Chapitre 7: l’engagement social et ses effets sur la santé
Vicky Drapeau; Lesly Joyce Nkuindja; et Patrice C. Ahehehinnou
Introduction
Depuis plusieurs années, des équipes de recherche s’intéressent aux effets et aux conséquences de différentes formes d’engagement social sur la santé. Ces formes incluent le bénévolat dans des organisations, des comités, ou des activités communautaires, l’accompagnement en tant que mentor, tuteur, tutrice ou personne proche aidante, ainsi que les dons de matériels, d’argent, de sang ou d’organes. Fried et al. (2004) ont été parmi les premières équipes à établir un modèle expliquant les potentiels mécanismes et fonctions par lesquels leur programme de bénévolat pourrait positivement influencer la santé des bénévoles. Cette équipe décrivait que, grâce à l’activité physique, à l’implication sociale et à la stimulation cognitive, leur programme de bénévolat pouvait améliorer la qualité de vie des bénévoles, en plus d’améliorer leur fonction physique, cognitive et globale, ce qui réduisait les coûts reliés à leur prise en charge en santé.
Selon cette équipe de recherche, les mécanismes évoqués pouvant conduire à de tels effets étaient l’amélioration de la force et de l’équilibre, la diminution des chutes, la diminution de la résistance à l’insuline et de la pression artérielle, l’augmentation du soutien social, du sentiment d’efficacité personnelle et de la réserve cognitive. Par la suite, d’autres équipes de recherche, comme Anderson et al. (2014), ont élargi ce modèle au bénévolat de manière générale. Anderson et al. (2014) s’inscrivent dans la continuité de leurs prédécesseurs en proposant un modèle expliquant les effets bénéfiques potentiels du bénévolat sur les fonctions sociales, physiques et cognitives, conduisant ainsi à une amélioration du fonctionnement et à une réduction du risque de démence. Dans une vision encore plus globale, qu’en est-il des avenues, des mécanismes et des effets de l’engagement social sur la santé?
Ce chapitre vise notamment à mettre en évidence les preuves scientifiques des bienfaits de l’engagement social sur la santé globale. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la santé globale représente un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité (OMS, 1946). Alors, en traitant des effets de l’engagement social sur la santé, les groupes de recherche s’intéressent notamment aux retombées potentielles de gestes concrets d’engagement social sur la santé physique, mentale et sociale des personnes à court et à moyen terme, ainsi que de possibles répercussions à long terme. La figure 7.1 illustre quelques termes utilisés pour parler d’engagement social. Plusieurs études ont été recensées dans la littérature scientifique pour des engagements de nature variée à l’échelle individuelle ou organisationnelle. Dans un premier temps, ces études seront présentées dans chaque section sur la santé telle que l’OMS le définit, en abordant d’une part l’engagement social sous forme de bénévolat et d’autre part, sous forme de dons. Dans un deuxième temps, des recommandations seront formulées pour tenir compte des capacités et des limites de la personne engagée. Finalement, dans un troisième temps, un nouveau modèle, adapté de Fried et al. (2004), sera proposé pour résumer les diverses avenues et mécanismes par lesquels l’engagement social peut avoir un effet positif sur la santé globale.
Figure 7.1 Termes utilisés dans la littérature scientifique faisant référence au concept d’engagement social
7.1 La santé physique
Plusieurs études démontrent les effets positifs de l’engagement social sur la santé physique, notamment sur la santé cardiovasculaire, immunitaire et fonctionnelle. Le bénévolat, tant chez les personnes plus jeunes que chez les personnes plus âgées, a le potentiel de diminuer les facteurs de risques associés aux maladies cardiovasculaires, tels que l’obésité, le taux de glycémie élevée, l’hypertension artérielle et les triglycérides élevés (Burr et al., 2016; Schreier et al., 2013; Kim et Ferraro, 2014). De plus, ce type d’engagement social renforcerait le système immunitaire, notamment en étant associé à un niveau moindre de marqueurs inflammatoires, tels que l’interleukine-6 et la protéine C-réactive (Schreier et al., 2013; Bell et al., 2022). De plus, le bénévolat favoriserait la santé autorapportée, améliorerait les fonctions physiques et réduirait les risques de mortalité (Tang, 2009; Lum et Lightfoot, 2005; Nichol et al., 2024). D’ailleurs, Nichol et al. (2024) notent dans leur revue que ces deux derniers bénéfices sont scientifiquement prouvés avec les plus grandes tailles d’effets.
À l’échelle individuelle, Burr et al. (2016) ont examiné les données de l’enquête nationale Health and Retirement Study de 2004 et 2006, portant sur 7 803 personnes âgées de 51 à 104 ans vivant aux États-Unis. Les résultats de cette étude montrent que les adultes d’âge moyen qui s’engagent dans du bénévolat ont moins tendance à présenter un risque élevé d’adiposité centrale, un profil lipidique altéré, un taux de glycémie élevé et un syndrome métabolique. En revanche, les personnes âgées ont une probabilité réduite de souffrir d’hypertension artérielle, bien qu’elles présentent également une tendance de profil lipidique défavorable, qui pourrait être attribuable à leur âge et à leur mode de vie.
