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Mélanie Champoux

Par Mélanie Champoux

Chapitre 1.1 (Version PDF)

Présentation de l’auteure

De mon enfance, des écoles et des cours de récréation, je conserve un souvenir ambigu. Un souvenir à la fois triste et rempli d’espoir. Curieuse et bonne élève, j’aimais apprendre et j’aimais être félicitée. Je suis allée à l’école comme on attend le jour de son anniversaire,  ou celui de Noël. Je ne ménageais pas les efforts dans l’espoir qu’un jour adviendrait, enfin, la récompense tant attendue. Sauf que je n’avais qu’une vague idée de la récompense que j’attendais. Était-ce des collants brillants dans mon cahier? Était-ce de bonnes notes dans mon bulletin? Est-ce que j’espérais que ma « maitresse » dise à ma mère combien j’étais travaillante et « à mon affaire »? Est-ce que j’attendais simplement un regard de connivence dans les yeux de celles et ceux qui m’ont enseigné? Un regard qui semblait dire : tu as bien compris, tu es brillante. Tout cela, je l’ai reçu. Pourtant, l’impression d’aller à l’école en attendant mon jour d’anniversaire ne m’a jamais quittée, même lors de mes études de maitrise. D’où me venait cette impression d’espoirs déçus? C’est la question qui m’a guidée jusqu’à la formulation de mon projet de recherche doctorale. J’ai peu à peu réalisé que ce que j’attendais avec tant de ferveur de l’école c’est qu’elle me permette de me mettre en relation avec le monde. Je caressais depuis toujours l’idée que dans un lieu comme l’école, un espace rempli de savoirs et de personnes qui apprennent ensemble, je pourrais me tisser à la grande toile de la vie. Dans un coin de mon âme, je souhaitais que grâce à cette mise en relation, je puisse enfin devenir moi-même et apporter ce que j’ai de meilleur au monde. L’école devait me permettre d’exister et de créer en relation avec les autres, que ces autres soient des humains, des animaux, des plantes, des forêts, des rivières, un voilier de bernaches ou un coucher de soleil. C’est de cette vision de l’éducation qu’est née l’idée d’une approche culturelle conçue au prisme des rapports écologiques au monde.

Qu’est-ce que l’approche culturelle de l’enseignement dans le Programme de formation de l’école québécoise?

L’approche culturelle de l’enseignement (ACE) constitue un pilier fondateur du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ). Conçue dans la foulée des travaux qui ont accompagné la dernière réforme du curriculum de l’école québécoise au tournant des années 2000, cette approche constitue une prescription du ministère de l’Éducation. Le PFEQ stipule que la réalisation de la mission d’instruction et de socialisation de même que l’atteinte des trois visées de l’école québécoise, qui concernent la structuration de l’identité, la construction de la vision du monde et le développement du pouvoir agir (gouvernement du Québec, 2006), reposent sur la mise en œuvre d’une approche culturelle par les personnes enseignantes. Pour rendre plus tangible cette prescription, le PFEQ met de l’avant la notion de repère culturel. Les personnes enseignantes peuvent trouver dans les documents du PFEQ relatifs aux domaines d’apprentissage (DA) des listes de repères culturels à « exploiter » dans leur pratique enseignante. L’ACE est également assortie de balises contenues dans un guide qui a été publié en 2003. Ce guide, intitulé L’intégration de la dimension culturelle à l’école, propose plusieurs définitions de la culture et formule des critères pour la sélection et l’exploitation de repères culturels dits signifiants. Ces critères imposent notamment que les repères culturels « s’inscrivent dans l’évolution de l’une ou l’autre des disciplines scolaires » (p. 15), rappelant que « [l]es domaines des langues, des arts, de la mathématique, de la science et de la technologie, de l’univers social ainsi que du développement personnel correspondent à des composantes majeures de la culture avec lesquelles l’élève doit être mis en contact au cours de sa formation » (p.26). Par ailleurs, le caractère prescriptif de l’ACE s’incarne dans une compétence professionnelle à l’enseignement dite fondatrice (compétence 1) qui est celle du pédagogue héritier, interprète et médiateur d’éléments de culture. En outre, bien qu’il ne fasse pas partie des prescriptions concernant l’ACE, depuis 2023, un nouveau domaine d’apprentissage a été ajouté au PFEQ : le programme Culture et citoyenneté québécoise. Celui-ci repose sur une progression des apprentissages passant de l’exploration de réalités culturelles, à leur examen puis à la réflexion critique sur celles-ci. Enfin, le programme Culture-éducation facilite la tenue de rencontres, d’activités et de sorties culturelles et artistiques en contexte scolaire.

