8 Chapitre 7.2 – Apprécier des oeuvres d’art pour enrichir notre rapport écologique au monde
Alexandra Bernier
Par Alexandra Bernier
Présentation de l’auteure
La mer, le vent et la forêt. Ce sont les mots qui me viennent en tête lorsque je pense à la question : « D’où viens-tu? », représentant bien l’endroit où j’ai grandi. Je viens d’un village qui se donne fièrement le titre de Porte d’entrée de la Gaspésie. Sainte-Flavie est une petite municipalité bordée du fleuve Saint-Laurent que l’on nomme la mer et enveloppée d’une longue bande verte que l’on appelle la forêt. Cet écosystème, qui m’est familier, fait venter son air salin sur les parois de vieilles granges grises et sur les joues rouges d’enfants qui s’amusent à faire boucaner les vesses-de-loup trouvées au sol ou à faire des popotes de vieux légumes laissés en décomposition au jardin. Née d’une mère humaniste qui a travaillé avec les familles pour les accompagner dans leurs défis et d’un père plutôt rationnel qui s’est occupé des arbres de la région et qui a travaillé le bois, j’ai développé une affection particulière pour les besoins humains, de même que pour les besoins de la nature. Apprentissage, enseignement, arts et recherche de sens sont les mots que je nommerais pour répondre aux questions : « Qui es-tu et que fais-tu dans la vie? » À travers mes longues études en enseignement et mon parcours en recherche, j’ai réalisé qu’apprendre est pratiquement un synonyme de vivre dans son sens large. Enseigner, c’est alors guider les apprenants et apprenantes dans leur processus de vie, à partir de lignes directrices créées à la fois par les humains, leur culture, leur histoire, de même que leur environnement. Grâce aux arts et à la recherche, j’ai valorisé toute la démarche créatrice plutôt que de miser entièrement sur le résultat. Que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle, c’est tout ce processus menant à une fin qui me permet de m’épanouir, réalisant que cette finalité est plutôt éphémère. Elle n’est que le début d’une nouvelle étape pour soi, de même que pour la nature qui, lorsqu’on lui présente notre corps sans vie, le transforme à son tour.
Introduction
Lorsque vous pensez aux arts à l’école primaire, il est possible que des images de dessins accrochés aux murs de la classe, de sculptures en papier mâché ou de cartons couverts de gouache vous viennent en tête. Bien qu’il soit fort pertinent pour l’enfant de créer des objets d’art afin d’enrichir sa démarche de création à partir de l’exploration de techniques, concevoir une œuvre n’est pas l’unique voie pour entrer en contact avec les arts au primaire. D’ailleurs, apprécier une œuvre d’art est une compétence que les jeunes doivent développer dans leur parcours scolaire. Dans ce but, la personne enseignante amènera l’enfant à porter un jugement d’ordre critique et esthétique, à examiner, à analyser, à interpréter et à exprimer sa pensée ou son ressenti, que ce soit sur une pièce musicale, théâtrale, une chorégraphie ou un artéfact (MEQ [ministère de l’Éducation du Québec], 2006a, 2006b). La compétence « Apprécier des œuvres d’art, des objets culturels du patrimoine artistique, des images médiatiques, ses réalisations et celles de ses camarades » de la discipline des arts plastiques dans le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) au primaire, laquelle est similaire au secondaire, permet à l’enfant d’enrichir sa conscience artistique et esthétique, de s’ouvrir à la diversité culturelle, de mieux situer le contexte socioculturel des œuvres, de développer son sens critique, ainsi que sa créativité, puis d’apprendre à mieux se connaitre et de comprendre le monde dans lequel il ou elle vit (Mendonça, 2020; MEQ, 2006a, 2006b). Qu’est-il attendu des enfants lorsqu’on leur propose de s’ouvrir à la diversité culturelle, d’aiguiser leur sens critique, de déployer leur créativité et de comprendre le monde qui les entoure? Ces mandats très larges et importants exigent que l’on s’y attarde et se questionne sur leur signification, sur ce qu’ils impliquent pour les enfants et dans l’enseignement. Dans ce chapitre, nous explorerons la compétence « Apprécier » comme moyen d’entrer en relation avec toutes les sphères du monde : historique, culturelle, sociale et écologique, de même qu’avec les artistes sensibles à les traduire symboliquement dans leurs œuvres. Cette connexion avec l’œuvre, tout ce qu’elle suscite et la démarche de l’artiste qui l’a créée offrent une occasion de réfléchir aux enjeux liés à ces sphères, pour éveiller un sentiment de pouvoir-agir relatif aux défis contemporains, en grande partie dus aux changements climatiques et à leurs effets sur les écosystèmes de notre planète.
Comprendre le monde dans lequel on vit requiert de considérer que les humains, leur culture et les sociétés prennent forme dans un écosystème qui accueille d’autres vies non humaines. Les arts offrent une voie sensible au monde sous toutes ses formes qu’il nous est possible de découvrir.
La méthode FTC (forme, thème, contexte) sera ainsi proposée pour guider les personnes enseignantes dans l’appréciation, laquelle sera ensuite liée aux œuvres de l’artiste Maude Pelletier, qui ont servi à illustrer les chapitres précédents et que nous prendrons le temps de découvrir.
