6.4. Jeux d’improvisation

Rédigé par Matthieu Petit, André Gélineau, Renée Lacroix, Christelle Lison

Qu’est-ce que l’improvisation ?

En quoi l’improvisation constitue une méthode pédagogique à considérer dans le cadre de la formation initiale (ou continue) en enseignement ?

La racine latine du mot improvisation est « improvisus », qui signifie « l’imprévu ». En rhétorique, une personne qui improvise ne doit pas lire à partir d’un texte pré-écrit, mais parler librement. Or, avec ou sans notes, une oratrice ou un orateur qui renonce aux préparations générales altère sa capacité d’improvisation.

Pour Shem-Tov (2011), l’improvisation s’avère une activité créative et ludique, un processus spontané. L’improvisation est façonnée par la flexibilité, ainsi que par des relations transformatrices et égalitaires entre les personnes participantes.

L’improvisation est un mot fréquemment utilisé dans le métier de l’enseignement. Schonmann (2005) définit l’improvisation en classe comme un processus dialectique entre spontanéité et maîtrise de soi. Ce processus est un mouvement entre le planifié et le chaotique, et c’est ainsi que se construit le savoir en classe. Pour faire écho à cet ouvrage sur la pédagogie par le jeu, soulignons que Schonmann (2005) s’intéresse au « playing culture », en opposition à la culture écrite, mettant l’accent sur le corps et le mouvement, le faire et l’exécution, et non sur les idées ou les mots, d’abord abstraits. L’improvisation dans la « playing culture » est caractérisée par la tension entre le permanent et l’instable.

Shem-Tov (2011) souligne que si l’enseignement est une « affaire sérieuse », cela ne contredit pas la nécessité de l’improvisation pour la vitalité et le plaisir de cette activité importante. Elle se questionne toutefois sur la force du mythe comme quoi l’improvisation ne peut représenter une véritable méthode pédagogique. Ce mythe constitue encore un certain obstacle pour en faire un moteur d’apprentissage fort et une méthode utilisée à sa juste valeur dans la formation initiale et continue du personnel enseignant.

Azéma (2019) déboulonne ce mythe en insistant sur le fait qu’improviser ne signifie pas faire sans préparation. Il suggère entre autres que de bonnes improvisations en classe reposent sur un rapport de confiance en soi-même. Cette aisance en classe se développe entre autres par une préparation du contenu, de l’espace de travail et du matériel.

Holdus et al. (2016) suggèrent que l’improvisation réussie en classe repose sur des répertoires d’exemples et de méthodes pédagogiques (récits, images, figures, activités, gestes, etc.) pour expliquer, introduire ou démontrer un concept, une théorie, une façon de travailler ou un problème. Ces répertoires s’appuient sur des expériences personnelles et des connaissances obtenues à partir de différentes sources, d’où l’importance pour la personne enseignante d’acquérir une culture pédagogique, didactique et disciplinaire, ainsi que la propension à identifier les moments où le besoin d’improvisation se fait sentir pour donner des réponses adéquates.

Le personnel enseignant novice exprime souvent son désarroi quand il se retrouve dans des situations imprévues (Holdus et al., 2016). Une personne enseignante expérimentée identifie les imprévus comme de possibles moments clés d’apprentissage de l’élève alors que celle en formation initiale est davantage prise par surprise et n’en profite pas. Dans l’enseignement-improvisation, le « timing » est crucial dans la prise de décision. La personne enseignante doit être attentive à chaque instant et apporter des changements structurels si nécessaire. Si les élèves rencontrent des difficultés à comprendre quelque chose, elle a la possibilité de changer de méthode ou d’étoffer la situation afin d’approfondir le sujet ou de passer à une nouvelle séquence. L’enseignante ou l’enseignant doit prendre des décisions rapides et chaque décision influence la séquence globale et les personnes impliquées.

Azéma (2019) considère que pour les personnes enseignantes novices, il n’y a pas de construction de soi ni de développement professionnel sans improvisation en classe.  Pour lui, l’improvisation devrait être considérée dans la planification d’un novice.

Relativement à la planification, même Schön (1994) évoquait une esquisse autour de laquelle l’enseignant brode des variations. En ce sens, pourquoi faudrait-il éviter l’improvisation comme méthode pédagogique pour la formation du personnel enseignant plutôt que d’encourager et encadrer celle-ci ?