Pourquoi nous croyons qu’il faut aujourd’hui concevoir et mettre en œuvre une approche culturelle de l’enseignement qui intègre les rapports écologiques au monde ?

1er élément à considérer : Nous époque est caractérisée par l’exacerbation d’une crise socioécologique dont le dénouement exige une transformation culturelle, soit une transformation de nos rapports au monde.

À des degrés divers, nous sommes tous et toutes interpelés par les problématiques sociales et environnementales qui marquent de plus en plus le 21e siècle. Les problématiques relatives aux changements climatiques, au déclin massif de la biodiversité, aux divers phénomènes de pollution de l’air, de l’eau et du sol de même qu’à l’accroissement des inégalités sont intrinsèquement liées entre elles : ce sont des problématiques socioécologiques complexes. C’est-à-dire qu’on ne peut pas les comprendre et tenter de les résorber sans considérer les manières par lesquelles elles rétroagissent les unes les autres. Par exemple, l’augmentation des épisodes de sècheresse et de chaleur accablantes dus à l’augmentation des gaz à effet de serre exerce un impact sur la santé et la sécurité des plantes et des animaux, humains y compris, qui en sont affectés. Considérant le rôle important que jouent les animaux et les plantes dans le maintien des équilibres écosystémiques, la perte de biodiversité animale et végétale qui y est associée peut contribuer, en retour à l’exacerbation des changements climatiques de même qu’à la pollution des sols et de l’eau.

De plus, il faut bien reconnaitre que tous les êtres humains ne sont pas égaux face à ces détériorations environnementales. Certaines populations plus pauvres sur le plan économique vivent souvent dans des lieux plus fortement touchés par les sècheresses ou les inondations et elles disposent de moins de ressources pour s’en prémunir. L’augmentation des phénomènes relatifs aux changements climatiques contribue de ce fait à l’augmentation des inégalités économiques, sociales et environnementales. Par ailleurs, les populations qui sont le plus durement frappées par les dérèglements climatiques et les problèmes de pollutions environnementales sont aussi très souvent celles qui en sont le moins responsables. En effet, par leur mode de vie plus frugal, les populations moins aisées économiquement, exercent une plus faible empreinte écologique. Et que dire des animaux et des végétaux qui sont sans doute les plus grandes victimes des détériorations des conditions de vie sur Terre et qui n’en sont nullement responsables.

Ainsi, les problématiques socioécologiques sont marquées par des phénomènes d’injustice à l’égard de certains groupes d’humains et d’autres qu’humains. Aux fondements de ces problématiques, nous sommes amenés à reconnaitre l’existence de rapports au monde dévoyés, basés sur des dynamiques d’exploitation, de domination et d’invisibilisation (Chancel et coll., 2022; Fernández-Llamazares et coll., 2019; Larrère, 2017; Martinez Alier, 2016; Rosa, 2018). Par la surexeploitation des autres qu’humains (que l’on désigne trop souvent, et de manière inconsidérée, par l’appellation de ressources naturelles), par l’exploitation de certaines populations humaines au profit d’une industrie capitaliste, s’installe des formes de dominations de certains groupes d’humains sur d’autres humains et d’autres qu’humains. La nature (humaine et autre qu’humaine) est mise au service de certains modes de vie. De tels rapports mortifères et injustes sont rendus possibles par leur invisibilisation. Effectivement, le mode de vie associée à la culture de consommation ne reconnait pas d’emblée que pour se maintenir il faille exploiter et dominer d’autres humains et détruire les conditions de vie sur Terre.

La reconnaissance des problématiques socioécologiques ne devrait pas contribuer à un sentiment de désespoir ou d’apathie. Je crois qu’en tant que personnes éducatrices, ni le fatalisme ni le déni ne sont des options acceptables. Je considère plutôt que notre responsabilité repose dans le courage dont nous devons faire preuve afin d’interroger, de manière critique et éthique, nos rapports au monde.  C’est de cette manière, il me semble, que nous pourrons nous engager individuellement et collectivement dans une transformation culturelle visant la construction d’une société plus juste et plus soutenable.

Repenser nos rapports au monde pour imaginer et contribuer à la coconstruction d’un monde plus désirable, basé sur des relations de réciprocité, de respect, de care (prendre soin), voilà d’importants défis culturels qui interpellent au premier plan le monde l’éducation. Ils invitent à réfléchir à l’actualisation des curriculums scolaires en vue de contribuer à l’harmonisation du réseau de relations personne-société-environnement, et ce, en favorisant la construction d’une identité écologique fondée sur une conscience critique et le développement d’un pouvoir-agir écocitoyen (Sauvé et coll., 2018). Afin de relever ces défis, le PFEQ dispose d’un levier puissant : l’approche culturelle de l’enseignement qui constitue un pilier fondateur du curriculum.