Apprécier, une compétence qui dépasse le jugement de valeur
Apprécier, au sens large, c’est « porter un jugement de valeur sur une personne ou une chose » (De Villers, 2009, p. 115). C’est aussi estimer, juger ou même aimer. On le fait, entre autres, lorsqu’on apprécie de bons plats cuisinés, la présence d’autrui ou une envolée d’oies dans le ciel.
Dans le domaine des arts, apprécier est donc plus complexe que de simplement porter un jugement de valeur, puisque cette compétence implique aussi que l’on connecte avec l’artiste, sa perception du monde et ce qu’il ou elle veut communiquer dans l’œuvre.
La compétence peut se rapprocher du mot « juger », mais elle signifie aussi de se connecter, de comprendre, de découvrir et de vivre des émotions. Observer et comprendre une œuvre d’art peut être complexe, voire insatisfaisant si l’on n’a pas les outils conceptuels nécessaires pour en faire une lecture approfondie. Comment dépasser les « j’aime » ou « je n’aime pas », les « c’est beau » ou « c’est laid » lorsqu’on porte son regard sur l’œuvre (Heinich, 1996)? Il s’agit de réactions qui sont exprimées spontanément en réception d’une œuvre d’art (Mendonça, 2020). Bien que ce rapport émotionnel permette un premier contact avec l’œuvre et qu’il soit nécessaire pour s’engager dans une réflexion, ce registre d’interprétation réactif, s’il n’est pas amené plus loin, peut freiner une appréciation plus objective, « c’est-à-dire à la fois appliquée à l’œuvre et généralisable à l’ensemble des spectateurs » (Heinich, 1996, p. 194). Les arts offrent également un espace de connexion avec l’œuvre pour mieux comprendre les idées exprimées par un, une ou des artistes et pour prendre un instant afin de se laisser emporter dans une introspection. L’appréciation dépasse ainsi la réaction, puisqu’elle amène la personne à réfléchir et à comprendre l’œuvre au regard de ses connaissances (Mendonça, 2020). Les arts ont donc la capacité d’émouvoir, d’intriguer et de déstabiliser la personne qui regarde, mais ils permettent aussi d’exprimer des idées, de s’engager dans un débat socialement vif, de se prononcer sur la crise socioécologique contemporaine et de dénoncer des injustices sociales. C’est notamment ce que beaucoup d’artistes aujourd’hui tentent de traduire dans leurs œuvres, participant activement aux enjeux et aux débats contemporains, comme les changements climatiques, la pollution, la perte accélérée de la biodiversité, les difficultés des personnes réfugiées et les guerres (Morel, 2020). Ainsi, il est primordial d’accompagner les jeunes dans l’appréciation d’œuvres d’art, d’images médiatiques ou d’artéfacts culturels pour qu’ils et elles développent des outils conceptuels pour les interpréter, les observer, pour s’en inspirer et pour s’exprimer, afin de construire leur identité écologique, culturelle et sociale (MEQ, 2006b; Sandell, 2009; Shivers et coll., 2017). J’ai exprimé plus haut que les artistes traduisent symboliquement dans leurs œuvres les diverses sphères du monde. Il leur est possible de le faire puisque leur expérience est nécessairement liée au monde concret dans lequel ils et elles vivent. Apprécier une œuvre ne peut donc exclure ce lien direct qui existe avec le monde réel, une époque et nos relations avec les autres humains et les autres qu’humains.
Apprécier pour créer du sens sur le monde dans lequel on vit et enrichir son rapport à celui-ci
Puisque la compétence « Apprécier » du domaine des arts dans le PFEQ (MEQ, 2006b) aborde aussi l’appréciation d’images médiatiques, elle offre plusieurs possibilités pour l’enseignement. Utiliser des images que les enfants voient à la télévision, sur les réseaux sociaux, dans les livres ou dans les musées offre des occasions de parler à la fois de cultures autochtones, d’actualité, d’enjeux liés aux changements climatiques, d’écoanxiété, d’évènements historiques importants ou de guerres.
Éduquer à l’image, particulièrement dans le contexte contemporain où les images sont omniprésentes dans leur vie et qu’elles sont porteuses de sens, est important en vue de préparer les enfants au monde visuel complexe dans lequel ils et elles grandissent (Sandell, 2006, 2009).