En quoi des ateliers d’improvisation théâtrale peuvent aider de futures personnes enseignantes à développer leur gestion de classe ?

Les personnes étudiantes de tous les programmes de formation en enseignement doivent développer leur compétence relative à la gestion de classe. Cela doit se faire en prévision des stages (surtout lorsqu’il y a une prise en charge de groupes-classes), mais aussi en amont de l’insertion professionnelle.

La gestion de classe peut être définie comme un ensemble des actions préventives et démocratiques posées avant et durant l’action pour créer et maintenir des conditions propices à l’instruction, à la socialisation et à la qualification des élèves (Archambault et Chouinard, 2016; Nault et Lacourse, 2016). Étant au cœur de la complexité de la tâche en début de carrière, le développement de la compétence en gestion de classe représente un enjeu important pour les stagiaires, pour celles et ceux qui les accompagnent en stage, ainsi que pour tout le milieu de l’éducation qui s’efforce à faciliter l’insertion professionnel et la rétention du personnel enseignant.

Enseigner n’est pas improviser, bien au contraire ! Toutefois, différentes recherches soulignent que des ateliers d’improvisation théâtrale peuvent contribuer à la formation du personnel enseignant à l’égard de la gestion des imprévus en enseignement (commentaires, gestes, bruits, questions, incidents…). En plus de représenter des occasions de transfert quant aux savoirs des cours de gestion de classe, ces ateliers répondent au besoin des stagiaires de se former à gérer l’imprévisibilité qui peut survenir en classe, dans les corridors de l’école ou lors d’une activité hors des murs de l’école.

Il y a un parallèle à faire entre la complexité de la profession enseignante quant à la gestion des imprévus durant l’action, et le déroulement d’une improvisation théâtrale (Sawyer, 2003), à l’image de ce qui se fait à la Ligue National d’Improvisation (la LNI). D’ailleurs, les six composantes de la complexité de Doyle (2006) s’appliquent autant à la gestion de classe qu’à l’improvisation : multi-dimensionnalité, immédiateté, imprévisibilité, simultanéité, notoriété (par son caractère public) et historicité (par les ajustements à effectuer en considération des événements précédents).

Dans les cours de gestion de classe, on prépare les étudiantes et les étudiants à gérer une imprévisibilité absente (respect de sa planification, selon un savoir-appliquer) ou modérée (selon des imprévus connus, selon un savoir-adapter), mais on ne les prépare pas à une imprévisibilité élevée (avec des imprévus inédits) qui nécessite un savoir-improviser (Pelletier, 2020).  Selon lui, ce savoir-improviser compte trois aspects :

Hyperperception (écoute, vision périphérique, observation, chevauchement);
Action rapide sur les événements (rythme, utilisation des potentialités);
Chiffre « 3 » Qualité de la communication (contact visuel, mobilité, éléments prosodiques, langage non verbal).

Les improvisatrices et les improvisateurs (tout comme le personnel enseignant) réagissent dans l’urgence et construisent leurs répliques à partir de données souvent imprévisibles générées par les personnes qui les entourent. D’ailleurs, Archambault et Chouinard (2016) identifient cinq stratégies de gestion de classe à la portée des stagiaires qui s’appliquent bien à l’improvisation théâtrale :

Réagir promptement pour faire cesser un comportement perturbateur;
Éviter de se concentrer sur une activité, lorsque plusieurs activités sont en cours;
Chiffre « 3 » S’exercer à repérer les signes d’ennui;
Chiffre « 4 » Balayer fréquemment et régulièrement notre environnement du regard;
Chiffre « 5 » Être attentif à la possibilité pour chaque personne qui nous entoure de donner du sens à l’activité en cours.

Dans la littérature, il existe plusieurs répertoires d’habiletés en gestion de classe (Kounin, 1970; Mackin et Kaplan de Vries, 1992; Lobman, 2005; Pelletier et Jutras, 2008, Archambault et Chouinard, 2016 ; Nault et Lacourse, 2016). Pour développer celles-ci, des études empiriques ont mis en valeur le potentiel des exercices d’improvisation théâtrale (Mackin et Kaplan de Vries, 1992; Lobman, 2005; Pelletier et Jutras, 2008; Gagnon, 2010). Il existe de nombreux manuels techniques avec de tels exercices (Gravel et Lavergne, 1987; Johnstone, 1992; Spolin, 1999; Bergren, Cox et Detmar, 2002; Tournier, 2003; Lobman et Lundquist, 2008).