Selon une recherche antérieure menée par Burr et al. en 2011, le bénévolat d’intensité modérée est associé à un faible risque d’hypertension artérielle et de pression artérielle chez les adultes d’âge moyen et les personnes ainées. Toutefois, l’équipe précise que le bénévolat d’intensité élevée n’entraînerait pas de bénéfices supplémentaires sur les indicateurs de santé cardiométaboliques évalués. Toujours chez les personnes ainées, Bell et al. (2022) ont observé que celles qui s’impliquaient dans diverses activités bénévoles ont pu bénéficier de retombées positives sur leur santé immunitaire. Tout comme l’étude de Burr et al. (2011), cette recherche est également issue du Health and Retirement Study. Les résultats montrent que chez les personnes âgées de 65 ans et plus, le bénévolat est associé à un niveau plus faible de protéine C réactive, un marqueur important des réactions inflammatoires. Plus une personne est engagée, plus l’effet est notable par rapport à ceux et celles qui ne s’impliquent pas ou peu. Toutefois, cet effet positif du bénévolat tend à diminuer chez les personnes les plus âgées.
À l’échelle organisationnelle, Schreier et al. (2013) ont évalué un protocole de bénévolat chez des élèves d’une école secondaire publique dans l’ouest du Canada. Les résultats de cette étude indiquent que les adolescents et adolescentes bénévoles ont montré des niveaux significativement plus faibles d’interleukine 6 (un marqueur inflammatoire), de cholestérol et d’indice de masse corporelle. Les bénévoles adolescents et adolescentes qui développent une plus grande empathie, des comportements altruistes ainsi qu’une diminution de l’humeur négative présentent les plus faibles risques de maladies cardiovasculaires. Par conséquent, il semblerait que les adolescents et adolescentes qui s’engagent dans des activités bénévoles puissent tirer un profit pour leur santé métabolique. Selon Schreier et al. (2013), une approche de bénévolat pourrait contribuer à réduire les inégalités en santé.
Toujours à l’échelle organisationnelle, le programme Experience Corps, mis en place dans diverses villes des États-Unis, est un programme intergénérationnel qui permet à des adultes de 60 ans et plus de s’impliquer comme bénévoles au sein d’écoles primaires publiques (Fried et al., 2004). Un projet de recherche visant à évaluer ce programme a permis d’en démontrer plusieurs effets bénéfiques en comparant les personnes qui ont participé au programme (groupe intervention) à celles qui n’y ont pas participé (groupe contrôle). Sur le plan de la santé physique, les résultats indiquent une augmentation de la pratique d’activité physique chez les bénévoles par rapport à celle des personnes du groupe contrôle. De plus, les personnes du groupe bénévole rapportaient un niveau de force physique plus élevé après le programme, alors que celui-ci a diminué chez les personnes du groupe contrôle.
Sur une période de douze mois, le nombre de chutes avait diminué parmi les bénévoles, alors qu’il avait augmenté chez les participants et participantes du groupe contrôle. De plus, les personnes du groupe bénévole étaient plus nombreuses à utiliser une canne en cas de besoin que celles du groupe contrôle. Le programme Experience Corps a su prouver que l’engagement bénévole et communautaire des personnes âgées de 60 ans ou plus entraîne une amélioration des indicateurs liés à l’exercice physique.
Dans un autre ordre d’idées, les dons matériels, tels que les dons de sang et d’organes, sont d’une grande importance pour la société et peuvent avoir de nombreux effets positifs sur la santé des personnes qui reçoivent et celles qui donnent. Sur le plan de la santé métabolique, les dons de sang peuvent réguler les taux de fer des personnes qui donnent et ainsi réduire les risques d’infarctus du myocarde (Salonen et al., 1998). Toutefois, certains effets indésirables peuvent également survenir et doivent être surveillés de près. Parmi ceux-ci, notons l’évanouissement, la carence en fer ou l’anémie (Kochhar et al., 2012). Ces effets indésirables pourraient être évités grâce à un meilleur accompagnement des personnes qui donnent leur sang avant, pendant et après les dons. Dans ce sens, Ferguson et al. (2019) soulèvent que des incitatifs, des messages textes et un suivi peuvent améliorer l’efficacité des différents types de dons. Les méthodes suggérées de prise en charge pourraient possiblement gagner la confiance des personnes réfractaires au don, qui peuvent craindre que les dons d’organes ou de sang soient néfastes pour leur santé (Furmeen et Reddy, 2018). En général, plusieurs donneurs et donneuses considèrent le don de sang comme une cause humanitaire et éprouvent une satisfaction morale à y contribuer. Selon l’étude menée par Amo-Tachie et Dei-Adomokoh (2022), près de la moitié des personnes interrogées ont affirmé que le fait de donner leur sang avait eu un effet positif sur leurs décisions en matière de santé.
En définitive, les quelques études portant sur les effets des dons sur la santé physique sont relativement récentes. Parmi celles-ci, Whillans et al. (2016) ont cherché à comprendre si les dons d’argent (ou dépenses prosociales) pouvaient améliorer la santé des personnes âgées atteintes d’hypertension artérielle (Whillans et al., 2016). Dans leur première étude, des personnes aînées ayant reçu un diagnostic d’hypertension artérielle ont été évaluées. Dans leur seconde étude, des personnes aînées étaient invitées à dépenser de l’argent pour les autres ou bien, pour elles-mêmes. La première étude montre que donner de l’argent est associé à une baisse de la pression artérielle chez les personnes âgées souffrant d’hypertension artérielle. Ensuite, la deuxième étude met en évidence que les dépenses prosociales peuvent avoir un effet similaire sur la tension artérielle à celui des interventions médicamenteuses ou de l’exercice physique.