Ces images peuvent devenir des amorces pour animer une discussion, un débat et pour réaliser une activité de création littéraire ou plastique. D’ailleurs, utiliser la littérature jeunesse en classe est fréquent et apprécier les illustrations de ces albums est riche pour préparer les élèves à développer cette compétence. On dit qu’« une image vaut mille mots »; l’illustration, particulièrement si elle prend une place prépondérante dans l’album, est l’opportunité de questionner les enfants sur ce qu’ils et elles voient, pensent et ressentent. Les albums jeunesse qui n’ont aucun texte invitent à nous attarder attentivement à chaque illustration, qui n’a plus la fonction première d’illustrer un texte, mais bien de nous guider dans une histoire à interpréter, comme le ferait une œuvre d’art dans un musée. Certains de ces albums peuvent servir d’amorces fascinantes pour parler d’évènements sociaux bouleversants ou d’enjeux liés aux changements climatiques avec les enfants. Par exemple, l’album Le papillon jaune, par Oleksandr Shatokhin (2023), raconte l’histoire d’un enfant confronté à la guerre en Ukraine; l’album La traque, par Sara (2018), dont les illustrations sont réalisées en papier recyclé, montre un chasseur poursuivant sa proie dans les bois; puis, l’album Les fleurs poussent aussi sur les trottoirs, par JonArno Lawson et Sidney Smith (2015), témoigne de la capacité des enfants à trouver de la joie dans les choses simples de la vie. En guidant les enfants dans l’appréciation d’images, d’illustrations et d’œuvres d’art, on les outille à aiguiser leur sens critique et à s’approprier le langage de l’art, les amenant éventuellement à enrichir leur vocabulaire sur les artéfacts appréciés (Mendonça, 2020; Sandell, 2009). Leur rapport au monde s’enrichit, c’est-à-dire le rapport à leur culture ou aux différentes cultures, aux écosystèmes, de même qu’aux enjeux qui y sont liés, comme les changements dans la nature ou les transformations sociales et culturelles qui ont lieu en raison du réchauffement climatique. Puisque les œuvres sont le produit de l’interprétation d’artistes et le reflet de leur sensibilité vis-à-vis de ces réalités, elles sont des moyens formidables pour les personnes enseignantes qui veulent proposer aux enfants de réfléchir de manière critique à ces enjeux, en vue de les comprendre et, éventuellement, de développer leur sentiment de pouvoir-agir. D’ailleurs, en ce qui a trait à l’éducation relative à l’environnement (ERE), affuter son sens critique est important pour s’engager dans les défis contemporains décrits précédemment (Sauvé et Orellana, 2008). Comprendre ce que les artistes font et partagent dans la société amène les enfants à acquérir des habiletés et des stratégies cognitives liées à la pensée critique, comme l’analyse, l’évaluation, la recherche et la construction d’un argumentaire, de même que différentes attitudes, comme la curiosité et la capacité à se remettre en question, les incitant parfois à vouloir s’impliquer dans les mouvements liés à ces enjeux (Sauvé et Orellana, 2008).
D’après Barth (2018), l’enfant « est considéré comme un “chercheur de structures” qui s’efforce de comprendre comment les choses du monde extérieur sont reliées entre elles » (p. 133). Pour amener l’enfant à mieux saisir les particularités du « monde extérieur », avec lequel nous avons un lien indéniable, il est crucial de lui offrir des occasions de s’exprimer sur ce qu’il ou elle voit, entend et ressent. Créer du sens, c’est à la fois comprendre et organiser les informations pour les lier à notre expérience, nous permettant ainsi d’agir et de penser (Weick et coll., 2005). Ce processus joue un rôle central dans la formation de notre identité, étant intimement lié aux concepts d’apprentissage et de développement de soi (Barth, 2018; Fredriksen, 2010; Weick et coll., 2005). D’ailleurs, créer du sens est assurément social, puisque nous le faisons à partir de notre culture, des artéfacts et de notre rapport aux autres (Barth, 2018; Fredriksen, 2010; Weick et coll., 2005). Notre sens créé est aussi lié à notre environnement, puisque c’est dans ce monde naturel et concret que prennent forme les idées. C’est une compétence qui passe par la réflexion sur divers systèmes symboliques, comme le langage oral, écrit et visuel; notre relation avec les images, les œuvres et les symboles visuels étant tout aussi importante que celle que nous entretenons avec les écrits et la langue (Barth, 2018; Sandell, 2006), mais qui passe aussi par notre rencontre réelle avec la nature et les êtres vivants, laquelle est intimement liée à la démarche de création des artistes. Apprécier leurs œuvres nous pousse alors à mieux percevoir leur processus créatif, explorer ce qui compose la symbolique de l’œuvre et, surtout, aller à la rencontre de l’humain derrière sa création, pour mieux saisir ses expériences en relation avec les autres humains et avec la nature.
Développer sa capacité à apprécier une œuvre : l’approche FTC (forme, thème, contexte)
Comme vu précédemment, apprécier une œuvre peut se faire à partir de différents registres. Par exemple, il existe un registre émotionnel, où l’on exprime son sentiment sur l’œuvre, un registre symbolique, lequel implique une compréhension du sens véhiculé par l’œuvre ou de ce que l’on perçoit, un registre plutôt lié à des critères de beauté et un registre plus technique, où le regard est porté sur les détails, comme les textures, les couleurs, les formes et les médiums utilisés (Mendonça et Savoie, 2020). Cette compétence est d’abord liée à nos sens, c’est-à-dire aux mécanismes biologiques qui nous permettent de percevoir l’œuvre et au rapport à soi, autrement dit à nos émotions, nos réactions et nos impressions, lesquelles sont directement liées à nos connaissances personnelles, s’imbriquant elles-mêmes dans un contexte culturel, historique et écologique (Grondin et Quine, 2016). Nos cinq sens et nos émotions guident d’abord notre capacité à entrer en relation avec une œuvre et ainsi à l’apprécier, comme nous le faisons tout simplement dans la nature lorsque nous admirons un magnifique coucher de soleil ou observons un monarque orangé. Dans ce sens, ils contribuent au rapport intime que nous entretenons avec la matière organique et inorganique. Pour s’assurer d’explorer plusieurs registres d’appréciation et pousser un peu plus loin son expérience avec l’œuvre, l’approche FTC permet de guider la personne spectatrice dans ce processus (Sandell, 2009). La figure 1 illustre cette méthode.
