1 Introduction

Elliott H. Berger et Jérémie Voix

Un protecteur auditif, ou protecteur individuel contre le bruit (PIB) est un équipement de protection individuel (EPI) porté pour réduire les effets auditifs nocifs et/ou gênants du son. L’utilisation de PIBs est souvent une méthode de dernier recours lorsque d’autres moyens tels que les contrôles techniques ou l’éloignement de la personne de l’environnement bruyant ne sont pas faisables pour des raisons pratiques ou économiques (voir Mise en contexte pour plus de détails).

Dans une large mesure, la recherche et le développement en matière de protection auditive ont commencé pendant et après la Seconde Guerre mondiale en réponse aux énormes pertes auditives causées par les opérations militaires. Les programmes de conservation de l’audition et l’utilisation de protections auditives dans l’armée et l’industrie ont suivi au début des années 1950, se sont multipliés au début des années 1970 et ont explosé dans les années 1980, encouragés -aux États-Unis- par des réglementations fédérales imposant l’utilisation de protections auditives dans les milieux professionnels (OSHA, 1983a). Alors que le nombre et la variété des produits disponibles ont considérablement augmenté au cours des 60 dernières années, leur qualité s’est également améliorée. La variable cruciale, cependant, est restée la même : le porteur, ou utilisateur et comment il ou elle ajuste et utilise le PIB. Ainsi, une grande partie de ce chapitre se concentre sur les aspects pratiques de la sélection, de l’ajustement, de l’utilisation des protecteurs auditifs, ainsi que sur les détails connexes de leur performance sur le terrain, dans le monde réel (par opposition au laboratoire).

Choisir le bon protecteur auditif

À bien des égards, choisir le bon protecteur auditif relève plus de l’art que de la science. Bien que les développements technologiques récents (voir le chapitre sur les procédures de mesure de l’atténuation et le chapitre sur les tests d’ajustement des protecteurs auditifs) soient désormais d’une grande aide pour mesurer l’atténuation individuelle et estimer les performances terrain des PIBs, la détermination du niveau de confort et de l’acceptabilité d’un PIB reste encore imprécise. Les professionels devant recommander des PIBs et dispenser ces derniers devraient être reconnus pour leur capacité à travailler avec les gens, leur maitrise de l’art de l’éducation et de la motivation, leurs talents de supervision, leurs soucis de l’application, l’attention,  l’ergonomie et l’observation pratique. Pour plus de 90% des industries bruyantes, les niveaux d’exposition (TWA ou LEX) sont inférieurs à 95 dBA (Royster et Royster, 1999); par conséquent, tout ce dont on a besoin est de 15 dB d’atténuation effective sur le terrain, une valeur que la plupart des protecteurs auditifs, lorsqu’ils sont correctement ajustés, peuvent facilement fournir. [1]. L’atténuation du PIB prend alors une importance secondaire, voire tertiaire, et les professionnels dispensant les PIBs doivent tenir compte du confort, de l’ergonomie, des besoins d’audibilité  et de communication, des conditions climatiques ambiantes et des autres conditions de travail, de même que du coût, de la durabilité et même parfois du « style » du PIB. Un PIB avec une atténuation plus faible, porté correctement et de manière continue, chaque fois qu’il y a du bruit, peut souvent fournir une protection plus efficace que les produits de qualité supérieure qui sont mal utilisés ou utilisés sporadiquement.

Aux États-Unis, l’avènement du Noise Reduction Rating (EPA, 1979) ou NRR, comme on l’appelle communément, avec la précision et simplicité qu’il semblait fournir, ont jeté une importance indue sur les valeurs d’atténuation PIB. En conséquence, les fabricants de protecteurs auditifs ont tout misé sur la valeur du NRR et une bataille de chiffres inflationnistes s’en est suivie. Le NRR s’est encore davantage retrouvé lorsque l’administration OSHA l’a incluse comme méthode préférée pour évaluer l’a conformité du PIB à la loi sur la protection de l’audition (OSHA, 1983a). Dans de nombreux cas, d’autres paramètres clés de performance ont été négligés en faveur du NRR le plus élevé lors du choix du PIB. Cela a contribué historiquement à l’insatisfaction du porteur et à une mauvaise utilisation, souvent non-continue, avec comme résultat une protection inadéquate.