Macchia et al. (2023) ont quant à eux évalué les effets des dons d’argent et du bénévolat sur l’interférence de douleurs physiques. Celles-ci peuvent être interprétées comme étant des douleurs nuisant à la participation ou à l’appréciation des activités de la vie quotidienne. Les résultats de cette étude suggèrent que l’engagement social par les dons d’argent et le bénévolat serait associé à une plus faible interférence des douleurs physiques perçues après un suivi sur dix ans. Les participants qui ont versé des contributions financières significatives ont signalé moins de perturbations causées par la douleur. En revanche, le temps consacré au bénévolat n’a pas semblé influencer cette mesure. En synthèse, ces résultats suggèrent que les dons d’argent contribuent positivement à la santé cardiovasculaire et physique, ce qui ouvre la voie à des études plus approfondies et à des interventions visant à améliorer la santé physique par les comportements prosociaux.
En résumé, l’engagement social peut avoir de nombreux bienfaits sur la santé physique. Les personnes qui s’investissent dans des activités comme le bénévolat ou les dons peuvent voir leur espérance de vie augmenter, en plus de constater une amélioration de leur santé cardiovasculaire, métabolique et fonctionnelle. En ce qui concerne les dons de sang et d’organes, il a été suggéré d’accorder une attention particulière à l’accompagnement des donneurs et donneuses, dans le but d’optimiser les bienfaits de cet engagement social important. Par ailleurs, l’engagement social réalisé à l’échelle organisationnelle peut également aider à promouvoir l’éducation, les liens intergénérationnels, l’inclusion des personnes ainées et de différentes communautés, et possiblement à réduire les inégalités en matière de santé.
7.2 Santé mentale
La littérature scientifique soutient les effets positifs de l’engagement social, notamment sur la santé mentale, cognitive, émotionnelle et sur le bien-être. Selon de nombreuses études, le bénévolat tend à favoriser la santé mentale et le bien-être des personnes (Dietz et al., 2007; Clark, 2003; Jenkinson et al., 2013; Nichol et al., 2024; Piliavin et Siegl, 2007). L’effet serait plus marqué chez les adultes de 40 ans et plus, bien qu’il soit observé également chez les enfants, les adolescents et les jeunes adultes (Tabassum et al., 2016). Clark (2003) montre que cet effet est aussi détecté chez les personnes ayant des enjeux de santé mentale. Il a été établi que le bénévolat est lié à un risque réduit de déclin cognitif (Okun et al., 2013; Proulx et al., 2018). Selon la revue de Anderson et al. (2014), le bénévolat présente plusieurs avantages pour la qualité de vie, notamment une diminution des symptômes de dépression, une meilleure santé autodéclarée, un nombre moindre de limitations fonctionnelles et une mortalité plus faible chez les personnes de l’âge d’or. De son côté, Stein et Galea (2020) soulignent le rôle du bénévolat dans la qualité de vie des personnes ainées. Selon cette équipe de recherche, s’engager bénévolement serait lié à une réduction du risque de mortalité, à une amélioration de l’état de santé autorapportée et des fonctions cognitives. De plus, Byrnes et Swainston (2016) notent que le bénévolat peut non seulement réduire le stress, mais également augmenter le bonheur et la satisfaction dans la vie. Andersson et Glanville (2016) mettent en évidence le lien bidirectionnel entre le bien-être et le bénévolat, en démontrant que le bien-être mental, combiné à l’éducation, tend à favoriser l’engagement bénévole. Pour toutes ces raisons, cette forme d’engagement social est encouragée dans diverses populations.
À l’échelle individuelle, Black et Living (2004) ont mené une étude dont les principaux objectifs étaient de mieux comprendre le bénévolat comme occupation en analysant les raisons qui poussent les gens à s’engager en tant que bénévole en examinant les éventuels effets positifs sur la santé. À la lumière de leurs trouvailles, le bénévolat semble exercer des effets positifs, principalement sur la santé mentale, en offrant des occasions d’apprentissage et de développement de compétences, ce qui renforce la confiance et l’estime de soi. Il favorise aussi le soutien social et l’inclusion dans la communauté, en offrant des occasions de réflexions spirituelles et personnelles sur des sujets tels que le sens de la vie. Selon cette équipe, l’engagement bénévole pourrait offrir certains avantages thérapeutiques. Dans ce sens, ils ouvrent la voie aux ergothérapeutes pour recommander le bénévolat, notamment chez les personnes ayant des problèmes de santé mentale, en identifiant et en comprenant leurs motivations pour mieux les guider. De plus amples études doivent être menées pour évaluer les bénéfices de telles recommandations dans un contexte de pratique clinique.
Sous un autre angle, Proulx et al. (2018) ont étudié l’association entre le bénévolat et le déclin cognitif au fil du temps chez 11 100 personnes âgées de 51 ans ou plus, en se basant sur neuf séries de données de l’enquête américaine Health and Retirement tenue de 1998 à 2014. Les résultats de cette étude montrent que le bénévolat de type formel était associé à des performances cognitives plus élevées, particulièrement en ce qui a trait à la mémoire de travail et de traitement. Cette association était plus marquée chez les femmes et chez les personnes ayant un niveau d’éducation inférieur à la moyenne, ce qui laisse croire que le sexe et l’éducation pourraient avoir un effet modérateur en contexte d’engagement social. Finalement, l’association positive entre le bénévolat formel et le fonctionnement cognitif, notamment en ce qui concerne la mémoire de travail et de traitement, était renforcée, et ce, sans égard au temps de bénévolat complété.
