2.3. Quel sens pour soi et la communauté

Le sens pour soi et la communauté est un repère pour vous questionner sur la raison d’être de votre démarche entrepreneuriale. Pourquoi tenez-vous à réaliser ce projet ? Qu’est-ce que cela vous apportera ? À part vous, y a-t-il des personnes qui vivent là qui verront une valeur à votre projet ? En fait, c’est se questionner sur le sens même du projet, pour qui et pour quoi le faire. À travers cette réflexion, vous commencez à imaginer et nommer la valeur ajoutée de ce que vous proposez.

Ce repère invite à ancrer le projet dans son utilité réelle pour les personnes d’une communauté ciblée, dans ce qui motive votre envie de le faire et dans les valeurs que vous souhaitez mettre de l’avant. Au-delà de la forme que peut prendre le projet, se ramener constamment à sa raison d’être permet de générer un sentiment de cohérence entre soi, la communauté visée, les valeurs partagées et les actions posées.

Le sens agit donc comme l’Étoile du Nord qui permet de se retrouver lorsque les événements nécessitent de prendre des décisions et que d’autres influences pèsent dans la balance. À travers le temps, l’Étoile du Nord permet de se rappeler le contexte du projet et ses bénéficiaires. Elle invite aussi à développer une meilleure connaissance de soi et de ses interactions avec les autres et à préciser les actions à poser. Le sens est ce qui donne vie au projet, interpelle les gens autour de vous et les motive à se joindre à cette aventure.

Explorez le Chapitre 5 pour en apprendre plus et pour réfléchir sur les manières d’aller à la rencontre des autres dans le contexte de votre projet.

 

2.3.1. Notions de base

Le sens pour soi et la communauté est fondamental dans un projet. Lorsque les actions et les décisions sont prises à partir de cet ancrage partagé, ce sont des projets pleins de vitalité et pérennes qui voient le jour. Ils contribuent à un épanouissement collectif en lien avec l’expérience des êtres, vivants, que sont les êtres humains. A contrario, des projets qui ne trouvent pas cette assise, ou ne la renouvellent pas dans le temps, tendent à s’essouffler sur le plan de la motivation, des ressources et de la réalisation humaine.

Les idées de projet ancrées dans un sens viennent forcément d’une observation et d’une lecture sensible du monde autour de vous. C’est votre regard sur le monde et comment vous souhaitez l’améliorer qui génèrent votre motivation à entreprendre votre projet. C’est pourquoi les fondements de la démarche entrepreneuriale proposée soulignent la place importante de l’observation ethnographique, de l’agir à partir de besoins de la communauté, du dialogue et des relations sociales, et, à travers cela, d’une meilleure connaissance de soi.

Ce dialogue permet autant la rencontre de l’autre, la génération d’un sens partagé de ce qui est perçu du monde autour de vous que la création de nouvelles possibilités de mise en œuvre des idées. Dans la démarche entrepreneuriale, l’expérience prime, toujours, pour ce qui est de connaître les personnes, les réseaux et le milieu dans lesquels votre projet prend vie. Cela demande de s’exposer à différents contextes d’interaction. Toute idée de projet doit provenir d’un dialogue avec l’autre visé par le projet, sans quoi elle porte peu de valeur et risque d’être incomprise ou de ne pas avoir assez de résonance pour se concrétiser.

Dans une pensée « modèle d’affaires », la proposition de valeur émerge donc de la rencontre avec les personnes visées par le projet. C’est ainsi qu’elle devient un élément central du modèle d’affaires. Elle sert de compréhension de la valeur que le projet peut apporter aux personnes concernées par le projet. Celle-ci peut être d’ordre économique, social, culturel, politique ou encore environnemental. Sur le plan économique, les personnes visées peuvent par exemple dépenser moins pour un produit ou un service de qualité similaire. Sur le plan social et culturel, le fait de proposer quelque chose fabriqué localement, par exemple, apporte une valeur au projet. Sur le plan politique, un projet qui fait preuve d’autonomie et qui redonne aux communautés est porteur. La création de valeur environnementale peut être générée autant dans la manière de fabriquer que dans celle de prendre soin des gens qui vous épauleront dans la mise en œuvre du projet. En fait, dès qu’une activité amène un « plus » dans ce qui se fait, cela crée de la valeur.

