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Chapitre 8: l’engagement social et les Premiers Peuples

Introduction

Ce chapitre vise à conclure ce manuel en présentant une perspective complémentaire à celles présentées dans les chapitres précédents. Il illustre des façons dont se vit l’engagement social au sein des Premiers Peuples, tout en abordant les moyens par lesquels une personne peut s’engager en appui à la réconciliation autochtone. Le chapitre aborde également des méthodes d’enseignement chères aux Premiers Peuples, soit la tradition orale et l’apprentissage par l’expérience. Ces méthodes vont d’ailleurs de pair avec l’engagement social. En effet, bien des savoirs se transmettent de façon orale dans un contexte d’engagement, que ce soit par le récit de certaines personnes ou par le partage de leur vécu. Et bien sûr, l’engagement social est en lui-même une occasion d’apprentissage par l’expérience.

Ce chapitre, rédigé à partir d’entrevues, vise à mettre en évidence la transmission des savoirs par la tradition orale. Il laisse donc la parole aux personnes autochtones pour qu’elles partagent leur perspectives et leurs expériences d’engagement social.

8.1 Le témoignage de Nadine Rousselot

La première interlocutrice est Nadine Rousselot de la Nation innue de Pessamit, qui occupe le poste de directrice des affaires des Premiers Peuples à l’Université Laval.

Comment s’est exprimé l’engagement social à travers l’histoire des Premiers Peuples?

Nous avons beaucoup d’expérience en engagement social au sein des Premiers Peuples, car notre parcours n’a transigé qu’autour de l’engagement social; entre autres au travers des luttes, des mobilisations et du militantisme. Lors d’une rencontre avec d’autres collègues issus des Premiers Peuples où nous avons échangé sur les moments charnières de l’histoire du Canada, nous avons remarqué que, chaque fois qu’un événement majeur se produisait, comme la création du Canada par la Confédération en 1867, des mobilisations étaient organisées par nos ancêtres afin de démontrer, de mille et une façons, que nous occupions le territoire. Des mouvements ont eu lieu tout au long de l’histoire du Canada et du Québec. Le mouvement Idle No More est un bon exemple montrant l’importance de ces luttes.

À cet effet, pouvez-vous nous donner des exemples d’initiatives d’engagement qui ont émergé grâce au mouvement Idle No More?

Idle No More a permis de mobiliser beaucoup de gens dans tout le pays, de faire apparaître un grand nombre d’initiatives et de les faire connaître. L’une d’elles est Mikana[1]. Mikana est un mouvement initié par des jeunes afin de raconter l’histoire des Premières Nations à travers les récits oraux de leurs grands-parents. Après avoir rassemblé ces connaissances appuyées par des faits historiques, ces jeunes en font la promotion dans des activités sociales ou universitaires, permettant aux gens d’avoir une vision plus éclairée de l’histoire des Premiers Peuples.

La responsable principale de cet organisme est Widia Larivière. Widia a réuni des porte-paroles pour aller raconter l’histoire de leur Nation, selon les perspectives de leur communauté. Cela a encouragé les jeunes à s’engager auprès de Mikana, ce qui a entraîné d’autres mobilisations dans nos communautés pour faire revivre les cultures et les langues. Ces jeunes ont entendu d’autres jeunes parler de l’histoire de leurs communautés, ce qui a créé un sentiment de fierté et une motivation à l’engagement.

Ce mouvement est né du désir de donner une voix à notre communauté. Des jeunes se sont engagés à travers Mikana afin de raconter l’histoire des Premières Nations et de raviver les traditions de leur peuple. Nous assistons à une résurgence du sentiment de fierté chez ces jeunes qui militent et transmettent les connaissances aux prochaines générations, que ce soit sur les langues, les traditions ou l’utilisation du territoire. En effet, il y a un grand nombre de choses qui sont en train de réapparaître et de renaître à travers ces mouvements.

Quels conseils donnez-vous aux personnes qui souhaitent s’engager auprès des Premiers Peuples et favoriser la réconciliation autochtone?