À l’échelle organisationnelle, la méta-analyse de Howard et Serviss (2022), totalisant 57 recherches, portait sur les effets du bénévolat corporatif (bénévolat soutenu par l’employeur). Les résultats montrent que le personnel qui participait à des programmes de bénévolat corporatifs présente un plus grand engagement et des comportements plus positifs. Quelques effets bénéfiques ont également été notés pour le bien-être et la satisfaction à l’égard de l’emploi, bien que ces effets ne soient pas statistiquement significatifs. D’un autre côté, la participation organisationnelle aux programmes de bénévolat se traduirait positivement par le bien-être du personnel, l’engagement, les comportements positifs et la satisfaction à l’égard du travail. Par conséquent, lorsque toute une équipe s’engage à l’échelle organisationnelle, les bienfaits seraient plus marqués que lorsque les membres du personnel s’impliquent à l’échelle individuelle. Les équipes de recherche notent que cet effet organisationnel s’avère significatif en ce qui concerne la satisfaction au travail et les comportements positifs du personnel. La taille de l’organisation n’avait pas d’effet significatif, alors que les valeurs et les pratiques éthiques étaient très importantes pour le personnel. Les équipes ont aussi remarqué que l’éducation et la perception du bénévolat semblaient influencer la participation du personnel dans un contexte d’engagement social organisationnel. Toutefois, le genre, l’âge et les traits de personnalité prosociaux ne semblaient pas être des facteurs déterminants. Les équipes de recherche concluent que les programmes de bénévolat organisationnel auraient le potentiel d’améliorer le bien-être du personnel. Plus celui-ci a des ressources et se sent accompagné, plus il est enclin à s’engager. Toutefois, les équipes de recherche soulignent qu’il est nécessaire, notamment dans le cas d’organisations de plus petite taille, d’avoir accès à certaines ressources, par exemple théoriques et financières, pour parvenir à développer de tels programmes.
De plus, les dons et les œuvres de charité peuvent également contribuer positivement à la santé mentale et au bien-être. Cependant, les recherches semblent contradictoires quant aux effets des dons de sang et d’organes sur la santé mentale. D’un côté, des études comme celles de Massey et al. (2010) présentent des effets positifs intéressants sur la santé des donneurs. En effet, selon les résultats de cette étude, ce type de don, aussi connu sous le nom de « bon samaritain », aurait le potentiel d’avoir un effet positif considérable sur le bien-être psychologique des personnes, alors que les répercussions négatives seraient limitées. La satisfaction d’avoir fait un don était très élevée chez la personne qui a donné un rein. L’expérience vécue par ces personnes correspondait généralement à leurs attentes. Les donneurs et donneuses en retiraient de la satisfaction et des avantages personnels. Bien que cet aspect n’ait pas été évalué par les équipes de recherche, l’accompagnement et l’enseignement reçus par les donneurs et donneuses dans le cadre du projet pourraient avoir contribué à l’amélioration de leur expérience. D’un autre côté, la littérature comprend aussi des expériences ayant des effets mixtes ou négatifs sur la santé mentale et le bien-être des personnes qui donnent des organes et du sang. Ces expériences peuvent entraîner divers problèmes d’ordre psychologique et du stress (Hinrichs et al., 2008; Ong et al., 2021; Ferguson et coll., 2019). Ong et al. (2021) suggèrent de porter une attention particulière aux personnes qui présentent des facteurs de risque, comme un état de santé précaire avant ou après le don. Ces personnes devraient être surveillées et bénéficier d’un soutien social, d’une psychoéducation et d’une psychothérapie. En ce qui concerne la population générale, il faut mettre l’accent sur l’importance de l’éducation, de l’accompagnement et du suivi pour ce type de don, comme expliqué dans la section précédente. Dans ce sens, les organisations œuvrant dans ce domaine pourraient elles aussi bénéficier d’un accompagnement pour mettre en place davantage de mesures visant à améliorer la prise en charge, le suivi et l’éducation des personnes engagées. L’OMS a élaboré un guide d’action pour atteindre l’objectif de 100 % de dons volontaires, avec différents axes clés, comme la qualité des services et des soins pour les donneurs (OMS, 2011). On pourrait, par exemple, proposer un service de counseling pour les donneurs et mettre en place un système pour enregistrer et examiner tous les événements indésirables liés aux donneurs pour ensuite prendre des mesures correctives et préventives.
Ensuite, il semblerait qu’effectuer des dons de charité ait un impact positif sur le bonheur, le bien-être psychologique et l’état de satisfaction à l’égard de la vie (Dunn et al., 2008; Choi et Kim, 2011; Ugur, 2018). Selon l’étude de Choi et Kim (2011), les personnes qui font des dons de charité se disent plus heureuses, quel que soit le montant donné. Concernant les dons d’argent, soulignons que la philanthropie aurait elle aussi des bénéfices sur la santé mentale des philanthropes (Vaccaro, 2014; Konrath, 2012).
En bref, la santé mentale, la santé cognitive, le bien-être et la qualité de vie occupent une place prépondérante en ce qui a trait aux bénéfices de l’engagement social. Le bénévolat a su faire ses preuves sur le plan des bienfaits sur la santé mentale, et ce, sans égard au temps consacré aux activités bénévoles. Une avenue d’intégration du bénévolat à la pratique clinique a également été présentée en ergothérapie. Les dons peuvent eux aussi contribuer à la santé mentale et au bien-être des individus. L’accompagnement des donneurs et donneuses est essentiel pour créer un environnement positif, sain, stimulant en plus d’instaurer des pratiques durables. En parallèle, l’accompagnement des organisations dans la mise en place d’occasions d’engagement social a également été soulevé. En combinant ces constats à ceux sur la santé physique, le concept d’un esprit sain dans un corps sain prend toute son importance.