Dans notre approche, la proposition de valeur s’ancre donc, avant tout, dans l’impact souhaité du projet pour les personnes et les communautés ainsi que dans vos motivations et vos valeurs personnelles. En ce sens, à travers son concept du Golden Circle, l’auteur et conférencier américano-britannique Simon Sinek (2009) présente l’importance d’identifier le « pourquoi » du projet (le why). Il démontre qu’au-delà du « quoi » et du « comment » de l’activité entrepreneuriale, les personnes que vous souhaitez mobiliser par vos idées de projet réagissent et interagissent avant tout avec le « pourquoi » de ce que vous faites. C’est aussi ce que cette réflexion sur le sens pour soi et la communauté du projet propose, pour bien ancrer votre démarche. Une proposition de valeur ancrée dans la raison d’être du projet (le why) est en effet d’autant plus forte, tant sur le plan de la pérennité du projet que de la mobilisation des personnes et des communautés pour le soutenir et mettre en œuvre. C’est donc important d’y réfléchir et de l’identifier !

 

book  Références

Sinek, S. (2009). Start with why: How great leaders inspire everyone to take action. Penguin.

 

2.3.2. Questionnements pour votre projet

Réflexion | Se questionner

Questionnements pour votre projet

  1. Quelles sont les personnes visées par votre idée de projet ?
  2. Que savez-vous de ces personnes (lieu géographique, groupes sociaux, habitudes de vie, expérience actuelle avec un produit ou un service similaire, etc.) ?
  3. Avec quelle(s) communauté(s) ces personnes interagissent-elles ?
  4. À ce jour, avez-vous rencontré ces personnes ?
  5. Si oui, combien de rencontres avez-vous eues ?
  6. Si oui, qu’est-ce que ces rencontres vous ont appris sur le sens de votre projet pour ces personnes ?
  7. Sinon, comment et quand comptez-vous rencontrer ces personnes ?
  8. Avez-vous besoin d’aide pour aller à la rencontre de ces personnes ?
  9. Si oui, quelle forme d’aide souhaitez-vous ?
  10. Quelle(s) valeur(s) votre projet viendrait-il apporter aux personnes que vous visez ?
  11. Suivant ces rencontres, quelles sont vos motivations personnelles à réaliser ce projet ?
  12. Pourquoi est-ce important pour vous d’aider cette communauté de personnes que vous visez ?
  13. À la fin du projet, qu’est-ce que vous aimeriez que cette communauté dise de vous ?
  14. Est-ce que les personnes qui réalisent ce projet avec vous (partenaires) ou vous soutiennent (bailleurs de fonds, coachs, proches) ont les mêmes motivations que vous ?
  15. Avez-vous formellement discuté avec ces personnes de leurs motivations à réaliser le projet ?
  16. Qui peut vous aider à réfléchir sur le sens pour soi et la communauté du projet ?

 

2.3.3. C’est l’histoire de… Alex, Julia et Benoît

L’histoire suivante présente un exemple de comment a été vécue la démarche par des personnes dans la communauté. Elle vise à illustrer plusieurs des notions abordées ci-dessus et à aider à imaginer ce à quoi cela peut ressembler dans la vraie vie.

 

Alex, Julia et Benoît

Alex, Julia et Maxime sont trois amis qui étudient en génie mécanique au Québec, au Canada. À travers leur projet de fin de baccalauréat universitaire, ils développent une idée de solution pour nettoyer les embarcations nautiques afin d’éviter la propagation des espèces invasives dans les lacs. Pour Alex, l’engagement pour la protection des lacs vient de son expérience des étés en famille où baignade et pêche rythment le quotidien. Avec le temps, il a vu la santé du lac Saint‑Paul se dégrader avec la présence abondante d’algues invasives et la qualité de l’eau qui se détériore. Julia, elle, a fait un stage étudiant dans une nouvelle entreprise qui s’intéresse à la pollution des océans. Cela l’a fortement sensibilisée à la dynamique de l’eau. Maxime, quant à lui, aime être dans l’action et adore les défis de développement de nouvelles solutions techniques. Ensemble, ils sont motivés par la recherche de solutions en lien avec cette problématique de la conservation des lacs.

La démarche entrepreneuriale est nouvelle pour eux, mais la volonté de faire quelque chose pour cet enjeu environnemental qui leur tient à cœur les motive à explorer et apprendre. Pendant leurs études, ils ont eu des formations qui leur ont permis d’imaginer des solutions à cette problématique qui les unit. Ainsi, mettre des toiles de jute sur le fond des lacs et couper les tiges des plantes pour limiter la pousse des algues sont des solutions envisagées. Toutefois, la démarche entrepreneuriale proposée les oblige à un questionnement sur le sens du projet pour soi et la communauté. Pour les trois, l’environnement est une préoccupation partagée. C’est important d’agir maintenant, mais la question « Qui est visé plus précisément par la solution proposée ? » leur échappe un peu.