Avant tout, on aura une première connexion avec l’œuvre qui s’exprime par une réaction émotionnelle ou une réaction quant à la beauté de l’œuvre. Cette première réaction permet de s’engager dans l’appréciation de l’œuvre et de se lier au monde qu’elle veut faire partager. Que se passe-t-il ensuite? Et si l’on explorait davantage ce que l’on trouve beau ou laid dans l’œuvre? Ce que l’on aime ou que l’on n’aime pas? Et si l’on creuse un peu plus pour connaitre l’intention de l’artiste et sa démarche? Dans quelles circonstances, quel milieu ou quelle époque l’œuvre a-t-elle été créée? Dans l’approche FTC, la forme consiste à décrire comment l’œuvre se présente : sa composition, les décisions techniques et structurelles de l’artiste, le processus et les méthodes artistiques, etc. Par exemple, on parlera des médiums et des techniques utilisés. Est-ce de la peinture à l’huile, de l’acrylique ou de l’aquarelle? Est-ce plutôt de la photographie ou une sculpture sur bois? Quelles sont les couleurs, leur valeur, quel est le type de lignes, de formes et de textures (Mendonça et Savoie, 2020; Sandell, 2006, 2009)? On porte une attention particulière au registre technique : on veut comprendre comment l’artiste en arrive à un tel résultat et ce qui lui permettra de former son style qu’on reconnaitra ailleurs (Mendonça et Savoie, 2020; Sandell, 2006). Il est alors possible de faire des comparaisons entre les œuvres de l’artiste ou avec celles d’autres artistes à partir de ces aspects. Ce registre nous amènera également à considérer le type d’art et, essentiellement, nous liera à la démarche expérimentale de l’artiste. Par exemple, si l’on porte son regard sur une installation en art actuel, où la technologie est souvent utilisée, sur une œuvre éphémère, dont la détérioration est attendue, ou si l’on assiste à une performance, dans laquelle l’artiste est en relation avec le public, d’autres éléments liés à la forme de l’œuvre seront perceptibles.
En portant ensuite son attention sur le thème, on se retrouve ainsi dans un registre plus symbolique, qui mène à comprendre l’idée générale, le message, donc ce sur quoi porte l’œuvre. Cette signification est étroitement liée aux idées, à la personnalité, au vécu, à la culture et à l’époque de l’artiste, ce qui permet d’en apprendre un peu plus sur sa personne, mais d’abord depuis son propre point de vue sur le monde. C’est sur cet aspect bien précis qu’il est possible de lier l’art aux autres domaines et à la vie en général (Sandell, 2006, 2009). Lorsqu’on s’attarde à ce registre, on entre en relation avec la composition, non pas de l’œuvre, mais de sa propre perception du monde et de ce que l’artiste tente d’exprimer, de montrer. La symbolique de l’œuvre n’est que le reflet du monde réel et naturel, du vécu des humains et des non-humains et des défis qu’ils rencontrent, évoqués dans les paragraphes précédents.
On peut démystifier à la fois la forme et le thème en observant l’œuvre. Toutefois, le contexte exige qu’il y ait eu une recherche préalable, laquelle a souvent été faite sur les œuvres présentées dans les musées, mais qu’il est aussi possible de découvrir lors d’une rencontre avec l’artiste. Le contexte révèle quand, où, par qui, pour qui et pourquoi l’œuvre a été créée (Sandell, 2006, 2009). Il s’agit alors d’explorer les conditions, l’environnement, l’état d’esprit, la culture et l’époque dans lesquels l’artiste se trouvait lors de la création de son œuvre, ce qui sera illustré dans la prochaine section. Découvrir ces aspects permet non seulement de mieux comprendre l’intention artistique, mais également de se lier au vécu, à l’identité et au milieu de vie de l’artiste. En liant la forme, le thème et le contexte, la personne spectatrice se retrouve dans de meilleures conditions pour créer du sens autour de l’œuvre, mieux comprendre l’utilité de l’art pour la société et enrichir ses rapports écologiques au monde. Enfin, l’approche FTC nous amène à dépasser les registres techniques ou le jugement lié à la beauté de l’œuvre pour découvrir l’artiste, sa démarche, de même que ce qu’elle ou il souhaite montrer du monde, par rapport à une époque, à une culture et à un environnement naturel. L’œuvre nous invite à nous connecter aux autres et au monde autre qu’humain, afin de mieux comprendre comment nous sommes liés dans le passé, le présent et le futur. Cette démarche d’appréciation sera illustrée dans la partie suivante, à partir d’un entretien mené avec l’artiste Maude Pelletier. Les questions portaient, entre autres, sur sa démarche, sur son identité et sur les œuvres choisies pour accompagner chaque chapitre de ce livre.
Explorer les œuvres de Maude Pelletier à partir de la méthode FTC
Dans ce livre, des œuvres de Maude Pelletier1 ont été intégrées pour poursuivre la réflexion amorcée dans chacun des chapitres. Afin de donner une place significative à ses œuvres, nous vous proposons d’utiliser la méthode FTC pour les apprécier et explorer leur contexte, lequel permet de mieux comprendre son expérience de création et sa relation avec le monde, à la fois dans ses rapports avec les humains et avec la nature. C’est pourquoi une rencontre avec l’artiste était impérative : la forme, le thème et le contexte des œuvres choisies ont pu être revisités. Ces œuvres contribueront à enrichir votre rapport écologique au monde, ce que vous pourrez ensuite faire avec vos élèves.
