Pourquoi cet ouvrage ?

Mélanie Champoux

INTRODUCTION

Pourquoi cet ouvrage ? (Version PDF)

Bonjour,

Mon nom est Mélanie Champoux. Je suis doctorante en éducation à l’Université de Sherbrooke où j’enseigne les fondements de l’éducation en quatrième année du baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire. Mes travaux de recherche s’ancrent dans l’éducation contemporaine qui est traversée par des enjeux relatifs aux problématiques socioécologiques tels que les changements climatiques, le déclin massif de la biodiversité et l’augmentation criante des inégalités sociales, économiques et environnementales.

Notre époque est caractérisée par l’exacerbation d’une crise socioécologique dont le dénouement exige une transformation culturelle, soit une transformation de nos rapports au monde.

Afin de contribuer à l’intégration de ces enjeux importants dans les milieux universitaires de formation à l’enseignement et dans les milieux scolaires au primaire comme au secondaire, je m’intéresse donc à l’approche culturelle de l’enseignement qui constitue un pilier fondateur du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ).

L’approche culturelle de l’enseignement a été conçue dans la foulée des travaux qui ont accompagné la dernière réforme du curriculum de l’école québécoise au tournant des années 2000. Elle constitue une prescription du ministère de l’Éducation. De fait, le PFEQ stipule que la réalisation de la mission d’instruction et de socialisation de même que l’atteinte des trois visées de l’école québécoise, soit la structuration de l’identité, la construction d’une vision du monde et le développement d’un pouvoir-agir des enfants et des adolescents et adolescentes, reposent sur la mise en œuvre d’une approche culturelle par les personnes enseignantes.

Pour rendre plus tangible cette prescription, le PFEQ met de l’avant la notion de repère culturel. En effet, dans les différents documents du PFEQ, pour chaque domaine d’apprentissage, on trouve des listes de repères culturels servant à orienter la mise en œuvre d’une approche culturelle de l’enseignement. Il faut bien reconnaitre toutefois que ces repères culturels ont été définis il y a près de 25 ans.

En outre, le caractère prescriptif de l’approche culturelle s’incarne dans une compétence professionnelle à l’enseignement – une compétence dite fondatrice. C’est la compétence 1, qui est celle du pédagogue héritier, critique, interprète et médiateur d’éléments de culture.

Depuis le début des années 2000, plusieurs études tendent à montrer que l’approche culturelle de l’enseignement et la compétence 1 qui y est associée demeurent peu connues ou mal comprises des personnes enseignantes (Larouche et coll., 2022; Laroui, 2007; Manseau et Dezutter, 2007; Nadeau, 2020; Portelance, 2007; Raymond et Turcotte, 2012; Simard, 2010). Pour plusieurs, cette compétence parait floue, nébuleuse, abstraite. Pour certaines, elle peut paraitre « compliquée et même sans importance particulière » (Nadeau, 2020, p.16). Cette situation peut s’expliquer par de nombreux facteurs. D’abord, la culture – il faut bien le reconnaitre – est une notion que l’on dit polysémique, c’est-à-dire qu’elle peut revêtir une grande variété de sens, ce qui complique notre compréhension commune de la notion. Ensuite, parce que les formations initiales et continues à l’enseignement contribuent en réalité très peu à former les personnes enseignantes à cette approche.

Pourtant, l’approche culturelle comporte le potentiel de rendre les savoirs plus signifiants, plus concrets et plus pertinents pour une éducation humaniste tournée vers un meilleur vivre-ensemble et l’avènement d’une société plus juste, plus viable, plus démocratique, plus écologique. De plus, cette approche favorise la mise en œuvre de processus d’enseignement-apprentissage interdisciplinaires, voire transdisciplinaires, c’est-à-dire qui traversent toutes les disciplines et qui vont même au-delà de celles-ci en intégrant et en valorisant d’autres types de savoirs que les savoirs disciplinaires – comme les savoirs expérientiels qui impliquent plusieurs dimensions de l’être au monde; bien sûr, la dimension cognitive, mais également les dimensions affective et sensible.