Ainsi, sur la question de la communauté visée, les réponses sont plus évasives. Au départ, ils affirment que ce sont toutes les municipalités lacustres qui pourraient être visées par le projet. Or, en disant cela, les trois amis se rendent bien compte qu’une telle cible est trop grande et impossible à gérer dans leur réflexion et dans le développement de projet actuel. C’est à ce moment que Julia propose la communauté de North Hatley, en bordure du lac Massawippi, dans les Cantons‑de‑l’Est, au Québec. Elle a passé quelques étés là-bas dans la maison secondaire de la famille d’une copine pendant son secondaire. Elle a vu, à cette époque, le problème des algues bleues émerger pour les personnes résidentes des alentours. Elle pense ainsi que le conseil municipal pourrait toujours être accueillant d’idées innovantes. Alex et Maxime sont ouverts à l’idée d’explorer la chose. Ils se sentent soudainement interpellés et plus motivés, maintenant que des personnes sont directement ciblées par le projet.

Suivant quelques appels avec sa copine, ses parents et des amies de North Hatley, une rencontre est organisée avec des membres du conseil et une consultante en environnement qui était intervenue à l’époque des algues bleues. À cette première rencontre, les trois amis présentent ce qui a été imaginé. Or, ils réalisent à cette occasion que ce qu’ils imaginaient n’est pas faisable. Pire, cela a un impact sur l’équilibre des espèces indigènes et aggrave le problème. C’est toute une surprise et une grande déception pour les trois amis. Ils ont investi tellement de temps et d’effort dans ces solutions proposées ! De plus, Maxime exprime son inquiétude que cette rencontre puisse entacher leur crédibilité auprès des personnes rencontrées. Cela dit, Julia le rassure : les parents de sa copine lui ont raconté que les personnes rencontrées avaient bien aimé l’ardeur des jeunes. En fait, elles aimeraient bien qu’ils reviennent vers elles avec une proposition mieux adaptée à leur contexte. Ceci sécurise Maxime et insuffle encore plus de motivation aux trois amis pour s’investir dans une meilleure compréhension de la problématique.

Cela les amène donc à réfléchir de manière plus systémique aux causes réelles du problème, mais surtout à se questionner sur la communauté visée par le projet qu’ils aimeraient développer. Le lac est grand, et les personnes concernées sont multiples. Les trois amis doivent donc rencontrer de nombreux acteurs municipaux, organismes, personnes résidentes et propriétaires autour du lac pour parfaire leur compréhension des expériences vécues et des solutions envisagées à ce jour. Ces rencontres prennent du temps à organiser avec les agendas plutôt chargés des personnes à rencontrer.

Par conséquent, Alex, Julia et Maxime décident de louer une maison ensemble près du lac, tout un été, pour se consacrer au projet à plein temps. Cela leur permet d’observer et de rencontrer les gens. Ils décident alors de pousser l’idée d’une solution de limitation de la propagation des algues par le nettoyage des embarcations qui passent d’un lac à l’autre. Leurs rencontres et leurs recherches permettent également de réaliser l’impact de leur solution sur la protection de la valeur foncière des habitations riveraines et du tourisme. Ils réalisent que les municipalités sont intéressées à des actions de type préventif pour éviter des coûts d’entretien exorbitants. En fait, leur présence sur les lieux renforce un sentiment d’appartenance. Ils prennent conscience que les membres de la communauté commencent à sentir le sérieux de leur investissement dans le projet. Les relations changent. Cette motivation d’agir en amont du problème et de répondre aux besoins de plusieurs personnes, qui maintenant ont des visages et des noms, vient s’ajouter à leur amour de la dynamique des lacs.

Aujourd’hui, Alex, Julia et Maxime comptent sur leur camaraderie et leur passion commune pour continuer à développer le projet vers la création d’un organisme à but non lucratif (OBNL). Leurs motivations sont plus que jamais alignées, et la communauté les adopte de plus en plus. La communauté est en mesure d’apprécier le sens du projet et ce que ces jeunes tentent de léguer au milieu. Enfin, c’est un sens du projet plus réfléchi qui, maintenant, peut être énoncé. Si au début de l’aventure, la protection de l’environnement tenait lieu de sens pour soi, maintenant, Alex, Julia et Maxime décrivent le sens pour soi en nommant des personnes et en racontant des histoires réelles d’amélioration du lac Massawippi. Sens pour soi et sens pour la communauté sont maintenant soudés et motivent les jeunes, plus que jamais, à rendre pérenne l’OBNL créé.

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