Il y a plusieurs façons d’aller vers les Premiers Peuples. Nous parlons beaucoup de réconciliation. La Commission de vérité et réconciliation du Canada a été créée en réponse à l’histoire des pensionnats autochtones. Je ne suis pas une survivante de ces pensionnats, mais ma mère et mon père l’étaient. J’en vois les répercussions encore aujourd’hui, mais je pense que c’est une histoire qui est encore méconnue et qui est aussi parfois dramatisée dans certains cas et romancée dans d’autres, parce que nous n’allons pas à la genèse de ces histoires. Certaines personnes ont de la difficulté à aborder le sujet. Dans la population québécoise, je remarque souvent un malaise et une certaine culpabilité chez les personnes dont les ancêtres ont été responsables de la colonisation. C’est ce que je ressens depuis que je suis arrivée à l’Université Laval. Je le vois, je le sens. En tant que personne minoritaire et issue des Premières Nations, j’essaie comme employée d’être bienveillante envers les gens, en les guidant sur les façons d’être en relation avec nous. Un de mes conseils est d’essayer de connaître l’autre et de se connaître soi-même. En innu, lorsque nous rencontrons quelqu’un pour la première fois, nous disons « Kuei ». Lorsque nous revoyons quelqu’un que nous connaissons très bien, nous pouvons dire à ce moment « Kuei Kuei », deux fois. Ensuite, nous demanderons à la personne : « Comment se vit ton environnement, actuellement, autour de toi ». Nous faisons toujours référence à la terre, à la température, au soleil, est-ce qu’il pleut ou est-ce qu’il fait froid? Lorsque nous rencontrons une personne pour la première fois et que ce sont les premières salutations, il n’est pas approprié de lui demander si « ça va bien? », c’est trop personnel. Ces protocoles de salutation ne sont pas suffisamment connus et ils agissent favorablement en changeant les façons d’aller vers l’autre.

Nous avons toujours fonctionné par le troc. Nous suivons le principe de donner quelque chose à quelqu’un qui est propre à notre culture et l’autre nous donne quelque chose qui est propre à la sienne. Nous apprenions ensemble à manipuler et à utiliser des objets; c’est à ce moment que nous apprenions à nous connaître. Les premiers contacts avec les Premières Nations se sont faits de cette façon, mais ces pratiques ont été oubliées et les Premières Nations ont été placées dans des réserves indiennes. C’est le protocole de relation. Puis, si l’on veut s’engager avec nous, je pense qu’il est important de connaître ces protocoles, pour savoir comment entrer en relation, aller vers l’autre, pour que nous puissions apprendre et réapprendre à nous connaître.

Certaines pratiques ont été oubliées et d’autres ont été tenues pour acquises. Mais de notre côté, ce sont encore nos protocoles. Par exemple, lorsque nous signons une entente, nous faisons beaucoup plus qu’écrire sur un bout de papier, des échanges doivent avoir lieu. Lorsque nous recevons un Aîné ou une Aînée qui vient nous partager un savoir ou une connaissance, nous nous devons de toujours lui offrir un cadeau. C’est un échange de savoirs ou de connaissances, nous apprenons à nous connaître de cette façon. C’est de cette manière que nous sommes en mesure de voir les engagements et les façons de participer au rapprochement qui mènent à la réconciliation. Ça revient à l’exemple du troc, c’est un partage de savoirs.

À l’Université Laval, plusieurs personnes me disent : « J’aimerais travailler avec vous. Comment pourrais-je contribuer pour vous aider à reprendre votre place au sein de la société? Je veux être dans le mouvement de la réconciliation. » Je cherche à connaître l’intérêt de la personne à s’engager et je lui demande : « Pourquoi veux-tu travailler avec nous? Sur quoi veux-tu te réconcilier? Sur quel aspect de la réconciliation souhaites-tu t’impliquer? Pourquoi as-tu un intérêt à venir chez nous? » et aussi : « Que peux-tu faire pour travailler avec nous? Qu’est-ce que tu es prêt à donner? ». Il y a plusieurs mouvements, il y a plein d’activités qui se passent juste ici, autour de l’Université Laval. Il y a de nombreuses actions, comme celles du Centre multi-services Mamuk[2] et du Centre d’amitié autochtone de Québec,[3] par exemple. Il y a beaucoup d’organismes qui sont menés par des Premières Nations et qui possèdent un savoir-faire.