7.3 La santé sociale
Plusieurs recherches scientifiques ont démontré les effets positifs de l’engagement social sur les liens sociaux et l’estime de soi. En effet, il a été constaté que le bénévolat favorise la création de liens sociaux de qualité qui peuvent également représenter un soutien social (Fried et al., 2004; Manjunath et al., 2021). Au-delà des effets observés chez les bénévoles, Grönlund et Falk (2019) mettent en évidence des effets positifs chez les personnes bénéficiant d’une aide bénévole. Dans la plupart des études qu’elles ont analysées, ces chercheuses remarquent que le soutien apporté par les bénévoles tendait à réduire les niveaux de stress émotionnel, l’isolement social et le sentiment de solitude des personnes aidées. L’incidence de la solitude sociale et émotionnelle avait également diminué. Les autrices mettent en lumière l’effet particulièrement significatif chez les personnes plus vulnérables, comme les personnes âgées, les personnes souffrant de maladie mentale ou physique et les familles ayant un enfant malade. Le bénévolat permettrait donc de renforcer les liens sociaux des bénévoles, mais aussi des personnes aidées.
À l’échelle individuelle, Brown et al. (2012) ont mené une étude auprès d’une population adulte australienne afin d’évaluer les potentiels effets médiateurs entre le bénévolat et le bien-être. Les résultats de cette étude montrent que les personnes adultes engagées dans du bénévolat présentaient un niveau de bien-être supérieur à celles qui n’en pratiquaient pas. Dans le même ordre d’idée, les personnes bénévoles présentaient des niveaux plus élevés d’estime de soi, d’efficacité personnelle et de liens sociaux que celles qui ne faisaient pas de bénévolat. Finalement, l’équipe de recherche a noté que l’estime de soi, l’efficacité personnelle et les liens sociaux jouaient un rôle médiateur dans la relation entre le bénévolat et le bien-être.
À l’échelle organisationnelle, s’engager en tant que bénévole peut permettre aux personnes de se sentir utiles et appréciées, ce qui contribue à améliorer leur santé globale et leur sentiment de bien-être (Fried et al., 2004). C’est ce que met notamment en lumière le programme Experience Corps. En plus des effets bénéfiques sur la santé physique, ce programme de bénévolat intergénérationnel a également montré des effets bénéfiques quant aux liens sociaux intergénérationnels, au soutien social et à la stimulation cognitive. D’abord, la grande majorité des personnes qui faisaient partie du groupe intervention avaient accepté de participer pour contribuer à l’aide aux élèves (64 %). De ces bénévoles, 90 % ont exprimé leur satisfaction quant à leur implication et 80 % ont renouvelé leur engagement l’année suivante, appuyant cette perception d’impact de leur engagement auprès des élèves. Ensuite, après leur participation au programme, les bénévoles du groupe intervention ont rapporté une augmentation significative du nombre de personnes sur qui il était possible de compter en cas de besoin d’aide, tandis que ce nombre de personnes a diminué chez les participants et participantes du groupe contrôle. Finalement, en ce qui concerne l’aspect de la stimulation cognitive, les personnes ayant participé au programme Experience Corps ont déclaré regarder moins la télévision quotidiennement en moyenne (4,6 heures au début du programme et 4,4 heures lors du suivi) que celles du groupe contrôle (4,5 heures en moyenne au début du programme et 5,3 heures lors du suivi). Les activités personnelles cognitives d’intensité modérée à élevée chez les bénévoles, telles que la cuisine et les casse-tête, n’ont pas diminué, même avec l’ajout de 6 à 7 différentes activités bénévoles supplémentaires à l’école primaire dans laquelle ces personnes s’impliquaient déjà environ 25 heures par semaine durant le programme. En somme, ce programme novateur et exemplaire représente un modèle gagnant-gagnant pour la santé globale des bénévoles qui s’engagent et pour les élèves qui bénéficient d’aide supplémentaire dans les écoles primaires. Les équipes de recherche de cette étude encouragent ce type d’initiative organisationnelle et communautaire afin de résoudre certains besoins sociaux et de promouvoir les saines habitudes de vie auprès d’une population vieillissante.
En ce qui concerne les dons matériels, Nilsson Sojka et Sojka (2003) ont observé que les donneurs de sang ressentaient des effets positifs, notamment quant à la satisfaction sociale. Voici quelques exemples de questions posées : comment le don de sang vous affecte-t-il sur les plans physique, psychologique, spirituel ou éthique, et ce, pendant et après le don? Qu’est-ce qui est affecté? De quelle manière? À quel moment les effets commencent-ils et se terminent-ils? Est-ce qu’une personne de votre entourage a remarqué et commenté un changement concernant votre relation avant ou après le don de sang? Les résultats de cette étude indiquent que 54 % des sujets ont perçu au moins un changement. De plus, 29 % des sujets ont vécu une expérience exclusivement positive, 19 %, exclusivement négative, et 6 %, mixte. Les effets positifs pouvaient commencer une heure suivant le don et pouvaient durer des semaines comparativement aux effets négatifs qui avaient tendance à s’estomper après quelques minutes, heures ou jours. Parmi les effets positifs, les hommes et les femmes ont notamment rapporté un sentiment de satisfaction sociale (avoir contribué ou aidé, s’être rendu utile), un meilleur état d’alerte et un sentiment général de mieux-être après le don.
Quant aux dons d’argent, il semblerait que ce type d’engagement social ait des effets positifs sur le bien-être, la satisfaction à l’égard de la vie et l’estime de soi. Une étude exploratoire menée par Surana et Lomas (2014) auprès d’un groupe de personnes âgées de 24 à 59 ans visait à mesurer ces effets chez un groupe intervention (donateurs ou donatrices) et un groupe contrôle (non-donateurs ou non-donatrices). Les résultats de cette étude exploratoire montrent que le bien-être des personnes ayant donné de l’argent s’est significativement amélioré. Elles ont également constaté une hausse de leur satisfaction à l’égard de la vie et de leur estime de soi.
