3.2. Qui en demande et en quoi c’est distinctif

Une fois qu’une idée de projet semble se profiler et être souhaitée par la communauté visée, vous pouvez passer à une exploration plus poussée pour vérifier comment elle va réellement prendre vie. Le repère « Qui en demande et en quoi c’est distinctif » invite ainsi à prendre un pas de recul, à viser une version plus étoffée de l’idée de projet et à juger de sa pertinence réelle en lien avec le marché dans lequel le projet va s’insérer. C’est ce qui affine votre réflexion à la question 3 des sept questions pour intégrer l’approche « modèle d’affaires » : « Vous offrez quoi et à qui plus précisément ? » Au-delà des études de marché, le travail lié à ce repère consiste à explorer plus précisément l’expérience de la clientèle ainsi qu’à s’informer davantage sur les personnes à qui le projet est destiné et sur leurs habitudes quotidiennes. L’expérience de la clientèle, c’est précisément l’ensemble des perceptions et des émotions qu’une personne vit en contact avec son environnement, et donc aussi comment le projet va venir interférer dans cette expérience. Cela vous permettra de mieux répondre aux questions 4 et 5 des sept questions pour intégrer l’approche « modèle d’affaires », qui sont liées à cette exploration de l’expérience de la clientèle : « Vous comptez générer du revenu comment ? » et « Comment cette offre sera-t-elle connue et livrée à la clientèle ? » Encore ici, la rencontre des personnes visées par l’idée de projet doit se faire avec une posture d’ouverture, d’observation et de curiosité de leurs manières de faire et de voir le monde.

Ultimement, la compréhension plus fine de ce qui est un irritant ou de ce qui apporterait une valeur ajoutée dans l’expérience de la clientèle ou des bénéficiaires permet de formuler une proposition de valeur adéquate. Cette expérience doit être observée, discutée sur le terrain et décrite par vous afin d’en comprendre l’état actuel et comment vous comptez l’améliorer. Votre proposition de valeur est ce qui caractérise le produit ou le service qui vient améliorer l’expérience de la clientèle ou des bénéficiaires. Cette proposition de valeur doit se distinguer de ce qui est déjà offert à cette communauté. Elle peut aussi venir complémenter d’autres offres actuelles ou leur ajouter de la valeur. C’est à vous d’explorer la chose en observant les personnes ciblées et en dialoguant avec elles.

 

3.2.1. Notions de base

Dans la pensée « modèle d’affaires », les personnes intéressées par votre produit ou votre service sont désignées par l’expression segments de clientèle. Ainsi, une identification fine des personnes visées par l’idée de projet et de leur expérience actuelle sert à mitiger les risques de se lancer sans savoir si cela répond à un besoin réel. Cette réflexion permet donc de cibler la clientèle ou les bénéficiaires les plus importants pour le développement de l’idée. Dans le langage du milieu, le concept d’archétype de clientèle (ou persona) tient lieu de descriptif des caractéristiques de ces personnes (groupe d’âge, profession, situation familiale, habitudes de consommation, médias, etc.). Ce descriptif permet de personnifier l’information récoltée pour formuler une proposition de valeur adéquate. Au départ, vous êtes en mesure d’énoncer des hypothèses sur l’archétype de votre clientèle ou de vos bénéficiaires, le deviner en quelque sorte. Or, ce n’est que par la rencontre des personnes et par vos observations sur le terrain que ces hypothèses seront par la suite confirmées ou infirmées.

Il n’y a donc pas de recette toute faite, et cela demande d’aller sur le terrain pour regarder, écouter et sentir les choses. Sachez que l’observation est déterminante lors de cet exercice. L’observation consiste à décrire ce que l’on voit de manière extérieure comme si l’on filmait les personnes. Des recherches préliminaires peuvent aussi se faire à travers des sources secondaires (Internet, documentation, études de marché, etc.), mais la richesse provient des détails et des subtilités apportées par ce que les personnes racontent dans les récits de leur expérience. Ces récits sont une fenêtre sur leur vision du monde et les valeurs qui régissent celle-ci. En prenant des notes sur ce que les personnes rencontrées font, sur les lieux où elles se tiennent, sur ce qui influence leurs décisions et sur ce qui fait partie de leurs perceptions sensibles du monde, vous pourrez mieux comprendre leurs comportements et savoir si ce que vous proposez s’insère bien dans leur expérience.