Une autre préoccupation liés à l’atténuation d’un PIB était de savoir comment répondre à une question apparemment simple et logique : « Quelle est la réduction du bruit que les protecteurs auditifs peuvent-ils réellement apporter? » Or répondre à une telle question n’est pas chose aisée  (voir la section sur l’Atténuation du monde réel) et l’utilisation des données optimales provenant des tests en laboratoire n’a jamais fourni une réponse adéquate. Par conséquent, le NRR calculé à partir des données de laboratoire est généralement reconnu comme fournissant peu d’indices pour la sélection des PIBs et la prédiction de la protection auditive obtenue (NIOSH, 1998). En fait, on exagère à peine en disant que le seul mérite du NRR est d’indiquer que le produit auquel il est associé a été conçu et testé pour la réduction du bruit!

Les travailleurs seront mieux servis lorsque l’accent principal des administrateurs de programmes de conservation de l’ouïe (ou de prévention des pertes auditives) est mis sur l’apprentissage des bases de la sélection, de l’ajustement et de la distribution appropriés des protecteurs auditifs (Berger, 2001, Royster, 1995). Le confort, ainsi que l’ergonomie humaine, devraient être évalués personnellement par les acheteurs potentiels et leurs employés. Les administrateurs de programmes auront une meilleure appréciation des dispositifs en cours d’examen s’ils les portent pendant 8 heures par jour pendant une période d’essai afin de développer leurs propres perceptions.

OSHA (1983b) exige qu’un employeur fournisse une « variété de dispositifs de protection auditive adaptés », ce qui a été interprété comme signifiant au moins un type de bouchon d’oreille et un type de casque antibruit, ou dans les interprétations écrites ultérieures de l’OSHA « selon le nombre nécessaire pour constituer une variété adéquate » OSHA (1983b) . Les directives préférées pour fournir un choix suffisant consistent à offrir un minimum de quatre dispositifs, comprenant au moins deux bouchons d’oreille et au moins un casque antibruit. Impliquer les employés dans le processus de sélection, obtenir leur « adhésion » si vous voulez, augmente la probabilité de maintenir leur participation au programme de prévention de prévention des pertes auditives (PPPA). Si un employé éprouve toujours des difficultés ou un inconfort après quelques semaines d’utilisation quotidienne, le protecteur devrait être réajusté, ou une autre taille ou un autre type de protecteur auditif devrait être distribué. Cependant, la sélection disponible ne devrait pas être trop grande, car les problèmes liés au développement d’une formation uniforme de haute qualité pour une grande variété de produits peuvent facilement devenir ingérables. De plus, un groupe limité de dispositifs facilite la réalisation d’essais utilisateurs dans l’usine, simplifie la gestion des stocks et des pièces de rechange, et peut permettre la négociation de contrats à plus grand volume et à moindre coût avec les fournisseurs.

Taux d’utilisation des PIBs et efficacité du programme de prévention des pertes auditives

Un grand nombre d’études examinant la performance des PIBs sur le terrain ont rapporté des taux d’utilisation dans des environnements où un bruit dangereux était présent. Berger, (2000a) a examiné 112 études diverses couvrant la période de 1981 à 1999 ; seulement quelques-unes visaient spécifiquement à examiner les taux d’utilisation. Sur la base des données tirées de 67 rapports, il a constaté que les taux d’utilisation dans l’industrie variaient largement, passant d’un minimum de 3 % dans une étude thaïlandaise à un maximum de 92 % dans une étude singapourienne. La moyenne de toutes les études était inférieure à 50 %, mais la bonne nouvelle était que sur la période étudiée, les taux d’utilisation étaient en augmentation.