En bref, la santé sociale constitue un pilier important de la santé globale et du bien-être. L’engagement social sous toutes ses formes peut avoir des bénéfices sur la santé sociale, notamment en favorisant le bien-être, les liens sociaux, l’estime de soi, le sentiment de compétence ainsi qu’en réduisant le sentiment de solitude et l’isolement. Les effets s’avèrent bénéfiques chez les personnes bénévoles, mais aussi chez les personnes qui bénéficient de leur aide. À l’avenir, il serait intéressant d’effectuer des projets de recherche de plus grande envergure sur les effets des dons d’argent sur la santé sociale.
7.4 Le respect des capacités et des limites de la personne engagée
À la lumière des recherches, l’engagement social sous toutes ses formes peut avoir des effets positifs sur la santé globale, que ce soit à l’échelle individuelle ou organisationnelle. Cependant, il est important de souligner que le fait de trop s’engager peut avoir l’effet inverse et nuire à la santé. La prochaine sous-section abordera donc l’épuisement professionnel des personnes engagées alors que la seconde propose un modèle permettant d’évaluer la charge liée à un engagement pour éviter les conséquences négatives.
7.4.1 L’épuisement des personnes engagées
S’engager à long terme dans une cause sociale peut exiger un coût psychologique et affecter négativement le bien-être de la personne engagée. Elle s’expose alors à un épuisement (burn-out), ce qui peut éventuellement la pousser à abandonner son engagement social. Les personnes engagées dans une cause sociale sont plus susceptibles d’atteindre cet état psychologique, puisque la nature même de leur engagement les expose à des situations émotionnelles importantes, à des efforts soutenus et à de fortes pressions sociales, souvent difficiles à assumer à long terme.
L’épuisement chez une personne engagée peut être défini comme « une affection se manifestant par des sentiments de malaises légers ou profonds, d’ordre physique, émotionnel ou psychologique, provoqués par des facteurs sociaux, environnementaux et personnels. » (Munroe et Brunette, 2001, p. 171). Dans le contexte d’un engagement social, l’épuisement correspond à un état de fatigue physique, émotionnelle et mentale entravant la capacité de la personne à continuer à agir efficacement en faveur de son engagement. Il se manifeste de plusieurs manières selon Cottin-Marx (2023). Il peut prendre la forme d’un sentiment d’impuissance mentale et physique face aux défis, ou d’une perte de sens associée au sentiment que, quels que soient les efforts fournis, il sera presque impossible d’atteindre les objectifs fixés. Cette perte de sens peut être décrite comme suit :
Les personnes ont le sentiment d’être inefficaces, de n’avoir rien accompli. Un sentiment qui peut être alimenté par le fait que le travail militant implique de s’investir à long terme, sur des objectifs parfois difficilement atteignables. Un découragement qui peut être alimenté par le manque de ressources suffisantes pour bien faire son travail et un manque d’aide et de soutien nécessaires. (Cottin-Marx, 2023, p. 158)
Cottin-Marx (2023) a mis en évidence, dans la littérature, divers facteurs contribuant à l’épuisement chez les personnes engagées. Il s’agit (a) de la surcharge de travail et de pression temporelle, (b) du faible contrôle de son travail, (c) des récompenses insuffisantes, (d) de la perte de sentiment d’appartenance et de soutien social, (e) du manque d’équité et (f) du conflit de valeurs.
Parler de surcharge de travail (la notion de travail est ici associée aux tâches et pas nécessairement à un emploi rémunéré) et de pression temporelle, c’est parler de l’écart trop grand qui peut exister entre les exigences de travail liées à une cause et les ressources dont dispose la personne qui l’exécute (temps, budget, informations, etc.) pour les remplir. Bien que cet écart soit important chez certains petits groupes ou certaines personnes, le sentiment de responsabilité des membres à l’égard de la cause les pousse à poursuivre leur engagement au risque d’un épuisement. La deuxième cause, soit le faible contrôle de son travail, reflète l’écart entre la responsabilité de la personne engagée et sa capacité à prendre des décisions. C’est souvent le cas des bénévoles dans des OBNL qui, bien qu’ayant des idées pertinentes, doivent les faire valider par d’autres personnes occupant une position hiérarchique importante dans l’organisation. Cela peut entraîner un sentiment d’inefficacité et une impossibilité de contrôler sa propre tâche, ce qui peut éventuellement mener à un épuisement. La troisième cause est le décalage entre les actions menées et les récompenses obtenues. Certaines personnes engagées ressentent parfois un sentiment d’impuissance, comme si leurs nombreux efforts consacrés à une cause, parfois durant des années, ne changeaient pas considérablement l’injustice que subissent les victimes. Le sentiment de travailler dans le vide, pour une cause perdue, peut engendrer chez de nombreuses personnes engagées une fatigue chronique qui affecte leur bien-être. La perte du sentiment d’appartenance et du soutien social, la quatrième cause, peut émaner de conflits au sein du groupe ou de l’organisation. Les conflits d’égo ou les désaccords sur le fond ou sur la stratégie en ce qui concerne les actions à mener ou les décisions importantes à prendre peuvent conduire à un épuisement. La cinquième cause, le manque d’équité, qui est très présente dans plusieurs groupes ou organisations, est l’écart que la personne engagée peut constater entre les valeurs prônées à l’extérieur par ces entités et leurs pratiques réelles. Certaines personnes peuvent ressentir un choc psychologique face à cet écart.
