3.2. Adopter une attitude ludique en enseignement

3.2.1. Les qualités qui caractérisent une attitude ludique

Dans la littérature anglophone, différents écrits abordent l’importance de s’attarder à l’attitude ludique (playfulness) de la personne enseignante (Forbes et Thomas, 2023; Holflod, 2022; Whitton et Moseley 2019).

Anthony T. DeBenedet, M.D. est médecin praticien et il s’intéresse aux sciences du comportement. Dans son livre, Playful Intelligence : The Power of Living Lightly in a Serious World (2018), il identifie des qualités qui caractérisent une attitude ludique :

 

L’imagination : L’imagination chez les personnes adultes se manifeste par la capacité à faire face à des situations complexes avec originalité. Il ne s’agit pas de fuir les difficultés, mais plutôt de les envisager différemment, en faisant appel à l’imagination pour résoudre les problèmes et y faire face. Les personnes enseignantes dotées d’une forte imagination sont capables de reconnaître des occasions d’innovation qui permettent d’expérimenter différentes modalités d’enseignement et d’apprentissage.

 

 

La sociabilité : La sociabilité d’une personne enseignante est essentielle pour créer un environnement éducatif positif, favoriser des relations constructives, et contribuer à la réussite des personnes étudiantes. Cela va au-delà des compétences pédagogiques et englobe la capacité à interagir de manière efficace et positive avec tous les individus impliqués dans le processus éducatif. La personne enseignante sociable établit des relations positives avec les personnes étudiantes, encourage la participation, et favorise un climat d’apprentissage inclusif. En effet, les personnes enseignantes qui font preuve d’une intelligence ludique ont rarement des idées préconçues sur les personnes avec lesquelles elles sont en interaction et, de la même manière, se forment rarement des premières impressions tranchées sur les autres. Elles font preuve d’humilité et d’authenticité dans leurs rapports avec les autres.

 

Humour : Une personne enseignante qui fait preuve d’humour s’assure de l’intégrer dans son enseignement de manière intentionnelle et constructive. L’humour est un excellent outil de cohésion et de socialisation, permettant de créer des liens avec les personnes étudiantes. L’humour peut favoriser un environnement de classe plus détendu et convivial. Lorsqu’il est utilisé à bon escient et qu’il est bienveillant, l’humour participe à créer une ambiance favorable aux apprentissages, suscite l’attention des personnes apprenantes, et stimule leur créativité et leur motivation (Foll, 2007; Garner, 2005; Guégan, 2008). Les limites d’un humour bienveillant sont outrepassées lorsqu’on entre dans le spectre de la moquerie, du sarcasme, de l’ironie ou de la joie dite maligne, ou encore lorsqu’on utilise l’humour de manière excessive.

Dans un billet intitulé Humour et enseignement publié dans le Voir, le philosophe et essayiste Normand Baillargeon souligne que:

Spontanéité : La spontanéité se caractérise par une action ou un comportement non planifié, impulsif et naturel, souvent associé à la liberté d’expression et à l’authenticité. La spontanéité est souvent associée à la créativité, à l’authenticité et à la vivacité d’esprit. La personne enseignante peut faire preuve de spontanéité de plusieurs manières pour rendre l’enseignement plus dynamique et engageant. L’intégration de nouvelles méthodes pédagogiques telles que des discussions impromptues, des exercices ludiques et interactifs, et ce, de manière spontanée peut maintenir l’attention des personnes étudiantes. Il s’agit également d’utiliser les questions qui sortent du cadre prévu pour entretenir la curiosité et mieux répondre aux besoins des personnes étudiantes.

 

Émerveillement (Wonder) : La personne enseignante peut exprimer son émerveillement en classe de plusieurs manières afin d’inspirer et d’encourager la curiosité chez les personnes étudiantes. Chaque expérience, chaque leçon est l’occasion de s’émerveiller. La personne enseignante qui fait preuve d’émerveillement n’hésitera pas à introduire des faits ou des exemples surprenants pour captiver l’attention des personnes étudiantes (par exemple : des anecdotes, des vidéos, des images, des expériences en classe, etc.). De plus, le fait d’encourager la curiosité et de poser des questions ouvertes qui stimulent la réflexion et qui incitent les personnes étudiantes à explorer davantage le sujet peut créer un sentiment d’émerveillement.

 

Selon Dearybury et Jones (2020), la personne enseignante peut cultiver son attitude ludique de différentes façons dans le contexte de son enseignement. On souligne l’importance de :

 

3.2.2. Avantages d’adopter une posture ludique

La personne enseignante qui adopte une attitude ludique se distingue par plusieurs caractéristiques qui favorisent un environnement d’apprentissage positif et engageant. Parmi les avantages associés à l’adoption d’une telle posture, Whitton et Moseley (2019) soulignent:

 

3.2.3. Les types de personnalité ludique

Selon les recherches du psychiatre Stuart Brown (2009), la façon dont vous jouiez enfant vous donne un aperçu de vos motivations intrinsèques. Dans le cadre de ses travaux, il a identifié huit principaux types de personnalité ludique. Ceux-ci ne sont pas fondés sur des données scientifiques, mais le Dr Brown les a discernés à partir de milliers d’entretiens et d’observations réalisés au fil des années. La plupart des gens ont tendance à avoir un type de personnalité ludique dominant et un ou deux types secondaires (Brown, 2009).