Selon moi, si une personne veut connaître une culture, elle peut faire un troc. Les Premières Nations forment un bassin de personnes diplômées, mais, bien que ce nombre soit en augmentation, le don de ses connaissances et de ses habiletés est encore très utile. Afin d’être admissibles comme organisme à but non lucratif (OBNL) pour des fonds publics, nous devons nous constituer légalement, de manière pyramidale : présidence, vice-présidence, etc. Cela n’est pas chose courante pour nous qui avons l’habitude d’agir de manière circulaire. Par conséquent, nous avons besoin que des personnes expertes s’engagent avec nous et nous enseignent ce qu’est un OBNL et un conseil d’administration. Elles doivent aussi nous expliquer quels sont les modes de gouvernance équivalents aux modes utilisés de façons traditionnelles par les Premières Nations et qui se perpétuent dans nos façons de faire et dans nos conseils de bande. Nous essayons d’avoir une dynamique pyramidale, mais nous finissons toujours par revenir à une dynamique circulaire, à nos pratiques et à nos us et coutumes. Mais nous devons transiger avec les deux mondes : il y a la reddition de compte, il y a le financement et les règles qui sous-tendent l’accès à ces fonds.

Bien sûr, s’engager dans une organisation dédiée aux Premières Nations permet de recevoir l’autre, d’être en contact avec sa culture, de connaître de nouveaux mots, d’apprendre comment rire, comment s’amuser et comment travailler différemment, c’est-à-dire d’une façon propre au contexte des Premières Nations. On ressort enrichi du contact avec les Premières Nations, on revient avec ce savoir-faire qui peut être intégré dans son travail futur. À la fin, il y a donc eu un troc. Une fois cet échange effectué, il faut coconstruire le futur, il faut porter les mocassins de l’autre.

Comme l’engagement social et l’apprentissage sont deux concepts interdépendants, pouvez-vous parler des processus d’apprentissage utilisés par les membres des Premiers Peuples?

C’est à travers la tradition orale et l’observation que se partagent les savoirs au sein des Premières Nations. J’ai moi-même beaucoup appris de cette façon, que ce soit sur la manière d’occuper le territoire, de rechercher le sapinage, d’utiliser certaines parties du sapin, de recourir aux plantes ou encore d’élever un enfant. C’est entre autres par les Aînés et Aînées que l’on apprend. On apprend souvent par l’observation : il n’est pas possible de donner la recette pour savoir comment dépecer un lièvre, où il serait expliqué étape par étape la façon de le dépecer et de l’apprêter, de le couper, de prendre le ciseau, de le rincer, etc. Cela ne fonctionne pas comme ça chez nous. Comme c’est plutôt par l’observation, on est invité à regarder la manière dont on dépèce un lièvre ou un orignal, il faut être à l’écoute. Et si on nous dit de faire quelque chose, on ne pose pas de questions, même si on n’a pas les compétences et qu’on est mal habiles les premières fois.

Les histoires partagées par les Aînées et Aînés sont une autre façon de transmettre les savoirs. Un souvenir qui sait faire rire aide à se souvenir d’un moment et d’un apprentissage. Il s’imprègne dans la mémoire, dans le cerveau. C’est la raison pour laquelle on nous appelle les peuples rieurs. C’est une façon de transmettre les savoirs, des savoirs qui viennent de tellement loin, des temps immémoriaux et que l’on se transmet au fil du temps.

