauté. Ces questionnements stimulent l’imagination pour penser autrement, outside the box. Pour cela, s’inspirer de solutions développées ailleurs dans le monde et les adapter à la réalité des communautés avec lesquelles vous travaillez est d’une grande valeur ajoutée. Les nombreux projets significatifs portés dans différentes communautés à travers le monde sont une source incontournable pour inspirer votre idée initiale ainsi que les autres moments où la créativité est requise. Le monde est riche d’exemples, à vous de l’explorer. Rappelez-vous qu’innover, c’est faire mieux que ce qui existe déjà !

Par ailleurs, si les manières de faire de l’idéation sont multiples, le processus est souvent une combinaison de phases de divergence et de convergence. La phase de divergence permet d’ouvrir le champ des possibles et d’imaginer de nouvelles relations entre les différents éléments de la situation dont l’évolution est souhaitée. L’ouverture d’esprit, l’accueil sans jugement ainsi que le fait de donner libre cours à la créativité, aux idées insolites ou aux angles de vue nouveaux permettent de sortir des habitudes de pensée pour penser autrement. C’est souvent un moment inconfortable et chaotique du processus de créativité, du fait de son incertitude et de son ouverture.

Une fois que toutes ces idées ont été rassemblées, la phase de convergence invite ensuite à les évaluer à la lumière de critères préétablis pour le cadre de réflexion du projet. Il s’agit d’en évaluer la désirabilité, la faisabilité et le potentiel d’impact. Ainsi, un classement des idées peut être fait pour garder les meilleures d’entre elles et les développer davantage. Pour chaque idée retenue, un travail d’approfondissement doit être réalisé pour identifier les défis potentiels, les ressources nécessaires et les étapes à suivre pour la mettre en œuvre. Cela oriente le cours des prochaines actions et décisions dans l’exploration de votre projet de manière itérative avec le terrain.

Enfin, l’inspiration du terrain et les idées générées servent à proposer un prototype aux personnes visées par le projet. Ceci permet de tester un concept dans sa forme imparfaite et d’apporter des ajustements rapides suivant les réactions du terrain. Un prototype peut être aussi simple qu’une affiche, une petite annonce en ligne ou un dessin sur le coin d’une nappe. L’important est de pouvoir tester vos idées avec les personnes concernées et de recueillir leurs réactions pour d’autres réflexions.

Dans la pensée « modèle d’affaires », cela peut aller jusqu’à des modifications majeures de la manière d’envisager le projet et de l’expression de sa raison d’être en une proposition de valeur viable. À cet effet, l’interaction avec le terrain peut provoquer le choix de faire un pivot pour que le projet soit désirable pour le marché. Dans ces cas-là, l’idée de projet initiale est revue et réorientée, afin que le sens pour soi et la communauté du projet trouve une forme souhaitée dans le contexte de la communauté visée. Certains enjeux complexes sont aussi le travail d’une vie, alors que la connaissance de soi, des autres et du monde se développe. Le sens pour soi et la communauté d’un projet insuffle des parcours entrepreneuriaux divers et variés, où les chemins de projets et de vie vont de pair avec l’évolution des choses. Les rencontres et les perspectives font parfois grandir des idées sur des années, alors que la sensibilité et la maturité se développent.

Explorez le Chapitre 5 pour en apprendre plus et pour réfléchir sur les manières d’aller à la rencontre des autres dans le contexte de votre projet.

 

3.1.2. Questionnements pour votre projet

Problématique ou enjeu exprimé par la communauté visée

 

 

3.1.3. C’est l’histoire de… Antoine et Sarah

L’histoire suivante présente un exemple de comment a été vécue la démarche par des personnes dans la communauté. Elle vise à illustrer plusieurs des notions abordées ci-dessus et à aider à imaginer ce à quoi cela peut ressembler dans la vraie vie.