 

Les ateliers de la fiche pédagogique de cette section sur l’improvisation s’inspirent d’une modalité pédagogique tirée des travaux de Pelletier (2020), dont la thèse s’intitule « Production d’un scénario pédagogique de formation composé d’exercices d’improvisation visant le développement de la compétence en gestion de classe dans la phase de contrôle durant l’action chez des stagiaires en enseignement secondaire ». D’ailleurs, Pelletier et Jutras (2008) ont mené des expériences d’improvisation théâtrale auprès d’enseignantes et d’enseignants qui ont pu développer des habiletés utiles pour la gestion des imprévus, dont la rapidité d’exécution et la vigilance.

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Pour citer ce texte:

Petit, M., Gélineau, A., Lacroix, R. et Lison, C. (2024). L’improvisation: une méthode pédagogique à considérer dans le cadre de la formation initiale en enseignement. Dans S. Hovington et J. Lépine (dir.). La pédagogie par le jeu en enseignement supérieur : un levier pour favoriser le développement du savoir-être. Université Laval. Fabrique REL.

 

Références

Archambault, J. et Chouinard, C. (2016). Vers une gestion éducative de la classe. (4e éd.). Gaëtan Morin.

Azéma, G. (2019). Improvisation et travail ordinaire des enseignants entrant dans le métier. Quelle activité? Quels enjeux? Activités, 16 (1), 1–44.

Bergren, M., Cox, M. et Detmar, J. (2002). Improvise this! How to think on your feet so you don’t fall on your face. Hyperion.

Doyle, W. (2006). Ecological Approaches to Classroom Management. Dans C. Evertson et C. Weinstein (dir.), Handbook of Classroom Management: Research, Practice and Contemporary Issue (p. 97-125). Lawrence Erlbaum Association.

Gagnon, R. (2010). Former à enseigner l’argumentation orale: de l’objet de formation à l’objet enseigné en classe de culture générale. Thèse de doctorat, Université de Genève.

Gravel, R. et Lavergne, J. (1987). Impro : réflexions et analyses. Leméac.

Johnston, S. (1992). Images : A way of understanding the practical knowledge of student teachers. Teaching and teacher education, 8 (2), 123-136.

Kounin, J.S. (1970). Discipline and Group Management in Classrooms. Holt, Rinehart and Winston.

Lobman, C. (2005). Improvisation : A postmodern playground for early childhood teachers. Dans S. Ryan et S. Grieshaber (dir.), Putting Postmodern Theories into Practice. JAI Press.

Lobman, C. et Lundquist, M. (2008). Unscripted Learning. Using improv Activities Across the K-8 Curriculum. Teachers College Press.

Mackin, K.J. et Kaplan deVries, D. (1992). The Northern New England Social Action Theater. Literacy Theater Staff Training Project : An Evaluation. Evaluation Report. Nashua Adult Learning Center.

Nault, T. et Lacourse, F. (2016). La gestion de classe : une compétence à développer (2e éd.). CEC.

Pelletier J.-P. (2020). Mise au point d’exercices visant le développement d’habiletés interactives chez des stagiaires en enseignement. McGill Journal of Education / Revue des sciences de l’éducation de McGill, 55(2), 397–416.

Pelletier, J.-P. et Jutras, F. (2008). Les composantes de l’entraînement à l’improvisation actives dans la gestion des imprévus en salle de classe du niveau secondaire. McGill Journal of Education, 43 (2), 187-212.

Sawyer, R.K. (2003). Group Creativity. Music, Theater, Collaboration. Lawrence Erlbaum.

Shem-Tov, N. (2011) Improvisational Teaching as Mode of Knowing, The Journal of Aesthetic Education, 45(3), 103-113.

Schonmann, S. (2005). Theatrical Representations of Teaching as Performance. Dans J. Brophy et S. Pinnegar (dir.), Learning from Research on Teaching: Perspective, Methodology, and Representation (Advances in Research on Teaching, Vol. 11) (p. 283-311). Emerald Group Publishing Limited.

Schön, D. A. (1994). Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Éditions Logiques.

Spolin, V. (1963). Improvisation for the theater. A handbook of teaching and directing techniques. Northwestern University Press.

Tournier, C. (2003). Manuel d’improvisation théâtrale. Éditions de l’eau vive.