J’ai vécu la même chose avec mon grand-père. Il m’a enseigné beaucoup de choses sur les plantes médicinales. Je viens d’une lignée d’hommes de médecine. Mon grand-père était un homme qui soignait les gens grâce aux plantes. Je l’ai souvent accompagné pour cueillir les plantes qui servaient à soigner les gens dans la communauté. Des gens venaient le voir et lui disaient : « J’aurais besoin d’un tonique pour activer mon sang ». Il m’invitait à venir avec lui, mais ne m’enseignait rien, il ne me disait pas d’aller vers un cours d’eau ou de faire attention à telle ou telle chose. Je le suivais, je l’accompagnais et je le voyais ramasser des plantes avec son couteau. On était souvent en canot. Il y avait des façons de débarquer et, quand on se trompait, on te regardait, on te touchait l’épaule. Ce sont des pratiques qui sont très présentes auprès des Premières Nations. On ne criait pas. Je n’ai jamais entendu mes grands-parents crier quand on était sur notre territoire. La communication était plutôt par des gestes et des regards pour signifier une bonne action. Puis, au retour dans les campements, d’autres apprentissages étaient faits. On apprenait comment donner le remède à quelqu’un d’autre, comment le préparer et c’est à ce moment que j’apprenais l’utilité de cette plante. On faisait l’expérience avant de l’enseigner avec les mots. En médecine, on apprend la théorie et après on opère. Nous, c’est l’inverse, on le fait, on le découvre et c’est ensuite que l’expert va l’enseigner, après l’avoir vu, après y avoir touché, après avoir vécu l’expérience.

Il n’est pas possible d’apprendre qu’en lisant des livres. Lorsque j’étais jeune, nous n’avions que très peu de livres. Ma sœur étudiait pour être infirmière et, un jour, je suis tombée sur un manuel de médecine. J’avais trouvé cela tellement pertinent parce que je savais que mon grand-père soignait les gens par les plantes. Je voulais trouver des réponses à certaines pratiques et j’ai donc regardé le livre. Je me souviens que mes grands-parents, qui m’ont éduquée, me disaient : « Pourquoi regardes-tu ça? ». Ils voulaient me montrer comment les choses fonctionnaient dans la pratique. La tradition orale était importante pour nous et tout le savoir devait être mémorisé. Nous mémorisons le tout à travers des activités, en nous mettant en action, en vivant des moments qui vont s’imprégner dans notre mémoire par le rire et l’amusement.

Avez-vous un dernier conseil pour les personnes engagées?

Je pense qu’il est intéressant que la personne qui souhaite s’engager chez nous et en apprendre davantage sur notre communauté entame un processus similaire avec son propre peuple ou sa propre nationalité. Par exemple, plusieurs personnes m’expriment leurs malaises quant aux répercussions de la colonisation : « Comment puis-je transformer cette émotion en quelque chose de constructif? ». Les Aînés et Aînées disent : « Pour savoir où tu vas, tu dois savoir d’où tu viens ». On ne peut s’engager vers un autre peuple, si on ne se connaît pas soi-même. Plusieurs me disent : « Je suis Québécois pure laine ». Je réponds : « Qu’est-ce que cela signifie pour toi, être Québécois pure laine? Retourne à tes sources. Après, tu seras plus en mesure de faire le troc. Tu auras quelque chose à partager. » Les gens ont souvent l’habitude d’arriver avec un certain statut : « Comme juriste, j’ai appris telle ou telle chose. » Mais je ne veux pas que connaître le ou la juriste, je veux également connaître l’individu derrière le ou la juriste. C’est ainsi que l’on est capable de créer de vrais liens de réconciliation. On se réconcilie aussi avec son histoire. Je me réconcilie avec la mienne. On se partage ensuite des parties d’histoire entre nous et on en construit une nouvelle. C’est de cette façon que le mouvement d’engagement social sera plus fort et saura durer dans le temps.

8.2 Deuxième partie : le témoignage de Christian Flamand

Le second interlocuteur est Christian Flamand, membre de la Nation atikamekw et fondateur de l’Expédition Premières Nations. Cette expédition a été fondée afin de rendre hommage à trois causes : les femmes autochtones disparues ou assassinées, les enfants des pensionnats et Joyce Echaquan. Lors de la première édition, qui s’est déroulée du 16 février au 4 mars 2023, les participants et participantes ont parcouru 4 500 km de motoneige entre Manawan et Uashat mak Mani-utenam.

Pouvez-vous tout d’abord nous parler de votre parcours personnel, entre autres des savoirs qui se sont avérés utiles à la mise en œuvre de l’Expédition Premières Nations? Pouvez-vous également nous dire un mot sur les étapes qui ont précédé cette expédition?