Qui est Maude Pelletier et quel est son parcours professionnel ?
Native de Kamouraska, Maude a étudié les arts au Cégep de La Pocatière, pour poursuivre des études en enseignement primaire à l’Université de Sherbrooke. Malgré sa passion grandissante pour l’éducation, sa recherche de flexibilité professionnelle l’amène à entreprendre des études universitaires multidisciplinaires incluant un certificat en psychologie et un autre en arts. « Par la suite, j’ai tracé ma propre voie professionnelle en tant qu’artiste et enseignante en dessin, une carrière que je pratique avec passion depuis plus de 12 ans », explique-t-elle. Faisant des choix éthiques quant aux animaux et à la nature, Maude souhaite que sa démarche artistique soit en harmonie avec ses convictions : « Cela va au-delà de mes choix alimentaires, car je vise aussi une démarche globale pour minimiser mon impact écologique et contribuer à la préservation de l’environnement. Ainsi, j’ai développé mes créations en privilégiant des techniques telles que le dessin et la gravure, qui utilisent des matériaux à faible impact écologique, ainsi que des matériaux naturels ou recyclés pour concevoir des assemblages. » D’ailleurs, à la question : pour qui crées-tu? Maude répond : « Je pense que je ne me pose pas vraiment la question, mais la réponse me vient après avoir conçu l’œuvre. » En effet, elle ne veut pas penser au public de ses œuvres lorsqu’elle crée; toutefois, lorsque des personnes réagissent et se connectent à ses œuvres, elle réalise que c’est pour elles qu’elle les a créées. « Bien que certains suggèrent que mes créations devraient être plus percutantes, j’opte pour une approche différente. Plutôt que de chercher à choquer, je souhaite rappeler la douceur, la délicatesse, l’amour et la bienveillance que l’on retrouve dans la nature. Au fil de mes études en arts, on m’a enseigné une approche artistique où la réflexion précède l’exécution, mettant l’accent sur le concept et la démarche intellectuelle. J’ai longtemps cherché à m’aligner sur cette méthode, en accord avec les tendances de l’art contemporain. Progressivement, j’ai réalisé que mes œuvres prenaient une tout autre dimension lorsqu’elles émergeaient de manière plus intuitive au départ. » Elle choisit plutôt de s’immerger directement dans la création, « laissant émerger le processus de manière organique », ce qui lui offre une expérience de création plus fluide et authentique. Dans l’œuvre L’éveil, Maude a utilisé la photographie d’une enfant qui « capturait le sentiment d’attente joyeuse que l’on ressent lorsqu’on est petit et qu’on ferme les yeux en anticipant une surprise ». Elle explique sa démarche ainsi :
« J’ai amorcé le processus en gardant cette idée à l’esprit, laissant par la suite ma conception personnelle de la création influencer la composition. Les éléments ont été ajoutés progressivement, sans préoccupation immédiate pour l’ensemble. Le paysage final ne m’est apparu qu’à la fin comme un ensemble cohérent. J’ai dessiné avec un certain lâcher-prise, sans attentes préalables, mais avec la confiance que chaque morceau trouverait sa place. Les différents éléments partagent une symbolique commune : l’aventure de la création. »
Lors de ma discussion avec Maude, nous nous sommes questionnées sur le point de départ de l’appréciation d’une œuvre. Est-ce que l’on parle de l’artiste et de son intention avant tout ou est-ce qu’on laisse la personne l’explorer préalablement? Dans un contexte scolaire, il s’agit évidemment de considérer l’objectif pédagogique poursuivi. Si l’on souhaite faire découvrir un ou une artiste en montrant certaines de ses œuvres, il est possible de parler de la personne avant de faire l’appréciation de ses œuvres. Ce pourrait être une approche plutôt déductive, où il y a présentation de l’artiste, de son époque et de sa démarche, suivie d’exemples de ses œuvres. Une approche plus inductive permettrait plutôt d’amener l’enfant à découvrir la forme et le thème de l’œuvre, de même qu’à exprimer son émotion avant même de comprendre les intentions de l’artiste, ce qui ouvre la porte à plus d’imagination et moins d’influence de l’artiste dans les réponses des enfants. C’est l’approche que privilégierait Maude sur ses œuvres, car elle veut laisser les personnes les interpréter à leur manière et avec leur vécu. En classe, lorsqu’on privilégie une démarche d’appréciation plus inductive, il est important de parler ensuite du contexte, de la démarche de l’artiste et de ses intentions.
Dans les pages qui suivent, quelques questions vous seront posées sur les œuvres de Maude, afin que vous puissiez en faire d’abord l’appréciation émotive, à partir de vos sens et de votre vécu. Ensuite, le contexte vous sera présenté, de même que les intentions et la démarche de Maude, lesquelles sont, entre autres, liées à son expérience avec le monde autre qu’humain.