2e élément à considérer : L’approche culturelle de l’enseignement dominante parait insuffisante pour accompagner la transformation culturelle qui doit être envisagée par nos  sociétés modernes.

Les recherches empiriques effectuées ces dernières années auprès du personnel enseignant au Québec indiquent que le pilier culturel du PFEQ demeure flou et nébuleux pour les personnes enseignantes qui peinent à comprendre comment mettre en pratique cet aspect important du curriculum (Nadeau, 2020). Par ailleurs, l’analyse critique des documents prescriptifs relatifs à l’ACE dans le système d’éducation québécois permet de constater que la culture y est présentée en termes anthropocentrés (Champoux et Agundez, accepté). C’est-à-dire que la sphère des relations entre les humains et les autres qu’humains n’est que très faiblement abordée, elle est presqu’invisibilisée. En l’occurrence, pour les personnes enseignantes qui se saisissent des outils prescriptifs relatifs à l’ACE, il demeure difficile d’étendre leur conception de la culture à la sphère écologique de nos rapports au monde. Dans le contexte contemporain marqué par des problématiques socioécologiques majeures, il parait donc pertinent de prendre un pas de
recul pour imaginer ensemble comment l’ACE pourrait s’actualiser et s’enrichir d’une dimension écologique de nos rapports au monde.

Le renouvèlement de cette réflexion sur l’ACE ne peut aucunement faire l’économie d’une réflexion approfondie concernant l’altérité, l’altérité entre humains et avec les autres qu’humains. Cette dimension de l’altérité, des relations à l’Autre, est essentielle à une réflexion sur les rapports au monde. Les besoins de culture qui sont impulsés par la crise socioécologique interpellent le monde de l’éducation afin qu’il contribue pertinemment à la structuration de l’identité, au développement de la vision du monde et à la construction d’un pouvoir agir orientés vers un horizon de justice pour tous les humains et les autres qu’humains. Dans l’optique de contribuer à l’enrichissement des conceptions et des pratiques relatives à l’ACE, un déplacement de l’attention devrait être opéré afin de mieux prendre en compte les liens étroits qui se tissent entre nature et culture, ces liens insécables, car constitutifs des existants. Il nous faudrait dès lors troquer la vision ontologique dualiste, dans laquelle la nature est vue comme étant extérieure à la culture, pour une vision dialectique dans laquelle les êtres humains sont à la fois des êtres de nature et de culture.

En ce sens, il parait primordial que ce qui lie la culture et l’éducation, sur le plan théorique et sur le plan praxique, s’imprègne d’une vision plus écologique du monde que ce qui prévaut actuellement : dans les prescriptions relatives à l’ACE, les autres qu’humains brillent par leur absence. Sur le plan théorique du moins, tout semble se passer comme si les sociétés humaines vivaient dans un monde qui n’est plus redevable au reste du vivant, ce que Plumwood (2002) a reconnu comme l’« illusion de la désinscription » (p.99). Le monde qui est dépeint est celui des humains, pensé et acté par les humains et pour les humains. La culture est comprise comme réponse des humains aux grands problèmes de l’humanité et les ressources environnementales sont associées à des lieux tels que les musées, les galeries d’art et les salles de spectacles, invisibilisant du même coup les autres types de milieux pouvant favoriser la rencontre directe (« im-médiate ») avec des humains et d’autres qu’humains. On peut penser à divers milieux « naturels » et milieux de vie tels que les parcs, les jardins, les rives des cours d’eau, les comités de citoyens, etc. En éducation, il parait plus que jamais pertinent d’interroger avec criticité la rupture entre nature et culture pour mieux éclairer les phénomènes d’engendrement entre humains et autres qu’humains qui, dans le régime de rationalité moderne occidentale, sont pour une bonne part invisibilisés (de Sousa Santos, 2016). Comme le dénonce Sauvé (2007), en l’absence d’une dimension écologique de nos rapportsau monde dans le curriculum, la construction de la vision du monde s’en trouve étriquée et celle de l’identité, tronquée.