Votre proposition tire justement sa valeur de ce qu’elle propose de différent et de mieux par rapport à ce qui est proposé dans le marché actuellement. C’est ce qu’on appelle dans le jargon entrepreneurial le product-market fit ou l’adéquation d’une proposition de valeur aux segments de clientèle. Notez bien que le monde humain étant vivant et changeant, cette adéquation sera amenée à changer dans le temps et demandera des ajustements. L’observation et les discussions en continu sont une bonne manière de porter une attention particulière à cet aspect vivant du projet.

Aussi, l’aspect distinctif de votre proposition de valeur permet aux personnes concernées de la différencier, de la reconnaître et de l’estimer en tant que telle dans leur contexte de vie. Selon la nature des marchés envisagés, c’est aussi ce qui constitue votre avantage concurrentiel et qui justifie, en partie, la raison d’être de votre projet. D’autres personnes ou organisations offrent peut-être des propositions de valeur semblables à la vôtre dans l’environnement des personnes visées. Une connaissance de ces offres est essentielle afin de mieux cerner la valeur ajoutée de votre idée de projet. L’exploration d’un partenariat avec ces offres concurrentielles peut même être envisagée.

Dans la pensée « modèle d’affaires », vos observations et vos discussions avec les personnes doivent aussi vous informer sur comment entrer en relation avec elles ainsi que comment maintenir et développer cette relation. C’est répondre à la question 5 des sept questions : « Comment cette offre sera-t-elle connue et livrée à la clientèle ? » La pensée « modèle d’affaires » désigne cela par les relations avec la clientèle et distingue les moments et les actions propres à l’initiation de la relation avec les personnes visées (Get), au maintien de la relation (Keep) et à son développement (Grow). En ce sens, la pensée « modèle d’affaires » désigne aussi les canaux comme un descriptif des manières d’acheminer le produit ou le service aux personnes visées. Ces manières doivent aussi être en lien avec leurs habitudes actuelles pour que, le plus naturellement possible, elles adhèrent à ce que vous proposez. Les relations avec la clientèle et les canaux sont deux composantes importantes dans la pensée « modèle d’affaires » puisqu’elles réfèrent à comment votre produit ou votre service sera acheté par les personnes. Sans leurs achats, c’est impossible de continuer.

En ce sens, le questionnement « qui en demande et en quoi c’est distinctif » est aussi l’occasion de vous informer sur la valeur (argent, temps ou autre) que ces personnes sont disposées à payer pour ce que vous proposez. Cela permet de poser un premier regard sur ce qui est désigné comme sources de revenus potentielles dans votre modèle d’affaires et de répondre à la question 4 des sept questions : « Vous comptez générer du revenu comment ? » Les sources de revenus peuvent être multiples. La vente à la clientèle ou aux bénéficiaires est la source la plus avantageuse puisqu’elle permet de vous financer à même les achats que font les personnes visées. D’autres sources de revenus peuvent provenir de subventions, de prêts ou d’autres formes d’aide financière. En fait, c’est de réfléchir aux entrées d’argent qui vont vous permettre de mettre en œuvre le projet imaginé et de le rendre viable et durable dans le temps.

En somme, tout ce travail d’observation et de discussion sur le terrain forcera une révision de votre idée initiale du projet. Ce faisant, le sens donné pour soi et la communauté d’entreprendre le projet sera aussi remis en question. Bonne nouvelle : ces efforts sont une saine gestion des risques de vous lancer et vous procurent des données du marché visé qui seront très utiles pour convaincre des partenaires financiers, des fournisseurs et votre personnel futur de vous suivre dans cette aventure. Il ne fait aucun doute que l’écho du terrain résonnera d’autant plus fort dans votre manière de raconter et de vendre votre projet.

Explorez le Chapitre 5 pour en apprendre plus et pour réfléchir sur les manières d’aller à la rencontre des autres dans le contexte de votre projet.

 

3.2.2. Questionnements pour votre projet

Observer et discuter l’expérience de la clientèle ou des bénéficiaires de votre projet

Cette section vous permettra d’approfondir l’intégration de votre projet dans une pensée « modèle d’affaires » en précisant le questionnement sur ce que vous offrez et à qui (proposition de valeur et segments de clientèle), sur comment votre offre sera connue et livrée à la clientèle (relations avec la clientèle et canaux) et sur comment vous comptez générer des revenus (sources de revenus).