Quel est votre ressenti devant cette œuvre? Que voyez-vous? Comment pensez-vous qu’elle a été conçue? Quelles techniques l’artiste a-t-elle utilisées? Selon vous, dans quel but l’a-t-elle créée? Comment se sentait-elle au moment de la conception de l’œuvre? (Registre émotif, forme, thème et contexte )
Cette œuvre est une linogravure, c’est-à-dire une technique qui consiste à graver sur une plaque de linoléum avec une gouge, afin de former les lignes ou les détails qui apparaitront dans l’impression. Dans le cas de cette linogravure, Maude a appliqué une peinture blanche sur la plaque à l’aide d’un rouleau; les espaces gravés sont ainsi restés « vides » sur le papier. Elle a ensuite pressé un papier noir sur la plaque gravée, sur laquelle de la peiture avait été appliquée au rouleau, ce qui a créé les lignes et formes noires dans l’œuvre. Maude a poursuivi son dessin au crayon, ce qui lui a permis d’ajouter une autre nuance de blanc. « Celle-là, c’est difficile. Je ne sais pas encore comment l’expliquer, dit Maude, sinon que c’est un désir que tout le monde comprenne qu’on est tous interreliés, les animaux, les plantes aussi et qu’il faut trouver une façon de mieux cohabiter. » Dans ce dessin, Maude a voulu montrer que rien n’était séparé, que le monde formait un tout, la symétrie représentant le centre racinaire. Lorsqu’elle a conçu ce dessin, elle était dans un état calme et serein : « J’étais très zen, c’était un beau moment, puisque c’était introspectif, tout en connectant avec l’extérieur, l’ensemble, dans une émotion de paix intérieure. » Pour Maude, l’art dépasse son esthétisme, car il permet « d’explorer des facettes de notre personnalité, de stimuler notre créativité et peut nous aider à mieux nous comprendre, à nous construire comme individu et même à vivre une certaine spiritualité. Par exemple, les méthodes de recherche, les solutions trouvées, la façon de prendre des risques, de s’organiser à travers la création artistique trouvent résonance dans la vie quotidienne. L’ouverture à ces informations données à la fois par l’inconscient et le conscient peut favoriser la compréhension d’expériences parfois difficiles à apprivoiser. » Pour vous, l’art a-t-il cet effet introspectif? Vous fait-il du bien? Pourquoi?
Quelle est votre réaction lorsque vous observez cette œuvre? Pourquoi? Comment pouvez-vous la lier à votre vie? Selon vous, quelle technique Maude a-t-elle utilisée pour sa conception? Dans quel état d’esprit et quel espace se trouvait-elle lorsqu’elle a créé cette œuvre? (Registre émotif, forme, thème et contexte)
Maude explique qu’elle a fait cette œuvre en sable blanc, fixé sur le carton avec de la colle, dans le but de prendre un temps pour se déposer, puisqu’elle arrivait d’une cérémonie funéraire. Elle ne voulait pas son œuvre trop élaborée, car le temps et l’organisation de son espace n’étaient pas au rendez-vous. « Souvent, dans ces moments-là, je prends des matériaux assez ludiques pour me décoller rapidement, ce qui est drôle, puisque ç’a été fait avec de la colle! J’ai donc pris le tube de colle et commencé le dessin sans réfléchir, je n’avais pas décidé de sa composition d’abord. » Pour elle, l’arbre signifie l’omniprésence d’une personne qui nous quitte : « Un arbre, ça prend beaucoup de place; il a des racines et on ne voit pas tout de l’arbre, comme il y a une partie qui est dans le sol, puis il a une grande présence. La personne qui nous quitte est là, même si elle n’est pas là. » Maude s’était également libérée du souci du résultat fini, pour explorer et prendre des risques dans une démarche sans croquis, ce qui était assez nouveau pour elle. « Dans les dernières années, j’ai lâché prise par rapport à ce que ça va donner comme résultat et je fais confiance au processus. »
Selon vous, que veut exprimer cette œuvre? Que remarquez-vous d’intrigant ou quels éléments vous interpellent? Si vous aviez à décrire cette œuvre, comment le feriez-vous? Que reconnaissez-vous de notre monde? Qu’est-ce qui diffère de notre monde? Que peut signifier cette œuvre pour Maude? (Thème, contexte)
Pour Maude, cette œuvre est un refuge, un rêve dans lequel elle aimerait se retrouver : « J’aimerais être là. On ne peut pas se téléporter où on veut, mais dans le dessin, on peut se construire des mondes, avec plein de choses qui se peuvent et d’autres qui ne se peuvent pas. » Par exemple, dans les montagnes vertes avec des lignes verticales, on pourrait voir de l’ADN. « Il y a tout là-dedans. L’humain est là, mais il ne prend pas toute la place, ce que j’aime aussi. Il est là, à travers les animaux, les arbres, l’eau et le ciel, il n’est qu’un élément parmi tant d’autres. Il n’est pas le sujet principal, alors que les autres éléments seraient là en décoration. Ils coexistent. » On peut alors faire un lien avec la première œuvre, c’est-à-dire que tout est lié et forme un ensemble. Ces œuvres suivent particulièrement le fil des chapitres du livre, puisqu’il s’agit de mettre de l’avant une vision écosystémique entre les humains et la nature, laquelle n’est pas anthropocentrée et propose de considérer les mondes végétal, animal et humain comme un ensemble et tout aussi importants les uns que les autres. « Je souhaite que mes œuvres agissent comme une source d’inspiration, incitant les spectateurs à explorer leur identité et leurs valeurs, indépendamment de la manière dont ils choisissent de s’exprimer. L’art représente l’un des moyens que j’ai découverts, parmi d’autres, pour partager une part de moi-même et exprimer les principes que je porte. » En fin de compte, trouvez-vous cette œuvre inspirante, relaxante ou plutôt intrigante?