Toutefois, je suis d’avis que dans le contexte actuel, marqué par de profondes problématiques socioécologiques, il devient nécessaire de transformer la vision que nous nous faisons généralement de la culture, à commencer par la notion de culture en contexte scolaire. Celle-ci est comprise, le plus souvent, comme un objet de savoir extérieur à soi que la personne enseignante est responsable de transmettre ou de médier auprès des élèves. Elle est aussi comprise comme rapport, mais dans ce cas, elle est le plus souvent envisagée comme l’expression des rapports qui se tissent exclusivement entre des êtres humains, au sein de sociétés. Il est en effet souvent question du patrimoine culturel comme la réalisation des grandes œuvres de l’humanité dans le domaine des arts, de la littérature, de l’architecture et des sciences.

Effectivement, dans notre conception moderne et occidentale de la culture, les autres qu’humains, que ce soit les animaux, les végétaux, les minéraux, les forêts, les rivières, les montagnes, le soleil et le vent, sont expulsés de la sphère culturelle pour être relégués dans la sphère dite naturelle. Lorsqu’il est question de culture, ils sont soit rendus invisibles – alors on n’en parle pas, on ne les considère pas – ou alors ils sont compris comme faisant partie d’un décor, inactif, inerte, où se déroulent les actions des humains en relation entre eux. Dans cette représentation du monde, les animaux, les plantes, des écosystèmes entiers se voient attribuer un rôle passif, exclusivement destiné à servir les intérêts des êtres humains et des sociétés. Ils ne sont pas considérés comme des entités sensibles, dotées d’une agentivité particulière, avec lesquelles nous sommes en relation réciproque, mais le plus souvent comme faisant partie de ce qu’on appelle la nature ou l’environnement. Les concepts de nature et d’environnement tendent à modeler une vision du monde que l’on dit anthropocentrée, soit centrée sur l’humain. C’est alors notre identité et notre pouvoir-agir qui sont à leur tour influencés par cette vision du monde dans laquelle nous, les êtres humains, serions radicalement séparés des autres qu’humains. Cette vision du monde est insuffisante, car elle échoue à reconnaitre les processus de coévolution historiques entre humains et autres qu’humains de même que leurs relations d’interdépendance actuelles et futures.

Les défis socioécologiques contemporains appellent donc à une réflexion approfondie concernant l’altérité; l’altérité entre humains bien sûr, mais aussi l’altérité vis-à-vis des autres qu’humains. Cette dimension de l’altérité, des relations à l’Autre, est essentielle à une réflexion sur les rapports au monde. Il nous faut réfléchir et mettre en œuvre une approche culturelle de l’enseignement qui contribue de manière pertinente à la structuration de l’identité, au développement d’une vision du monde et à la construction d’un pouvoir-agir qui soient orientés vers un horizon de justice pour tous les humains et les autres qu’humains, leurs intérêts étant en réalité intrinsèquement liés.

Pour cela, il nous faut notamment construire une vision du monde et structurer nos identités de manière à comprendre les êtres humains comme des êtres de nature et de culture, comme des êtres entretenant d’étroites relations, passées, présentes et futures, avec des humains et des autres qu’humains. Donc, une approche culturelle de l’enseignement pertinente dans le contexte contemporain devrait nous aider à nous situer comme des êtres écologiques, soit des êtres reliés au monde.

C’est à cette visée que notre équipe interdisciplinaire de personnes formatrices en enseignement travaille de manière collaborative. Culture – écologie – éducation. Une approche contemporaine de l’enseignement est une ressource d’autoformation qui propose des stratégies pédagogiques et des situations d’apprentissage concrètes afin de mettre en œuvre une approche culturelle de l’enseignement qui intègre la sphère des rapports écologiques au monde, et ce, de manière transversale à l’ensemble du programme de formation de l’école québécoise. C’est avec plaisir que nous vous offrons cette ressource éducative libre. Nous vous invitons à vous l’approprier et à la modifier afin qu’elle réponde à vos besoins, et ce, selon votre propre contexte. Vous pouvez aussi la partager avec vos collègues sans aucune limitation.