Antoine et Sarah

Antoine et Sarah sont sensibles à l’enjeu grandissant du plastique dans les océans. Ils se sont dit qu’une manière d’aborder la chose serait de travailler au niveau des grands fleuves. Tout en charriant leur propre lot de déchets plastiques, les fleuves grandissent aussi des eaux de leurs affluents. C’est tout un réseau hydrique qui emporte ainsi les déchets plastiques des terres jusqu’à la mer. L’idée de projet d’Antoine et de Sarah est de développer une solution qui pourra capter les bouteilles de plastique déversées dans les fleuves. Ils s’intéressent plus particulièrement aux grands fleuves d’Afrique.

Depuis la France, ils commencent à regarder comment leur projet peut prendre vie. Alors qu’ils s’intéressent à de grands fleuves comme le Sénégal, l’Orange ou le Congo, des premiers contacts sont établis via des personnes qu’ils connaissent au sein d’organismes locaux dans leur ville à Gand. Ces organismes les mettent en relation avec des personnes qui réfléchissent et agissent sur cet enjeu dans différents pays d’Afrique. Les conversations se font par téléphone cellulaire pour la plupart des entretiens, avec quelques appels sur une plateforme de visioconférence. Malgré des problèmes de connexion Internet qui les obligent à reprendre des appels, Antoine et Sarah arrivent à parler à près d’une douzaine de personnes.

À travers les conversations, ils réalisent rapidement que le réel enjeu ne vient pas de la quantité de plastique déversée dans la chaîne de recyclage et de traitement des déchets qu’ils ont imaginée, mais plutôt des habitudes et des comportements des individus. Ce n’est pas dans leur culture de rapporter les bouteilles de plastique à un centre de triage. Les démarches d’Antoine et de Sarah sur le terrain leur permettent petit à petit de mieux comprendre les dynamiques locales autour de l’usage du plastique. Ils constatent qu’une idée de projet comme celle-ci mérite une exploration plus approfondie du contexte de la situation problématique. Une compréhension des dynamiques socioculturelles et économiques et du changement de comportement à opérer sur le plan des localités est essentielle. Ils constatent aussi que d’autres acteurs bien établis sont actifs dans la région sur ces enjeux. Ceci dépasse rapidement leur réalité étudiante en matière de temps et de ressources à consacrer pour la réussite du projet. Ils se découragent et abandonnent ce projet qu’ils voulaient développer dans le cadre de leurs études.

Et pourtant, les voilà sensibilisés à l’importance de s’interroger sur la source de la situation problématique dans des enjeux complexes plutôt que sur les conséquences. Le temps passe, et les idées font leur chemin. Pendant l’été, Antoine discute à droite et à gauche avec les copains, notamment avec Jodie et Charles, qui reviennent respectivement de leur voyage en Colombie et au Bénin. Antoine est motivé par l’engouement qu’il entend autour de lui pour ces connexions internationales et ce sentiment d’habiter une même planète. Il s’implique à l’automne dans le groupe de coopération internationale de son université. Avec son expérience d’idéation du projet sur le plastique et avec son regard sur l’importance de bien comprendre les contextes avant d’entreprendre des projets, il prend rapidement la responsabilité du groupe et sert de conseiller dans le développement de projets portés à l’international par la communauté étudiante.

Sarah, quant à elle, prend l’avion pour Dakar à l’hiver qui suit. Elle a trouvé une mission scientifique dans le département de géographie de son université, qui part faire une étude sur les dimensions politiques de l’eau, dans la gestion du fleuve Sénégal entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Sa sensibilité pour la pollution des eaux par le plastique l’amène ainsi à se consacrer à un autre enjeu qu’elle découvre dans toute son actualité : la gestion humaine de l’eau douce sur la planète. Portée au-delà des frontières par sa vision, elle consacre, durant les années qui suivent, son énergie à la recherche et à l’évolution de la politique pour une gestion de l’eau douce centrée sur la géographie et les peuples. Sa motivation et l’expérience qu’elle développe durant ses études lui ont permis de décrocher un poste de chargée de projet au sein de l’organisation non gouvernementale (ONG) Eau Sans Frontières, à son bureau de Paris, en France. Cette exploration dans leur parcours aura permis à Antoine et Sarah de cheminer vers leurs projets respectifs, à partir de leur idée initiale et d’interactions avec de nombreuses personnes autour d’eux.

 

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