Au départ, l’Expédition Premières Nations ne devait pas avoir lieu sur la scène publique. C’était plutôt une activité que je souhaitais vivre avec mes amis, avec qui je passe beaucoup de temps en motoneige dans un territoire atikamekw. Au fil des années, nous nous sommes éloignés de plus en plus dans le Nord. La motoneige est devenue notre passion. Cela a amplifié notre désir d’aller découvrir le plus loin possible, comme un défi personnel. Cela était extrêmement exigeant sur le plan de la logistique pour un petit groupe d’amis de 5 ou 6 personnes. Je suis donc devenu un passionné de motoneige. J’ai eu plusieurs occasions de faire des activités autant compétitives que récréatives, ainsi que de petites escapades en amis. Les gens autour de moi m’identifient beaucoup au sport de la motoneige.

L’Expédition Premières Nations a pris naissance lors d’une discussion avec mon ami cartographe, Daniel Bellerose. Nous souhaitions aller plus dans le Nord et nous avons pensé faire un détour par Chibougamau, puis par Schefferville. Je souhaitais donc avoir les tracés de ce parcours et consulter des autochtones qui connaissent bien le territoire. Ces personnes pouvaient nous dire à quel endroit passer et nous donner des conseils pour assurer notre sécurité pendant ce périple. J’ai parlé avec un Innu de la Nation de Natashquan, Nicolas Watischtan, qui m’a dirigé vers une personne des Rangers, membre de la Nation Naskapis, Derek Jeremy Einish. Ce dernier m’a fait part de sa connaissance du territoire.

Je voulais découvrir un territoire éloigné et prendre mon temps pour explorer ce territoire avec mes amis durant mes temps libres. À partir de ce moment, mes amis et moi avons décidé de faire une expédition. Mes amis, qui sont allochtones, voulaient aussi découvrir ce territoire. La conjointe de Derek, Annie Volaire, nous a demandé : « Pourquoi vous n’organiseriez pas une grosse expédition entre Nations? Avec vos connaissances, il serait possible de faire quelque chose! ». Je me suis dit que c’était une bonne idée.

J’avais déjà une certaine expérience dans l’organisation d’activités, puisque j’avais déjà organisé le Tournoi des Nations pendant 15 ans à La Tuque, sur le thème de la prévention de la consommation d’alcool et de drogues à sein des communautés. Cela m’a permis d’acquérir beaucoup d’expérience en matière d’organisation et de leadership, en plus de faire la rencontre de différentes Nations et de différentes communautés, par l’entremise des équipes de hockey. À partir de ce moment, j’ai commencé à développer mon réseau de contacts grâce à la planification de cet événement. Celui-ci s’est étendu au niveau provincial, national et même international. Cela m’a demandé un bon réseau de contacts, beaucoup de travail, de rigueur, de gestion et de temps. Le temps est l’allié de tous les jours pour organiser des activités récréatives, culturelles, sociales et rassembleuses.

Le fait d’être un ancien militaire de formation m’a été très utile pour prendre des décisions et des initiatives lors de la préparation de l’Expédition des Premières Nations. En effet, il faut avoir une forte personnalité pour réaliser cette activité : il ne faut pas avoir peur d’aller frapper aux portes et de poser les bonnes (et les mauvaises) questions.

Pour s’engager socialement, il faut développer des capacités. Pour les acquérir, il faut aller chercher une expérience. Je suis chef d’entreprise, ce qui m’a permis d’avoir de bons réflexes. De plus, ma formation universitaire en droit, en marketing et en administration, m’a grandement servi. Et à travers ce cheminement, il est important d’acquérir des connaissances et des expériences. J’ai également eu la chance d’avoir comme mentors des personnes très expérimentées, ce qui m’a énormément aidé. Les connaissances théoriques peuvent être également vulgarisées pour être partagées avec un plus grand nombre de personnes autour de soi.

L’expérience que j’ai acquise m’a aidé à faire face à l’ampleur qu’a prise le projet, même si, au départ, je ne m’attendais pas du tout à cela. En effet, quand tu bâtis quelque chose, la base se doit d’être solide et c’est un processus qui demande du temps. À l’origine, l’expédition était un projet entre amis, mais elle est devenue l’Expédition Premières Nations, qui regroupe diverses communautés avec diverses Nations, ce qui a exigé beaucoup de coordination et de détermination.