 

QUESTION D’ARGENT $Sources potentielles (en ordre croissant, à partir du moins coûteux pour votre organisation)

  1. Ventes aux personnes visées, clientes ou bénéficiaires
  2. Subventions obtenues auprès d’organismes publics ou privés
  3. Négociation de rabais ou report de paiement auprès des fournisseurs
  4. Collecte de fonds ou campagne de financement (p. ex. : sociofinancement)
  5. Argent obtenu auprès de personnes proches de vous (love money)
  6. Argent personnel investi dans le projet
  7. Prêts obtenus auprès d’institutions financières
  8. Investissement sous forme de capital de risque

 

Les premières ventes restent le moyen de financement le moins coûteux pour assurer une entrée d’argent initiale dans le projet.

 

Pour chacune de ces sources
1. Lesquelles sont présentes actuellement pour votre projet ?
2. Lesquelles sont envisagées et à quel moment dans la vie du projet ?
3. Quel montant représente chacune des sources actuelles et envisagées dans le temps ?
4. À quelles conditions ces sources d’argent sont-elles disponibles ?

 

3.2.3. C’est l’histoire de… Camille et Assane

L’histoire suivante présente un exemple de comment a été vécue la démarche par des personnes dans la communauté. Elle vise à illustrer plusieurs des notions abordées ci-dessus et à aider à imaginer ce à quoi cela peut ressembler dans la vraie vie.

 

Camille et Assane

Camille est membre du conseil municipal de la ville de Lens, en France. En lien avec les projets d’aménagement de la ville et la nouvelle politique de développement durable, elle explore avec Assane, un architecte-urbaniste, et son équipe comment modifier les comportements de mobilité de la population. L’idée est de rendre le quartier dont elle s’occupe plus vert et convivial. La voiture individuelle reste en effet très utilisée, alors que d’autres solutions pourraient valoriser les espaces publics du quartier tout en permettant une transition vers des modes de vie plus écologiques. Une solution urbaine est explorée avec l’implantation de bornes de recharge pour véhicules électriques et l’adoption du covoiturage pour les plus longues distances vers les villes avoisinantes.

Camille et Assane ont recherché ce qu’il se passe dans d’autres communautés pour dégager les meilleures tendances. Des plans d’architecture sont déjà sortis avec des dessins de ce que les espaces bien connus de la municipalité pourraient devenir. Le quartier dont Camille et Assane s’occupent à Lens est à échelle humaine, il leur paraît donc simple de pouvoir mener ce petit changement, surtout après avoir étudié l’exemple d’autres villes et quartiers.

Un soir, alors qu’ils sont en train de discuter de leur projet au café du coin, ils rencontrent Louise. Elle leur dit que c’est une bonne idée, mais que, personnellement, elle ne ferait tout simplement pas le changement. Emmener les enfants à l’école, aller au travail puis à l’épicerie et pouvoir faire des kilomètres en voiture dans la campagne pour se promener, cela lui convient très bien comme ça. Elle essaie déjà d’acheter local et de prendre le vélo pour les courtes distances, cela suffit ! Camille et Assane savaient qu’ils devraient sensibiliser la population à leur projet, mais la remarque de Louise les alerte et les fait douter. Le projet a tout de même un coût dans le budget municipal.

Camille et Assane décident alors de faire une affiche qui annonce le projet. Celle-ci est distribuée dans les commerces du coin et au bureau de poste. Leur objectif à travers ce moyen peu coûteux : recueillir la rétroaction des citoyennes et citoyens pour confirmer l’intérêt de la démarche. Le lendemain, Camille, Assane et les membres de leur équipe se dispersent dans la ville. Le projet provoque un tollé. Que ce soit dans la rue principale ou dans les petites rues adjacentes, tout le monde échange avec des personnes venues chercher leur pain à la boulangerie ou leurs colis au bureau de poste. Le projet anime les conversations de la matinée avec de nombreuses remarques désagréables. Camille et Assane réalisent que la communauté n’est pas du tout prête pour les changements auxquels ils ont pensé. Entre leurs bonnes intentions liées au mouvement sociétal de transition socioécologique et la réception citoyenne du projet, il y a un monde. Ils décident alors d’abandonner ce projet qui n’a aucune désirabilité sociale, économisant ainsi de nombreux coûts à la Ville. Ils restent cependant présents et attentifs à ce qui pourrait prendre vie dans la communauté de leur quartier et à l’évolution des circonstances.

 

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