Similairement aux conclusions de Berger, des preuves positives d’une augmentation des taux d’utilisation avec le temps (de 66 % à 87 %) entre 1981 et 2013 ont été rapportées dans une étude à grande échelle portant sur jusqu’à 150 000 travailleurs par an dans la province canadienne de la Colombie-Britannique (Gillis et Harrison, 1993, WorkSafeBC, 2013), une région mettant fortement l’accent sur la conservation de l’audition. Un autre rapport positif émane de la Suisse, un pays où les programmes PPPA sont supervisés et surveillés par le conseil d’assurance accident de l’État (SUVA). Hohmann, (2009) a fourni des preuves que sur une période de 32 ans, le pourcentage d’employés utilisant des PIBs dans l’industrie bruyante suisse est passé de 18 % en 1977 à 95 % en 2004. En Colombie-Britannique et en Suisse, ces améliorations notables ont été attribuées à la qualité, à la cohérence et à l’application des programmes respectifs. De plus, dans ces deux études à grande échelle et à long terme, les auteurs ont noté une réduction des taux de perte auditive qu’ils ont attribuée, au moins en partie, à l’amélioration de l’utilisation des PIBs.

Cependant, tous les résultats n’ont pas été aussi positifs. Groenewold et al., (2014) ont examiné les données de l’industrie américaine pour 19 911 travailleurs exposés au bruit dans une étude de cohorte rétrospective sur l’incidence sur cinq ans des changements de seuil d’audition. Bien qu’une analyse bivariée ait trouvé une augmentation de 23 % du risque d’encourir un changement de seuil d’audition standard de l’OSHA (STS) parmi les non-utilisateurs (ceux qui ne portaient jamais de dispositifs de protection auditive) par rapport aux utilisateurs continus de dispositifs de protection auditive, une analyse multi-niveaux plus complète a trouvé des différences non significatives, et seulement marginalement significatives pour la perte auditive à haute fréquence en utilisant 3, 4 et 6 kHz au lieu de 2, 3 et 4 kHz comme indicateur. Étant donné les problèmes d’atténuation réelle des HPD observés dans la pratique (voir la section sur l’Atténuation réelle plus loin), cette constatation n’est pas surprenante. Dans une méta-analyse de 21 études utilisant des essais contrôlés randomisés, Verbeek et al., (2012)  ont trouvé des preuves contradictoires selon lesquelles les PPPA et l’utilisation de PIBs étaient efficaces à long terme et ont appelé à une meilleure mise en œuvre et application. Dans une revue antérieure de la littérature sur le sujet, Dobie, (1995) a rapporté que bien que l’utilisation de protecteurs auditifs personnels puisse fonctionner, il n’a trouvé aucune étude fournissant des preuves convaincantes de l’efficacité, principalement en raison de lacunes méthodologiques dans les études disponibles. Il convient de noter que les études de Groenewold et al., Verbeek et al. et Dobie précèdent toutes l’arrivée des systèmes de test d’ajustement qui sont discutés plus tard (à la section « Les tests d’ajustement des PIBs« ).

Enfin, en ce qui concerne la promotion d’une utilisation plus importante de la protection auditive, El Dib et al., (2012)  ont résumé sept études à plan d’étude randomisé comprenant 4670 participants, tous exposés à des niveaux de bruit supérieurs à 80 dBA. Ils ont constaté que des interventions adaptées spécifiques aux individus ou aux groupes améliorent l’utilisation de dispositifs de protection auditive par rapport à l’absence d’intervention, et qu’une intervention de longue durée dans un système scolaire était également efficace (voir également la section .

L’utilisation de dispositifs de protection auditive aux États-Unis montre que environ 85 % des employés portant régulièrement une protection auditive contre le bruit professionnel choisissent des bouchons d’oreilles plutôt que des casques antibruit (Royster et Royster, 1984). On peut supposer que cela est dû à la préférence personnelle et au confort. Des preuves anecdotiques suggèrent qu’en Europe et en Australie, l’équilibre penche davantage en faveur des casques antibruit.