J’ai dû convaincre beaucoup de personnes de participer à cette expédition. La mise en place d’une stratégie de communication s’est avérée cruciale pour atteindre cet objectif. J’ai également dû faire des sacrifices. Comme chef d’entreprise, j’ai demandé aux personnes associées de financer l’expédition et d’appuyer mon implication dans ce projet. L’Expédition des Premières Nations est un OBNL depuis septembre 2022.

Après cela, nous avons tracé un itinéraire. Nous n’avions aucune information sur la route de Matagami à Waskaganish. Nous ne connaissions pas les territoires au Nord qui sont occupés par les communautés cries, car mon réseau était restreint en ce qui concerne ces communautés. Ce sont des Nations que je ne connais pas beaucoup.

De là, nous avons réussi à élaborer un tracé sécuritaire avec mon ami cartographe, monsieur Bellerose. Ensuite, j’ai entrepris d’établir des liens avec les différentes communautés, en passant par les premiers officiers des communautés. J’ai présenté le projet aux chefs, qui ont apprécié l’idée et qui ont décidé de participer au projet. Mon objectif était de recruter au moins trois ou quatre personnes de chaque communauté. Pour moi, c’était important d’être représentatif des Nations, pour la thématique de la réconciliation. C’était naturel d’inviter les différents membres de chaque communauté afin de sensibiliser et de rallumer le grand feu sacré.

Quelles valeurs et quelles causes sociales ont motivé cet engagement social que constitue l’Expédition Premières Nations?

Dès le départ, les femmes se sont engagées dans ce projet. En effet, ma conjointe a proposé de rendre hommage aux trois causes autochtones tout en revalorisant le territoire à travers cette expédition. Pour moi, cela s’intégrait dans la thématique de la réconciliation. À partir de ce moment, ce thème, ces valeurs et la revalorisation des enseignements traditionnels et culturels ont été à la base de ce projet. David Etienne Durivage, qui travaillait pour la production du film, m’a dit que l’implication des femmes était importante, afin de rallumer le grand feu sacré dans les communautés.

Avant de procéder, pour éviter de contrevenir aux règles de spiritualité, nous avons pris les dispositions nécessaires. Nous avons rencontré Dominique Rankin au Mont-Tremblant, qui était chef et guide spirituel à Quinoak. Nous lui avons posé des questions sur le grand feu sacré, afin de ne pas heurter les leaders et les guides spirituels. Nous avons donc reçu des enseignements. Dominique Rankin nous a fait part de ses connaissances sur le feu sacré, il nous a raconté les prophéties du wampum. Le wampum disait qu’il y aurait un jour un guerrier qui rallumerait les feux sacrés dans les Nations. C’est une prophétie datant de 700 ou 800 ans. Monsieur Rankin m’a donc parlé de ce guerrier. J’ai dû préciser que je n’étais pas ce guerrier, mais il m’a vu comme étant ce guerrier qui allait rallumer les feux sacrés dans les communautés et partager les valeurs, pour se rappeler qui nous sommes. J’étais très surpris. Mais je me suis dit : « Je pense qu’il faut que j’accepte le sort ». Je me suis demandé : « Qu’est-ce que le destin me demande de faire? »

J’ai eu la chance de grandir à travers des enseignements traditionnels et culturels, d’aller dans le bois et de vivre comme mes ancêtres vivaient. J’ai eu la chance de vivre cela durant ma jeunesse. C’est à ce moment que j’ai fait le lien. C’est peut-être dû au fait que je suis un ancien militaire que je suis vu comme un guerrier. Il y a quelque chose qui me possède à l’intérieur. Plus tôt dans ma vie, je suis tombé malade et j’ai eu un accident de motoneige. Ça m’a presque couté la vie. J’ai subi des blessures assez graves, notamment une fracture du bassin et une hémorragie interne des intestins. J’ai été opéré à plusieurs reprises, aux genoux, entre autres. On m’a dit que je serais confiné au fauteuil roulant pour le reste de mes jours, mais je me suis battu pour réapprendre à marcher. En 2008, j’ai eu la leucémie, un cancer du sang. Quand j’étais sur mon lit d’hôpital, il y avait toujours quelque chose qui me fatiguait, mais je ne savais pas quoi. Il y avait quelque chose qui m’interpellait à l’intérieur de moi. Je n’ai jamais deviné ce que le créateur voulait que je réalise. Malgré le fait que, pendant un instant, j’ai eu le droit de visiter le seigneur, il n’a pas voulu de moi et m’a renvoyé.