Quelles émotions sont exprimées dans cette œuvre? Pouvez-vous reconnaitre la technique utilisée? Pouvez-vous lier cette œuvre à votre vie personnelle? Comment? Si cette œuvre pouvait s’exprimer, que dirait-elle? Selon vous, pour qui cette œuvre a-t-elle été créée? (Registre émotif, forme, thème, contexte)
Ici encore, le sable blanc et la colle composent cette œuvre qui représente deux personnes ayant vécu une longue relation remplie d’expériences. « Tout ce qui est autour, ce sont des moments qui ont été vécus par les deux individus. » Lorsque Maude a créé les anneaux au sol, elle n’était pas certaine du résultat et une fois qu’elle a eu terminé, tout est devenu logique. Les anneaux représentent l’inconnu, le futur. Dans cette œuvre, on peut percevoir un rapport intime avec le temps et comment la vie de deux personnes s’imbrique dans ce temps. Personnellement, j’y voyais les anneaux de croissance d’un arbre, lesquels peuvent aussi représenter les étapes de notre vie. Que percevez-vous de ces anneaux?
Que se passe-t-il dans cette œuvre? Que représente le nombre d’oiseaux? Pourquoi ces couleurs? Quelle idée ressort le plus de cette œuvre? Quelle émotion veut-elle communiquer? Avec quel médium a-t-elle été conçue? Dans quel but? (Forme, thème, contexte)
Pour Maude, cette œuvre est d’abord une exploration technique, puisqu’elle a été conçue à l’aide d’une tablette numérique qui lui permettait de tester et d’explorer différents médiums. « C’est vraiment de l’exploration et finalement les oiseaux vont dans le même sens. C’est comme si j’étais accompagnée dans mon exploration par ces oiseaux. » Pour elle, l’œuvre pouvait être à la fois angoissante, comme les oiseaux volent vers un tourbillon inconnu, mais le fait qu’ils soient quatre pouvait aussi être rassurant. Il s’agit à la fois d’une belle exploration et d’un vol vers l’inconnu. « Honnêtement, je ne sais pas encore si je la vois optimiste ou pessimiste. » Pour vous, est-elle plus pessimiste ou optimiste?
Quel est votre ressenti face à cette œuvre? À quoi vous fait-elle penser? Quelle technique Maude a-t-elle utilisée? Quelle était sa démarche de création? De quelle façon a-t-elle utilisé l’espace? Dans quel état d’esprit se trouvait Maude au moment de sa réalisation? (Registre émotif, forme, thème, contexte)
Cette œuvre est une collagraphie, c’est-à-dire une technique de gravure à partir du collage et de différents matériaux. Dans ce cas-ci, Maude a utilisé un carton, qu’elle a enduit d’un mélange de vernis et d’eau pour le rendre imperméable. Il était alors possible d’y coller des matériaux et de le graver; le carton est devenu la matrice pour réaliser l’œuvre. En y ajoutant de l’encre, laquelle a ensuite été essuyée, la matrice permettait de réaliser une impression lorsqu’un papier mouillé y était pressé. Maude a ainsi pu faire plusieurs impressions et utiliser une variété de couleurs. « Ça, c’est le morceau d’une plante séchée que j’ai trouvé sur le bord de la route alors que je marchais. J’ai regardé sa texture, puis je me suis dit : “Je serais curieuse de l’essayer en collagraphie”. Je n’ai pas été en mesure de l’identifier, c’était le restant d’un végétal. » Alors que Maude était en apprentissage de la collagraphie, tout ce qu’elle croisait sur son chemin semblait intéressant pour explorer cette nouvelle technique. Maude a imaginé une œuvre pour revaloriser ce que plusieurs voyaient comme un déchet sur le bord de la route : « C’est sûr que moi, la nature, c’est ma plus grande source d’inspiration, alors mon œil est à l’affut de tout ce que je peux prendre et utiliser en art, de toutes les textures et surtout de ce qui ne sert plus à rien. » Dans cette œuvre, elle voit la formation d’un courant à partir de plusieurs lignes qui s’entrelacent. « J’aime beaucoup la ligne dans tout ce que je fais, c’est vraiment la ligne qui capte mon regard. » Et vous, qu’est-ce qui capte votre regard dans cette œuvre?
Que pensez-vous des couleurs choisies par Maude dans cette œuvre? Quels détails vous sautent aux yeux? Quelle en est votre interprétation? Reconnaissez-vous la technique utilisée par Maude? Dans quel but a-t-elle créé cette œuvre? (Forme, thème, contexte)
Maude s’est ici inspirée d’une randonnée qu’elle a faite au parc national de la Gaspésie : « J’ai créé cette image en réaction au déclin alarmant de la harde de caribous dans la région, qui ne compte plus qu’une trentaine d’individus à l’heure actuelle. Depuis 2003, le caribou est considéré comme une espèce en voie de disparition au Canada. J’espère que les lois sur la protection de son habitat seront renforcées, notamment en interdisant les activités minières, qui représentent la plus grande menace pour cette espèce. » Portée par cette préoccupation, Maude a créé cette linogravure, intitulée L’érosion de nos peines, laquelle représente « une invitation à garder espoir malgré l’adversité, à continuer à avancer en comprenant que nous ne sommes pas seuls à vouloir aller dans le même sens ». Dans cette linogravure, Maude a superposé deux plaques sur lesquelles elle a gravé son dessin : « la première en bleu crée un arrière-plan, la deuxième en noir met en avant-plan le caribou montagnard ».