Les personnes exposées à un décalage entre la version romancée (qu’elle soit annoncée, projetée ou attendue) de l’organisation et la réalité des pratiques (ex. : travail militant isolé, conditions épuisantes, relations conflictuelles, sexisme) sont particulièrement susceptibles de devenir cyniques, colériques et hostiles. (Cottin-Marx, 2023, p. 160)
Enfin, la sixième cause, qui rejoint la cinquième, est le conflit de valeurs, soit l’écart entre ce que la personne engagée aurait voulu faire et ce qu’elle fait réellement sur le terrain. Parfois, par solidarité ou par devoir de loyauté envers un groupe ou une organisation, des bénévoles se retrouvent à mener des actions qui sont en contradiction avec leurs propres désirs. Lorsqu’une personne engagée pose des actions qui vont à l’encontre de ses valeurs, cela peut entraîner un mal-être profond et affecter négativement sa santé mentale pouvant créer un épuisement.
Tel que précisé dans la section 2.1.2, l’engagement dans une cause sociale ne doit pas être synonyme d’abandon de soi ni de renoncement à son propre bien-être comme se priver de repos, négliger sa santé mentale ou encore dépenser des ressources (temps ou argent) destinées aux besoins de ses enfants pour l’investir dans son engagement. Il est donc important, avant de s’engager, que la personne prenne le temps de bien évaluer ses disponibilités en matière de ressources temporelles et financières pour ne pas en consacrer plus qu’elle ne le peut. Bien que l’engagement social soit un acte pour le bien à la fois des bénéficiaires et de la personne engagée, la question du bien-être de cette dernière est centrale, car, sans bénévoles ni personnes qui consacrent leur vie à différentes causes, il n’y aurait pas d’avancement des causes en question. Il est donc important que chaque personne puisse respecter ses propres limites pour venir en appui à une cause sans que cela puisse constituer un risque d’épuisement pour elle.
7.4.2 L’attention aux limites de la personne engagée
Il est important de poser un regard bienveillant sur ses capacités et d’évaluer ses limites. Afin d’y parvenir, il peut être pertinent de se questionner sur les raisons et les motivations qui nous poussent à agir, avant même de s’engager dans un milieu. Dans cette perspective de réflexion, il est possible d’établir un « FITT », c’est-à-dire de déterminer la fréquence, l’intensité, le temps et le type d’engagement désiré. Ce concept s’avère pratique pour définir clairement ses limites ou encore pour effectuer une introspection sur ses implications et engagements. Toutefois, évaluer l’intensité ou la charge liée à l’engagement social semble plus difficile. Parmi les études examinées, peu abordent l’intensité de l’engagement social des participants et participantes. Cette valeur étant subjective, elle peut varier d’une personne à l’autre. Le NASA Task Load Index, développé par le National Aeronautics and Space Administration (NASA), est un outil subjectif permettant d’autoévaluer la demande mentale et physique ainsi que le temps, l’effort, la performance et le niveau de frustration lié à un travail (Pandian et Suleri, 2020). Le modèle adapté présenté à la figure 7.2 permet d’évaluer la charge associée à l’engagement social sur une échelle de 0 à 10, où 0 correspond à une faible exigence et 10 à une forte exigence. À l’avenir, il serait intéressant que des équipes de recherche développent et valident un outil plus adapté pour évaluer l’intensité perçue selon le type d’engagement social effectué.
Figure 7.2 Modèle adapté du Nasa Task Load Index représentant la charge associée à l’engagement social évaluée sur des échelles de 0 à 10
Demande mentale
À quel point la demande était-elle mentalement exigeante?
0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
Demande physique
À quel point la demande était-elle physiquement exigeante?
0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
Demande temporelle
Dans quelle mesure le rythme de la tâche était-il précipité?
0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
Niveau de contribution
Dans quelle mesure avez-vous réussi à accomplir ce que vous désiriez accomplir?
0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
Efforts requis
À quel point avez-vous dû travailler dur pour accomplir votre niveau de performance?
0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
Niveau de frustration
Dans quelle mesure étiez-vous peu sûr de vous, découragé(e), irrité(e), stressé(e) et ennuyé(e)?
0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 |
Dans une approche constructive et inclusive, il est également important de considérer que les degrés d’engagement social dépendent des déterminants de la santé. Comme plusieurs études l’ont mentionné, le statut socio-économique, tel que le sexe, le genre, l’âge, l’ethnie, et l’éducation peut représenter des médiateurs de l’engagement social et, affectant ainsi les moyens, les choix et les capacités d’engagement des personnes. Il est donc fondamental de valoriser la bienveillance à son propre égard et à l’égard des autres personnes engagées, en respect des caractéristiques, des objectifs et du contexte de vie de chaque personne.
Après avoir terminé mes études universitaires et avoir commencé à travailler à temps plein, j’ai constaté qu’il est difficile de s’engager au même niveau qu’avant. Cela a été un constat majeur après ma diplomation. L’engagement est resté important pour moi et j’ai donc toujours trouvé un moyen de m’impliquer. Lorsque le temps manque, je vais faire un don d’expertise, un don monétaire ou un don de matériel. L’essentiel est de trouver un équilibre, car l’engagement est un cycle. Il est possible de s’engager davantage à certains moments et d’être moins disponible à d’autres moments. L’important est de s’engager selon nos propres capacités et pour les causes qui nous tiennent à cœur.
Victoria Thân, étudiante, Université Laval, 2022
La citation suivante aborde la question du mieux-être de la personne engagée dans un contexte de proche aidance, mais s’applique à toutes les formes d’engagement social :
Le premier geste est de se donner le droit de recevoir. Cela veut dire s’autoriser à se demander ce que je peux m’apporter à moi-même, mais aussi ce que je peux demander à ceux qui sont en position de me donner quelque chose? Il est difficile de recevoir lorsque l’on est habitué(e) à donner, car l’acte de recevoir appelle une certaine forme d’humilité et de reconnaissance de nos limites humaines.