Quels défis ont été rencontrés et quelles leçons ont été tirées de cet engagement?

Aujourd’hui, avec l’Expédition Premières Nations, je me remets beaucoup en question. Il s’agit de la deuxième édition et j’ai pesé le pour et le contre de la première édition. Nous rencontrons de bonnes personnes, mais aussi de mauvaises. Il y a toujours les deux côtés de la médaille. J’ai eu de bonnes expériences et j’ai eu aussi de très mauvaises expériences. Mais j’ai appris beaucoup. C’est là que nous réalisons que, peu importe notre âge, nous avons toujours quelque chose à apprendre, un apprentissage à faire.

Il était impératif pour moi que nous soyons plusieurs à porter un message. Je devais « contaminer » d’autres personnes pour les sensibiliser à la mission de cette expédition. Je devais trouver des personnes pour prendre la relève de ce projet. Il y a déjà quelque chose qui se bâtit et cela deviendra un bel héritage. Ce projet me demande beaucoup de temps et je souhaite le léguer à d’autres.

À travers ce périple, il y a des leçons à retenir sur l’engagement social. En effet, j’ai dû établir des liens avec différentes Nations et avec les chefs. Grâce à leur accord, le processus m’a motivé à développer davantage mon réseau. Nous avons commencé à recruter des personnes, ce qui s’est avéré parfois difficile, car c’était de la gestion de ressources humaines. Il s’agissait également d’une occasion d’apprentissage pour moi. Ma compagnie a été un commanditaire invisible dans cette aventure en finançant mon salaire pendant toute l’année, ce qui m’a permis de monter sur une motoneige et de partir l’esprit tranquille, sans me soucier trop des aspects financiers personnels.

En tant qu’initiateur du projet, je dois m’attendre à ce que les contrecoups viennent de toutes parts. J’ai appris beaucoup. Il ne faut pas faire confiance à tout le monde. Cela a été ma plus grosse leçon. Je dois vérifier si une personne est sérieuse avant de l’impliquer dans mon projet. Au départ, j’ai été un petit peu naïf. Le projet était beau et beaucoup de personnes se sont jointes à la frénésie. L’atmosphère était emballante. L’enquête de validation est un aspect à ne pas négliger, sinon, certaines personnes risquent de vous drainer énormément d’énergie pendant la mission.

Le plus difficile pour moi a été de tout coordonner et de persuader les gens. Cela a été pour moi comme un travail de recherche à l’université. Cela m’a demandé d’aller chercher une grande quantité d’informations pour bien structurer le projet. C’est la même méthodologie de travail sur le terrain. J’ai dû également composer avec la diversité, avec les différences culturelles dans les communautés, car chacune possède sa propre identité culturelle unique. Les comportements, les façons de faire et les mentalités sont différents d’une communauté à l’autre.

La première édition m’a demandé beaucoup d’effort et d’énergie, jusqu’à fragiliser ma santé. Pour la deuxième édition, j’ai dû mettre mes limites. J’ai choisi de mettre le positif au premier plan, même si ce n’est pas tout le monde qui est prêt pour la réconciliation.

Comment voyez-vous la suite des choses quant à cet engagement en faveur de l’Expédition Premières Nations?