Selon vous, qu’a voulu exprimer Maude dans cette œuvre? Ressentez-vous une connexion à celle-ci? Pourquoi? Dans quel état d’esprit se trouvait Maude lorsqu’elle a conçu cette œuvre? (Registre émotif, thème, contexte)
« J’essaie de faire des œuvres qui donnent espoir, mais celle-là est une petite exception, comme elle est plus nostalgique, plus triste dans le symbolisme. Le titre veut dire “cicatrice ombilicale” en latin. » Cette œuvre veut exprimer que le lien avec la nature lui a été coupé, arraché ou enlevé. Il s’agit alors d’une racine qui représente également ce cordon ombilical, ce lien qui a été coupé. « C’est ce qui m’habitait. Je le fais d’une façon douce, mais en même temps, il y a quelque chose de violent dans le sentiment qu’on m’a arraché cette connexion avec la nature qui m’était précieuse. Qu’il y a une grande tristesse dans le fait que ce n’est pas aussi important pour d’autres que ce l’est pour moi. » Cette œuvre est une représentation du lien entre l’humain et la nature, de même que la recherche de réconfort auprès de la nature. « Le personnage cherche du réconfort à même ce qui lui a été arraché. » Pour Maude, ce qui est réconfortant, c’est que plusieurs personnes aiment ce dessin : « J’avais peur que ma peine, liée à cette œuvre, inspire la tristesse ou des sentiments négatifs chez les gens qui la regardent, mais lorsque ces sentiments sont partagés, on y trouve du réconfort. On n’est pas seuls dans tout ça, à penser que ce serait mieux qu’on prenne plus soin de notre belle nature, qu’elle est importante. » Selon elle, l’art console : « Je dirais que c’est une forme de communication silencieuse, un langage riche et nuancé, un instrument permettant l’expression de notre sensibilité et de notre ouverture envers ce qui nous habite et notre environnement. Pour moi, la création artistique est parfois un moyen de porter un message, parfois un refuge et un exutoire, d’autres fois un peu des deux. L’art est aussi teinté de notre identité et imprégné de notre culture. Il transcende le simple divertissement et porte un bagage de vécu et de références variées. » Votre regard sur cette œuvre a-t-il changé après avoir découvert l’intention de Maude?
Dans cette dernière œuvre, intitulée Aube, quel élément vous saute aux yeux? Que pensez-vous que Maude ait voulu nous communiquer? Quelle a été sa démarche, sa technique? (Forme, thème, contexte)
« J’ai créé cette gravure à mon retour d’un été de travail au jardin d’herbes médicinales Viv-Herbes dans le Témiscouata. » Pour Maude, cette gravure veut « rendre hommage à la beauté exceptionnelle de cet endroit et à l’inspiration positive qu’il dégage. Le choix du colibri comme sujet principal s’imposait naturellement, malgré sa taille minuscule. Bien qu’il ne soit qu’un élément parmi d’autres dans la biodiversité, son rôle crucial en tant que pollinisateur en fait un des acteurs essentiels pour la reproduction des plantes et, par conséquent, pour le succès du jardin ». À travers cette image, elle souhaite transmettre l’émerveillement que lui a inspiré ce lieu, « ainsi que l’espoir insufflé par le partage avec d’autres humains qui ont à cœur de prendre soin des êtres vivants et de l’environnement, au meilleur de leurs connaissances ». Que vous inspire cette œuvre?
Conclusion
La compétence « Apprécier » n’est pas seulement utile aux plus jeunes dans un cadre scolaire ou accessible aux personnes expertes du domaine des arts, mais à tous ceux et celles qui souhaitent explorer le sens des œuvres, comprendre la démarche d’un ou d’une artiste ou vivre des émotions. Apprécier une œuvre, c’est également prendre un temps pour se connecter à l’artiste, à son identité, à son vécu et au lien qu’il ou elle entretient avec la société, sa culture et l’écosystème. Cette connexion est nécessaire pour comprendre à la fois l’essence même de l’œuvre et ce qu’elle nous projette du monde réel, avec lequel nous pouvons ainsi nous lier. Selon Maude, « l’art permet à chacun, aussi bien du côté de l’artiste créateur que du public qui observe le fruit de ce travail, de se sentir plus à l’aise de naviguer dans un monde complexe, rempli de défis ». C’est dans cette optique que la compétence « Apprécier » a été dépeinte dans ce chapitre. La méthode FTC, appliquée aux œuvres de Maude Pelletier, offre donc un exemple concret d’appréciation d’œuvres qu’il est possible d’utiliser personnellement, lors d’une visite dans un musée ou avec les enfants, à l’intérieur comme à l’extérieur de la classe. Dans un sens plus large, apprécier permet d’entrer en relation avec le vécu d’autres humains et avec le monde autre qu’humain, les œuvres d’art étant un excellent moyen de le faire.
Notes de bas de page
1- Un merci tout particulier à Maude Pelletier pour sa contribution à cette partie du chapitre et pour la discussion enrichissante, laquelle nous a permis de formuler des pistes pour l’appréciation de ses œuvres.
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