Michelle Lefebvre, formatrice, le Modèle intégratif, 2022
Conclusion
Pour conclure, rappelons que les différentes formes d’engagement social, à différentes échelles de mise en œuvre, peuvent avoir de nombreux bienfaits sur la santé physique, mentale et sociale des individus. Sur le plan de la santé physique, des effets, tels qu’une amélioration de la santé cardiovasculaire, métabolique, fonctionnelle et immunitaire, ont été observés chez les personnes engagées. Sur le plan de la santé mentale, une amélioration de la santé cognitive et émotionnelle, du bien-être et de la qualité de vie a notamment été constatée. Sur le plan de la santé sociale, des bienfaits quant aux liens sociaux et à l’estime de soi ont été rapportés. L’importance de l’accompagnement et des ressources pour faciliter l’engagement a également été mise en évidence, tout particulièrement dans le suivi des personnes qui font don de leur sang ou de leurs organes. Il est d’autant plus essentiel de souligner l’importance du respect des capacités de la personne engagée afin de profiter de tous les bénéfices que peut entraîner l’engagement social. À la lumière des bienfaits recensés de l’engagement social sur la santé, notons également que plusieurs études ont été réalisées chez les personnes âgées. Ces effets s’avéraient dans l’ensemble très positifs, par exemple en ce qui a trait à la réduction des limitations fonctionnelles, à l’amélioration de la qualité de vie et à la satisfaction à l’égard de la vie. Compte tenu des défis posés par le vieillissement de la population dans les pays occidentaux, ces résultats sont porteurs d’espoir pour une prise en charge inclusive et équitable des personnes aînées. Les effets rapportés chez les plus jeunes se montraient également encourageants, notamment dans une optique de santé préventive, de bien-être, de développement personnel et d’apprentissage. Il serait intéressant, dans un avenir proche, d’explorer davantage les effets bénéfiques de l’engagement social chez les plus jeunes. En guise de résumé, le tableau 7.1 présente les potentiels mécanismes par lesquels l’engagement social peut favorablement affecter la santé globale ainsi que les potentiels effets recensés.
Tableau 7.1 Résumé des mécanismes potentiels par lesquels l’engagement social pourrait positivement influencer la santé globale et les effets potentiels recensés.
Potentiels mécanismes | Potentiels effets | |
Santé physique | Diminution du risque d’adiposité centrale et de dérégulation lipidique
Diminution du risque de glycémie élevée Diminution du risque du syndrome métabolique Diminution de la tension artérielle Diminution de la protéine C réactive (marqueur inflammatoire) Diminution du taux d’interleukine 6 (marqueur inflammatoire) Amélioration de la force physique Déclin du nombre de chutes Diminution des douleurs physiques |
Amélioration de la santé cardiovasculaire
Amélioration de la santé métabolique Amélioration de la santé fonctionnelle Amélioration de la santé immunitaire
|
Santé mentale | Amélioration du fonctionnement cognitif
Diminution des symptômes de dépression Augmentation du sentiment de bonheur Augmentation de la satisfaction à l’égard de la vie Augmentation de la santé autodéclarée Diminution du stress |
Amélioration de la santé cognitive
Amélioration de la santé émotionnelle Amélioration du bien-être Amélioration de la qualité de vie
|
Santé sociale | Augmentation des occasions d’apprentissages et de développement de compétences
Augmentation et amélioration des connexions sociales |
Amélioration des liens sociaux
Amélioration de l’estime de soi et de l’efficacité personnelle |
La littérature scientifique (voir annexe de ce manuel) mettant en lumière les bienfaits de l’engagement social sur la santé fait émerger un constat novateur : il devient évident que l’engagement social devrait être reconnu comme une habitude de vie à part entière. En effet, puisque l’engagement social permet aux individus d’améliorer leur état de santé global et leur bien-être, pourquoi ne pas le considérer comme la cinquième habitude de vie? Au même titre que l’alimentation saine, la pratique d’activité physique, le sommeil et la gestion du stress sont considérés comme les quatre piliers d’un mode de vie sain, l’engagement social peut favoriser la santé et le bien-être des individus. Il permet notamment de prévenir le développement de certaines maladies chroniques, de réduire le risque de mortalité et d’améliorer la qualité de vie. L’engagement social devrait être davantage étudié et intégré dans la formation des spécialistes de la santé et des services sociaux. Les kinésiologues, le personnel en soins infirmiers, les nutritionnistes, les psychologues, les ergothérapeutes et les médecins pourraient ainsi utiliser ce levier pour promouvoir la santé et le bien-être. En intégrant l’engagement social aux recommandations pour les professionnels de la santé et aux politiques publiques, il serait possible d’en maximiser les bienfaits et d’adopter une approche plus globale et inclusive de la promotion de la santé. De plus, cette promotion permettrait de pérenniser les initiatives existantes tout en encourageant l’émergence de nouvelles initiatives. Les bienfaits de l’engagement social pourraient également gagner en visibilité, notamment grâce à la sensibilisation et à l’éducation. L’engagement social représente donc une avenue prometteuse et novatrice pour une approche de promotion inclusive de la santé et des modes de vie sains.
De plus, en contribuant au mieux-être collectif, l’engagement social représente un pilier important de la santé durable, qui vise à promouvoir des comportements bénéfiques à la fois pour la santé individuelle, la collectivité et l’environnement. En ce sens, l’engagement social ne relève pas uniquement d’un choix personnel. C’est une habitude de vie essentielle pour bâtir une société plus saine, un environnement plus durable et des communautés plus prospères.
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