En toute honnêteté, ma contribution personnelle est arrivée à son terme. Lorsqu’on s’engage dans une cause sociale, il faut aussi apprendre à évaluer l’intensité de l’événement, c’est-à-dire le moment où l’événement atteint son apogée. Il faut apprendre à s’engager dans quelque chose et il faut aussi apprendre à s’arrêter. À travers mes engagements, j’ai appris à mesurer une courbe d’intérêt et à l’analyser. Il est donc important d’apprendre à faire une lecture, de faire une analyse sociodémographique en examinant l’intérêt suscité chez autrui. C’est comme ça que j’ai fait une autoévaluation de l’expédition.

Il était important de faire un itinéraire qui allait donner l’effet de fermer la boucle de la réconciliation, qui permettrait aux gens de se remémorer cet événement et qu’il reste dans les souvenirs des jeunes. Pour la troisième édition, ce sont les communautés qui doivent reprendre le flambeau, afin de préserver son caractère communautaire.

Le message a sensibilisé certaines personnes, certains individus. Cela devient ma récompense. Je suis content d’avoir abordé le thème de la guérison, car ça demeure un sujet tabou dans les communautés. Par exemple, on ne parle pas beaucoup des suicides, des drogues, de sévices. J’ai remarqué qu’en évoquant la réconciliation vers la guérison, on nous a parfois fermé des portes dans certaines communautés.

Je suis persuadé que c’est important de continuer cette mission et de parler de guérison dans les communautés. Pour moi, il s’agissait d’une campagne de sensibilisation pour freiner les abus d’alcool ou les abus de drogue dans les communautés.

L’édition de cette année visera à réaliser des cérémonies du feu sacré. Nous allons porter la couleur bleue sur nos habits de motoneige, la couleur de la guérison. Cependant, tous les chefs des Nations ne sont pas convaincus par cette idée. La réconciliation commence par la réconciliation avec soi-même. Nous parlons aussi de guérison, car il y a malheureusement de nombreux suicides dans les communautés, ce qui entraîne des traumatismes dans les familles.

Nous essayons d’apporter un message d’espoir. Des gens, comme ceux faisant partie des forces policières ou de l’intervention sociale, combattent ce fléau tous les jours. Nous souhaitons leur dire : « On est là derrière vous, on vous épaule ». Nous ne cherchons pas à faire de la politique. Ce que nous voulons c’est faire de petits gestes pour rallumer des petites flammes dans le cœur des gens.

Conclusion

Les traditions d’engagement social et les méthodes d’enseignement des Premiers Peuples méritent d’être valorisées davantage. Les Premiers Peuples nous incitent à être encore plus attentifs au discours des personnes qui seront rencontrées dans un contexte d’engagement social, celles-ci pouvant être une source importante de savoir. Ils nous sensibilisent également au potentiel que représente l’apprentissage par l’expérience, potentiel particulièrement présent en contexte d’engagement social.

 

Liens d’intérêt 

Centre d’amitié autochtone de Québec. (2024). Une variété de programmes pour vous venir en aide! https://caaq.net/

Mikana. (2025). Mission. https://mikana.ca/

Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec. (s. d.). Centre multi-services MAMUK – Mission. Récupéré le 3 mai 2025, de https://www.rcaaq.info/les-centres/quebec/

 

 

[1] Mikana, qui signifie « Chemin » en langue Anishinabe, est un organisme autochtone sans but lucratif qui a pour mission d’œuvrer au changement social en sensibilisant différents publics sur les réalités et perspectives des peuples autochtones. Cette initiative résulte d’une volonté ferme de lutter activement contre le racisme et la discrimination envers les peuples autochtones, visant à éliminer les barrières entre les communautés autochtones allochtones (Mikana, 2025, paragr. 1 et 2).

[2]  Créé en 2018, le nouveau Centre multi-services MAMUK, géré par la Maison communautaire Missinak, est animé par la mission commune des Centres d’amitié, soit d’offrir des services à la population autochtone urbaine et de promouvoir la culture et le rapprochement entre les peuples (Regroupement des centres d’amitié autochtone du Québec, s. d., Mission, 1er paragr.).

[3]  Le Centre d’amitié autochtone de Québec a comme mission de maintenir à Québec, un lieu de rencontres afin de satisfaire les besoins culturels, matériels, [de] santé et psychosociaux des Autochtones vivant en milieu urbain (Centre d’amitié autochtone de Québec, 2024, 1er paragr.).

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