Références

Berger, E. H. (2000a). “Hearing Protection Device Utilization Around the World,” Spectrum Suppl. 1, 17, 18.

Berger, E. H. (2001). “The Ardent Hearing Conservationist,” Spectrum Suppl. 1, 18, 17–18.

Dobie, R. (1995). “Prevention of Noise-Induced Hearing Loss,” Arch. Otolaryngol. Head Neck Surg., 121, 385–391.

El Dib, R., Mathew, J. and Martins, R. (2012). “Interventions to Promote the Wearing of Hearing Protection (Review)”, The Cochrane Collaboration, by John Wiley & Sons, Ltd., Issue 4.

EPA. (1979). “Noise Labeling Requirements for Hearing Protectors,” Environmental Protection Agency, Fed Regist 44(190), 40CFR Part 211, 56130–56147.

Gillis, H. and Harrison, C. (1993). “Hearing Protection – What is the Best?” Spectrum Suppl. 1, 10, 20–21.

Groenewold, M.R., Masterson, E.A., Themann, C.L., and Davis, R.R. (2014). “Do Hearing Protectors Protect Hearing?” American Journal of Industrial Medicine, 57, 1001–1010. doi:10.1002/ajim.22323

Hohmann, B. (2009). “35 Years of Hearing Conservation in Switzerland, Lessons Learned by the Swiss National Accident Insurance Fund,” Spectrum, 26(2), 1 and 6–8.

NIOSH. (1998). “Criteria for a Recommended Standard – Occupational Noise Exposure, Revised Criteria,” No. DHHS (NIOSH) Pub. No. 98-126, Natl. Inst. for Occup. Saf. and Health, Cincinnati, OH.

OSHA. (1983a). “Occupational Noise Exposure; Hearing Conservation Amendment; Final Rule,” Occupational Safety and Health Administration, 29CFR191095 Fed Regist, 48(46), 9738–97,”

OSHA. (1983b). Standard interpretation letter to G. A. Brown from J. B. Miles regarding a “variety of suitable hearing protectors,” date Oct. 17, 1983. Retrieved November 3, 2014, from https://www.osha.gov/pls/oshaweb/owadisp.show_document?p_table=INTERPRETATIONS&p_id=19154

Royster, L. (1995). “In Search of a Meaningful Measure of Hearing Protector Effectiveness: Recommendations of the NHCA’s Task Force on Hearing Protector Effectiveness,” Spectrum, 12(2), 1 and 6–13.

Royster, L. and Royster, J. (1984). “Hearing Protection Utilization: Survey Results Across the USA,” J. Acoust. Soc. Am. Suppl. 1(76), S43. doi:10.1121/1.2021859

Royster, L. and Royster, J. (1999). “An Overview of Hearing Conservation Practices in the USA,” J. Acoust. Soc. Am., 105(2, Pt. 2), 1009. doi:10.1121/1.425833

Verbeek, J.H., Kateman, E., Morata, T.C., Dreschler, W.A., and Mischke, C. (2012). “Interventions to Prevent Occupational Noise-Induced Hearing Loss,” Cochrane Collaboration, Wiley & Sons, Ltd.

WorkSafeBC (2013). WorkSafeBC’s Hearing Loss Prevention Annual Statistics. Retrieved from http://www2.worksafebc.com/PDFs/hearing/statistics/annual_update_2013.pdf


  1. Cette cible de 15 dB est basée sur l'obtention d'une exposition protégée équivalente de 80 dBA, qui répond au niveau d'action généralement accepté de 85 dBA pour les programmes de prévention de la perte auditive, avec un facteur de sécurité de 5 dB. Pour des commentaires supplémentaires sur l'attribution des PIBs en fonction de leur atténuation, voir les sections sur l'atténuation dans le monde réel et les effets des PIBs sur la perception auditive et la production de la parole.
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Paupières d'oreilles - Tome I Copyright © 2023 by Elliott H. Berger et Jérémie Voix is licensed under a Licence Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Pas de modification 4.0 International, except where otherwise noted.

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