Pour en savoir plus, consultez le site du Dr. Brown du National Institute for Play.

Play personalities – National Institut for Play 

 

Aperçu des types de personnalité ludique

Connaître et comprendre sa personnalité ludique peut aider la personne enseignante à découvrir non seulement ce qui la passionne, mais aussi comment cette passion peut se manifester dans son quotidien et dans le contexte de son enseignement. Elle permet aussi de mieux comprendre les leviers de motivation des personnes étudiantes et des collègues.

La thérapeute Lindsay Braman a créé un quiz basé sur les personnalités ludiques du Dr Brown, appelé Styles de jeu. Vous pouvez répondre à son questionnaire (en anglais) en cliquant sur le lien suivant :

 Understanding your Play Style – An Illustrated Guide to Play Types

Si vous ne vous sentez pas concerné par l’un de ces types de personnalité ludique, essayez de vous remémorer ce qui vous rendait le plus heureux lorsque vous étiez enfant. Cela vous donnera des repères sur ce qui vous plaît encore aujourd’hui.

Dans le même ordre d’idées, Whitton (2022), en s’appuyant sur différentes recherches en psychologie et en éducation, a identifié qu’une personne ayant une attitude ludique est une personne sociale, drôle, dynamique, facile à vivre et positive. Le tableau suivant présente un aperçu de chacun de ces aspects et de leur pertinence en contexte éducatif :


Bien qu’il existe plusieurs excellentes personnes enseignantes qui ne présentent aucune de ces caractéristiques, la volonté de sortir d’une certaine zone de confort ne peut qu’être profitable dans tout contexte professionnel, y compris l’enseignement (Whitton, 2022). De plus, on remarque qu’adopter une attitude ludique n’est pas réservé au monde de l’enfance, c’est un état d’esprit et un mouvement d’ouverture essentiel à la créativité. En effet, quand une personne éprouve du plaisir, elle ne compte plus les heures et tout peut sembler plus facile.

 

Enfin, malgré tous les avantages associés à l’adoption d’une attitude ludique, il importe de souligner que celle-ci est aussi influencée par des facteurs liés à la présence de personnes significatives, à la culture (valeurs, préjugés, éducation), aux contraintes temporelles et matérielles et ceux-ci sont tous susceptibles de favoriser ou d’inhiber l’adoption d’une attitude ludique chez l’adulte (Guitard et al., 2006). De plus, il convient de reconnaître que toutes les personnes étudiantes ne seront pas intrinsèquement motivées à s’engager dans une activité ludique, mais que la plupart d’entre elles seront prêtes à essayer si elles reconnaissent la valeur d’apprentissage de cette activité (Whitton, 2007).

3.2.4. Le climat d’apprentissage

 

En contexte de classe, le climat d’apprentissage peut jouer un rôle déterminant dans le développement d’attitudes et de valeurs favorisant l’apprentissage, la motivation et le rendement scolaire (Barr, 2016; Claux et Tamse, 1997; Craft, 2005). En général, le terme « climat » est utilisé pour décrire les comportements, les attitudes et les sentiments qui caractérisent la vie dans certains environnements de travail ou d’apprentissage (Al-Beraldi et Rickards, 2003 cité dans Zhou, 2017).

En particulier, on souligne que l’humour et le jeu peuvent améliorer la dynamique de groupe et les relations interpersonnelle dans un groupe (Leather et al., 2021). Ainsi, le jeu et l’humour deviennent des outils qui permettent de réduire l’anxiété et le stress et de rendre l’environnement d’apprentissage amusant et joyeux (Zhou, 2017). D’ailleurs, la capacité de rire d’une situation ou de faire preuve d’autodérision peuvent rendre les conversations complexes moins difficiles (Leather et al., 2021).

Le climat d’apprentissage est un concept qui se rapporte à une condition émotive entretenue à propos d’un milieu éducatif (Claux et Tamse, 1997; Michaud, et al., 1990), en l’occurrence le contexte de la classe. Ainsi, la classe est un environnement éducatif puissant où se tissent des liens influençant l’apprentissage (Claux et Tamse, 1997). La relation pédagogique est au cœur du climat d’apprentissage et elle est déterminée par une interaction entre la personne enseignante et chacune des personnes étudiantes, mais aussi par un rapport qui s’établit à l’échelle du groupe.