Le discours éducationnel officiel précise que la culture devrait contribuer à l’atteinte des trois visées de l’école québécoise qui, je le répète, sont celles de développer la vision du monde, de structurer l’identité et de développer le pouvoir agir. Pourtant, on remarque que ces finalités ne sont pas autrement explicitées : on ne sait pas quels principes et quelles valeurs cette triple finalité devrait soutenir. Or, pour concevoir et mettre en oeuvre une ACE apte à soutenir ces visées, il est essentiel que les personnes enseignantes puissent les envisager de manière moins abstraite, qu’elles puissent s’y référer en fonction du contexte socioécologique contemporain et qu’elles soient amenées à construire une réflexion critique et éthique en lien avec les rapports au monde dominants (Sauvé et Orellana, 2008).

À quoi pourrait ressembler une approche culturelle de l’enseignement conçue au prisme des rapports écologiques au monde?

Nous n’en sommes encore ici qu’à l’étape d’imaginer d’autres possibles. Nous ne prétendons aucunement livrer des stratégies pédagogiques infaillibles qui ont fait leurs preuves sur le terrain de la pratique. Plutôt, nous faisons l’exercice de mettre en commun des pistes éducatives et pédagogiques qui nous paraissent porteuses pour contribuer à une éducation culturelle et écologique. Ces propositions prennent racine dans une mouvance contemporaine d’éducation relative à l’environnement qui est elle-même nourrie de riches traditions éducatives et pédagogiques. Les lignes qui suivent proposent en ce sens des valeurs, des principes et des avenues éducatives à privilégier pour cheminer ensemble vers une ACE conçue au prisme des rapports écologiques au monde. En tant qu’éducateurs et éducatrices vous êtes invités à vous approprier ces quelques idées et à les contextualiser à votre propre pratique enseignante. En tant que propositions fondamentales, elles vous paraitront peut-être abstraites au premier abord. Il s’agit en effet de pistes qui amènent à réfléchir et qui ont pour fonction d’alimenter vos propres idées de processus d’enseignement et d’apprentissage. Les six autres chapitres qui forment cet ouvrage collectif proposent justement des pistes d’atterrissage concrètes pour mettre en œuvre les fondements proposés dans ce premier chapitre.

Interreliés Maude Pelletier Linogravure et rehauts au crayon de couleur 30X30 cm 2021
Maude Pelletier – Interreliés, Linogravure et rehauts au crayon de couleur 30X30 cm 2021

 

Une pédagogie de la rencontre et de la relation

Au 21e siècle, concevoir et mettre en œuvre une approche culturelle de l’enseignement pourrait être résumée dans ces mots : apprendre à nous situer comme des êtres écologiques, soit des êtres reliés au monde. Pour cela, il devient indispensable d’être capables de rencontrer le monde de manière dialogique (Plumwood, 1997), c’est-à-dire de sujet à sujet et non plus de sujet à objet. Pour entretenir un dialogue avec les autres humains ainsi qu’avec les autres qu’humains, nous devons apprendre à les voir, les reconnaitre et les respecter. L’incommensurabilité des formes d’existence qui cohabitent sur Terre devrait en effet s’accompagner d’une éthique interespèces. C’est-à-dire que plutôt que de focaliser notre attention uniquement sur ce qui différencie les êtres humains et des autres formes de vie (les discontinuités et les ruptures mises de l’avant dans la conception dominante de la culture et qui contribuent à faire de nous une espèce exceptionnelle), nous pourrions également porter notre attention sur ce que nous partageons en commun, sur ce qui fait de nous des semblables, des vivants parmi les vivants. Il nous serait en effet salvateur d’arriver à mieux percevoir les continuités qui sous-tendent le déroulement des multiples formes d’existences enchevêtrées, différentes et semblables à la fois, toutes nécessaires au développement de la vie.

Des valeurs relationnelles, une conscience critique et des habiletés de cocréation

À partir de cette vision plus ouverte et généreuse, moins autoritaire, dominante et anthropocentrique, nous pouvons imaginer des manières différentes de mettre en oeuvre une approche culturelle de l’enseignement. Les valeurs d’humilité, d’autocritique, de respect, d’ouverture, de réciprocité devraient soutenir des pratiques davantage fondées sur le care (une pratique qui consiste à prendre soin), l’écoute, l’attention, l’émerveillement et la communication dialogique. Le développement d’habiletés en lien avec l’imagination, la créativité et la cocréation pourrait être combiné avec le développement d’une conscience critique et l’éveil au désir d’un engagement actif, incarné dans le tissu de la vie sociale et écologique.