L’ouvrage est structuré par module et par chapitre. Le module 1 aborde les fondements d’une approche culturelle et écologique de l’enseignement. Il vise à situer les enjeux socioécologiques auxquels l’approche proposée dans cet ouvrage souhaite répondre. Les modules 2 à 7 proposent des repères théoriques et des pistes pédagogiques concrètes afin de mettre en œuvre une approche culturelle et écologique de l’enseignement à partir de différents domaines d’apprentissage prescrits par le PFEQ : français langue d’enseignement, géographie et histoire, sciences, mathématique, culture et citoyenneté québécoise et arts1 .

C’est à partir de leur double posture de personne apprenante et de personne formatrice que les auteurs et auteures qui ont collaboré à la conception de cette ressource d’autoformation s’adressant aux futures personnes enseignantes ainsi qu’aux personnes enseignantes en exercice. Leur objectif commun est de vous permettre de saisir les fondements de l’approche culturelle conçue au prisme des rapports écologiques au monde, telle que nous la proposons, afin de vous aider à construire votre autonomie professionnelle. Les pistes pédagogiques concrètes qui vous sont proposées permettent d’illustrer cette réflexion fondamentale et de vous donner un coup de pouce pour faire vos premiers pas.

En terminant, je voudrais vous souhaiter que la lecture de cet ouvrage numérique vous conduise à des réflexions fécondes et porteuses pour votre pratique enseignante et pour votre propre culture écologique. N’hésitez surtout pas à nous écrire pour nous faire part de vos questionnements, de vos réflexions et de vos expériences pratiques avec vos élèves en lien avec l’approche culturelle de l’enseignement.

Pour nous écrire: culture.ecologie.education@usherbrooke.ca

RÉFÉRENCES

 

Larouche, M-C., Monthuy-Blanc, J., Point, M., Touré, F., Fillion, P-F., Lemieux, V. et Akpedje, T. (2022). Être médiateurs culturels à l’UQTR : apprendre à apprécier et à intégrer des ressources culturelles à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire. Dans A. Araujo-Oliveira et Tremblay-Wragg, E., Des pratiques inspirantes au coeur de la formation à l’enseignement. (p.179-200). Presses de l’Université du Québec

 

Laroui, R. (2007). L’approche culturelle de l’enseignement du français et les pratiques enseignantes au secondaire dans le Bas-Saint-Laurent, Revue des sciences de l’éducation, 33(2), 371-381.

 

Manseau, S. et Dezutter, O. (2007). La compétence culturelle en formation initiale des enseignants de français au secondaire : état d’une expérience à visée intégrative. Revue des sciences de l’éducation, 33(2), 305–320.

 

Nadeau, A. (2020). Conceptions d’enseignants du primaire sur leur rôle de passeur culturel : effets de dispositifs d’intégration de la dimension culturelle à l’école québécoise. (Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal).

 

Portelance, L. (2007). Les savoirs partagés par l’enseignant associé et la stagiaire sur l’approche culturelle de l’enseignement. Revue des sciences de l’éducation, 33(2), 321-337.

 

Raymond, C. et Turcotte, N. (2012). Des pratiques inspirantes pour intégrer la dimension culturelle à l’école. Éducation et francophonie, 40(2), 119–138.

 

Simard, D. (2010). La réforme de l’éducation au Québec : un trésor était caché dedans. Dans M. Mellouki (dir.), Promesses et ratés de la réforme de l’éducation au Québec (p. 75-101). Les Presses de l’Université Laval.

 

1- Une deuxième version de l’ouvrage, en cours de rédaction, sera augmentée d’un module qui concerne l’éducation physique et à la santé ainsi qu’un module qui regroupe diverses situations d’apprentissage transdisciplinaires, et ce, en vue de mettre en œuvre une approche culturelle et écologique de l’enseignement de manière transversale à l’ensemble du curriculum et d’y intégrer des savoirs de type expérientiel.

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