Améliorer le climat d’apprentissage peut aider à instaurer un dialogue pédagogique plus sain et à augmenter la qualité des enseignements (Claux et Tamse, 1997). Afin d’améliorer le climat d’apprentissage en contexte de classe, différentes composantes devraient être prises en compte (Barr 2016; Claux et Tamse, 1997; Michaud et al., 1990; Potvin, 2015). Le tableau suivant présente les descriptions des composantes pertinentes à considérer, entre autres, lors de la mise en œuvre d’une pédagogie ludique.

Descriptions des composantes du climat d’apprentissage

Par ailleurs, selon Brassell (2014), un environnement de classe de qualité où l’on prend plaisir à enseigner et à apprendre est caractérisé par les aspects suivants :

 

 

Le cercle d’apprentissage

Les salles de classe peuvent être un lieu rassurant où les pratiques pédagogiques sont perçues comme étant plaisantes en plus de favoriser le développement de connaissances et compétences pratiques et émotionnelles. Lorsque les enseignants utilisent des stratégies visant à réduire le stress et à créer un environnement affectif positif, les personnes étudiantes acquièrent une plus grande capacité de tolérance émotionnelle et apprennent de manière plus efficace et à des niveaux cognitifs plus élevés (Willis, 2007).

En créant des contextes d’apprentissage sécurisants et fondés sur la confiance, les personnes enseignantes peuvent créer ce que Whitton (2018) nomme un « cercle magique d’apprentissage ludique » (p. 3). Le terme « cercle magique » a été introduit à l’origine par Huizinga (1955) pour illustrer un espace de jeu, puis développé par Salen et Zimmerman (2004) pour expliquer comment les personnes construisent des relations et des situations au cours d’un jeu. Utilisé comme une métaphore, le cercle magique permet aux personnes étudiantes de prendre des risques encadrés en sachant qu’elles peuvent se tromper en toute sécurité et de manière constructive et développer la capacité d’apprendre de leurs erreurs plutôt que d’être découragées par celles-ci. Le recours au jeu permet ainsi de faire semblant et d’entrer dans d’autres sphères pour essayer des choses qui seraient impossibles ou peu recommandées dans un contexte réel de pratique. La création d’un cercle magique laisse place à l’adoption d’une attitude ludique qui permet d’imaginer de nouvelles possibilités d’apprentissage.

Ce concept de « cercle magique » a été utilisé par les concepteurs de jeux (en s’inspirant de Salen et Zimmerman, 2004) et les théoriciens du jeu (en s’inspirant de Huizinga, 1955) pour décrire les espaces de jeu (réels, temporels, virtuels ou imaginaires) dans lesquels se déroulent les jeux et les activités ludiques. Le cercle magique n’a pas de frontière rigide, mais il est entouré d’une zone « floue » (Harviainen, 2012 ; Remmele et Whitton, 2014) qui marque la transition entre le non-jeu et le jeu (ou entre la vie réelle et le jeu). Ce qui invite un joueur particulier à entrer dans le cercle magique et à franchir la frontière est fortement lié à ses motivations à jouer. Ce cercle crée un environnement inclusif et collaboratif, favorisant l’engagement et la participation de tous les apprenants.

L’activité au sein du cercle magique est volontaire et intrinsèquement motivée ; les personnes y entrent par choix et déterminent les règles, les actions et les limites de l’espace de jeu lui-même. La participation se fait pour elle-même et est motivée par les avantages inhérents au jeu, plutôt que par des récompenses externes. L’engagement intrinsèquement motivé crée une capacité d’exploration personnelle, d’expérimentation et de découverte, conduisant à un apprentissage qui a une signification personnelle (Whitton, 2018).

Il est essentiel de reconnaître que l’utilisation de jeux ou d’activités ludiques ne suffit pas à créer des espaces d’apprentissage ludiques et sécurisants ; les personnes participantes doivent les construire sur une période au cours de laquelle elles peuvent instaurer la confiance et développer des relations avec leurs collègues de classe. Les cercles magiques, dans le contexte de l’apprentissage, ne sont pas statiques, mais se développent, se transforment et s’enrichissent continuellement (Whitton, 2018).

Dans un contexte d’enseignement ludique, le cercle magique peut être utilisé pour des jeux éducatifs, des discussions, des activités de résolution de problèmes, ou d’autres formes d’apprentissage interactif. L’idée est de créer une atmosphère positive, où chacun se sent impliqué et contribue de manière active à l’apprentissage.

Différentes stratégies pédagogiques peuvent également contribuer à la mise en œuvre d’un climat d’apprentissage favorable (Archambault, 2000; Barr, 2016). Par exemple :

 


En conclusion, l’attitude ludique et le climat d’apprentissage sont des éléments essentiels pour promouvoir une expérience éducative enrichissante et durable. En permettant aux apprenants d’explorer, d’expérimenter et de collaborer de manière ludique, il est possible de créer des espaces où l’apprentissage devient agréable et plaisant. En définitive, l’adoption d’une attitude ludique et la mise en place d’un climat d’apprentissage positif permettent de soutenir un apprentissage significatif et le développement des compétences chez les personnes étudiantes.