Des stratégies pédagogiques transdisciplinaires, expérientielles, affectives et sensibles

Pour soutenir une ACE conçue au prisme des rapports écologiques au monde, nous pouvons mettre en oeuvre des stratégies d’enseignement et d’apprentissage transdisciplinaires. La transdisciplinarité fait ici référence à la construction de savoirs qui traversent les disciplines (transversal à toutes les disciplines) et qui peuvent aussi les dépasser (extérieur aux disciplines). En ce sens, on peut notamment recourir à la poésie et à des narratifs culturels écologiques comme ceux produits par certains porteurs de savoirs traditionnels autochtones et un nombre de plus en plus important d’auteurs provenant d’une diversité d’horizons disciplinaires (par exemple, Despret, 2019; Morizot, 2020; Pierron, 2023; Tassin, 2020; Wall Kimmerer, 2021, Zhong Mengual, 2021).

Nous aurions aussi intérêt à recourir à des approches expérientielles et sensibles qui favorisent le contact direct avec des humains et d’autres qu’humains qui cohabitent au sein d’un territoire, tous dignes d’être rencontrés de manière dialogique en tant que sujets éthiques dotés d’une certaine forme d’agentivité (soit des êtres intentionnels qui possèdent des capacités). Ainsi, plutôt que d’évaluer la valeur des autres formes de vie en les comparant avec l’être humain, il s’agit de reconnaitre l’incommensurabilité des formes d’existence sur Terre et d’ouvrir notre perception à la richesse et à l’incroyable diversité des manières d’être-au-monde et de faire l’expérience du monde.

Pour favoriser la prise de conscience de la présence agissante des autres humains et des autres qu’humains dans nos vies, l’approche par les histoires de vie parait pertinente. En faisant le récit de son histoire de vie et en portant attention à nos rencontres avec des humains et avec d’autres qu’humains (animaux de compagnie, animaux sauvages, paysages, climat, arbres, etc.), il devient plus facile de prendre conscience des manières par lesquels les autres (humains et autres qu’humains) ont pu influencer nos parcours individuels, familiaux et sociaux faisant de nous ce que nous sommes aujourd’hui. De manière parallèle, mais plus distancée, la personne enseignante peut éclairer les savoirs enseignés à partir d’une perspective historique qui inclut la présence des autres qu’humains dans l’évolution des sociétés humaines. Comprendre nos histoires coévolutives (entre humains avec les autres qu’humains) peut vraisemblablement aider à instaurer des rapports au monde basés sur le respect, la réciprocité, la reconnaissance mutuelle et le care. Enfin, il est très probable que l’éclairage des savoirs à partir d’une perspective historique de coévolution entre espèces humaines et autres qu’humaines a toutes les chances d’instiller le sens de l’émerveillement pour ce monde partagé sur Terre.

Conclusion

Ce chapitre avait pour objectif principal de poser les termes d’une réflexion renouvelée concernant l’ACE dans le curriculum scolaire québécois. Il s’agit de nous demander comment ce pilier fondateur du PFEQ pourrait mieux soutenir les trois visées de l’école québécoise dans le contexte actuel marqué par une crise socioécologique majeure. La dernière partie du chapitre s’est employée à ouvrir certaines avenues éducatives qui paraissent prometteuses. Il s’agit ici de pistes générales qui doivent ensuite être traduites concrètement dans chacun des domaines d’apprentissages (DA) prévus au PFEQ. L’ACE devrait être transversale à l’ensemble du curriculum. En ce sens, elle s’accommode assez mal d’une approche monodisciplinaire, elle devrait favoriser le tissage de liens entre les différents DA prévus au PFEQ. Plus encore, comme la culture en tant que rapports au monde implique toutes les dimensions de notre être au monde (cognitive, affective, sensible et spirituelle), l’ACE peut difficilement se contenter de recourir uniquement aux savoirs disciplinaires : il lui faut aller au-delà des disciplines, ce qui signifie adopter une approche transdisciplinaire. Les six autres modules qui composent cette ressource de formation professionnelle numérique proposent une réflexion théorique et pratique autour de l’ACE selon les différents DA du PFEQ. D’autre part, chaque chapitre met en exergue les possibilités d’enseignement et d’apprentissage transdisciplinaire. Ainsi, il devient possible d’imaginer des pistes d’atterrissage concrètes pour mettre en œuvre une ACE conçue au prisme des rapports écologiques au monde, et ce, à partir de tous les DA prévus au PFEQ, sans pour autant se restreindre à un enseignement monodisciplinaire.

 

Références

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Champoux, M. et Agundez Rodriguez, A. (2024). Repenser l’approche culturelle de l’enseignement au prisme des rapports écologiques au monde. Dans I. Orellana, L. Brière, H. Asselin, A. Agundez Rodriguez (Coord.).
Éducation relative à l’environnement. Trajectoires, perspectives et défis contemporains. Presses de l’Université du Québec.

 

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