Qu’est-ce que la dissémination des connaissances
Définitions et cadres conceptuels
Introduction
Dans le vaste réseau de la santé ou de l’éducation, des projets d’amélioration des pratiques professionnelles sont de plus en plus mis en œuvre, que ce soit sous l’impulsion des personnes travaillant au sein d’une organisation publique ou privée ou des équipes de recherche contribuant à l’avancement des connaissances. Ces projets peuvent prendre différentes formes : une initiative locale d’un groupe d’intervenants et d’intervenantes, un projet de recherche-action qui s’opère sur le terrain, le déploiement de programmes ministériels, des ajustements pour se conformer aux exigences d’organismes d’agrément, etc.
En raison du pouvoir diffus présent dans les milieux professionnels comme le système de santé ou de l’éducation (Ham, 2003, Van Aerde et Dickson, 2017), les personnes menant des projets d’amélioration des pratiques peuvent détenir différents rôles, à différents niveaux et provenir d’une variété de discipline professionnelle. Pour créer du sens en faveur du changement dans leur milieu, les personnes menant des projets doivent exercer un leadership professionnel collaboratif, une condition de succès à l’amélioration des pratiques (Silva, et al. 2022). Toutefois, de multiples obstacles freinent les initiatives d’amélioration, notamment la charge de travail élevée, les postes vacants, le roulement de personnel, le manque de financement et le manque d’expertise terrain pour mener les projets (Parmar et al., 2022). En recourant à une démarche structurante souple et agile, les personnes peuvent recourir à des outils concrets pour garder le cap vers l’amélioration souhaitée. Une telle démarche implique souvent des boucles itératives d’analyse du besoin, de conception d’une nouvelle pratique ou de l’adaptation de pratiques existantes, d’implantation et de dissémination. La dissémination est à la fois un outil pour faciliter l’implantation de nouvelles pratiques professionnelles et un moyen pour communiquer et mobiliser les connaissances tirées de l’initiative d’amélioration à des personnes concernées.
Ce chapitre présente une introduction aux concepts clés reliés à la dissémination des connaissances, en particulier dans le contexte de projets d’amélioration des pratiques professionnelles en santé. Il aborde les définitions et les distinctions entre différents termes tels que la mobilisation des connaissances, le transfert des connaissances, la dissémination et la diffusion. Pour commencer, il s’agit de situer le concept de dissémination au sein de celui plus large de la mobilisation des connaissances.
Mobilisation des connaissances
La mobilisation des connaissances est un concept parapluie qui englobe plusieurs termes : partage, échange, transfert, traduction, application, valorisation, mise en valeur, diffusion, dissémination (FRQ, s.d.).
Bien qu’il n’existe pas de consensus clair, on peut définir la mobilisation des connaissances comme un processus global visant à recourir à divers savoirs pour qu’ils mènent à l’action et au changement (FRQ, s.d.). Ces savoirs peuvent provenir de la recherche (ex.: connaissances scientifiques) ou d’initiative d’amélioration (ex.: connaissances organisationnelles). Ce terme est plus courant dans le réseau francophone, tandis que l’expression transfert des connaissances (knowledge transfer) est plus utilisé dans le réseau anglophone.
La mobilisation et le transfert des connaissances peuvent avoir plusieurs visées qui se chevauchent et s’influencent mutuellement (Doig et al., 2024) :
- Échange : Partage bidirectionnel des connaissances, souvent associé à des partenariats et à la co-construction.
- Dissémination : Communication ciblée des connaissances aux personnes concernées, souvent planifiée et surveillée.
- Implantation : Application des connaissances sur le terrain, impliquant souvent l’adoption de nouvelles pratiques. Une implantation réussie peut mener au déploiement et à la mise à l’échelle de pratiques.
L’échange et la dissémination des connaissances sont souvent des ingrédients essentiels à réaliser avant, pendant et après l’implantation.
Voici d’autres définitions souvent associées aux activités de mobilisation et de transfert des connaissances :
-
- Adoption : Processus par lequel une nouvelle idée, pratique ou technologie est acceptée et mise en œuvre par des individus ou des organisations (Rabin et al., 2008). L’adoption serait liée, jusqu’à un certain point, aux activités de dissémination et au processus de diffusion dans un réseau social concerné (Greenhalgh et al., 2004).
- Déploiement (spreading) : Introduction d’une amélioration déjà implantée à un endroit dans de nouveaux milieux (Greenhalgh et Papoutsi, 2019). Ce déploiement peut être intentionnel ou sporadique (Lemire et Litvak, 2011; Greenhalgh et Papoutsi, 2019).
- Mise à l’échelle (scaling up) : Construction d’une infrastructure pour soutenir l’implantation d’une amélioration à grande échelle au sein d’une organisation ou d’un système à l’échelle local ou national (Greenhalgh et Papoutsi, 2019).
Dissémination des connaissances
En sciences de l’implantation (implementation sciences), la dissémination est conceptualisée sur un continuum en lien avec la diffusion des connaissances (Greenhalg et al., 2004). Par exemple, après la dissémination des informations, la diffusion d’une innovation peut ou non survenir (Randall, 2015). On distingue ces deux concepts ainsi :
- Diffusion : Processus passif de communication d’une information entre utilisateurs par un réseau ou des groupes (Dearing et Kreuter, 2010) qui survient au fil du temps (Rogers, 2003). L’information est relayée par l’intermédiaire des pairs de façon non planifiée et non surveillée (Rabin et al., 2008; Gagnon, 2010).
- Dissémination : Processus actif de communication d’une information ciblant un réseau d’acteurs concernés (Randall, 2015). Requiert la définition d’un public cible et l’adaptation du message et de son format à ce public (Rabin et al., 2008; Gagnon, 2010) à l’aide des stratégies de communication interactives ou non. La dissémination devrait comporter un plan détaillé et stratégique (Grol, 2020) souvent appuyé sur les principes de communication, tel que le model audience–channel–message–evaluation (ACME, Noar, 2012)
Stratégies de communication
Les stratégies de communication représentent un ensemble de techniques et d’actions coordonnées pour toucher une cible avec un message via un moyen adapté au contexte. Elles incluent l’utilisation de divers moyens (médias et canaux), la planification du moment et du messager appropriés pour transmettre le message dans un contexte donné.
Puisque les moyens de dissémination représentent une combinaison entre un média et un canal de diffusion, ils peuvent prendre des formes très variées. On retrouve plusieurs moyens qui font l’objet de ce livre numérique (tableau 1).
Tableau 1 : moyens de dissémination
Identité de projet | Série balado | Document infographique |
Publication sur médias sociaux | Production vidéo | Bande dessinée |
Présentation orale express |
Cadres conceptuels sous-tendant la dissémination des connaissances
Plusieurs cadres conceptuels offrent des outils précieux pour planifier, mettre en œuvre et évaluer les stratégies de communication permettant de réaliser une dissémination des connaissances. Voici les quatre principaux cadres sur lesquels s’appuient les principes de dissémination des connaissances, en particulier dans le domaine de la santé.
1. Théorie de la diffusion de l’innovation de Rogers (2003)
Ce cadre explique le processus d’adoption des innovations selon une courbe en S, où les innovations seront adoptées par un nombre croissant d’individu qui augmenterait d’abord lentement puis plus rapidement au fil du temps. Il identifie des composantes clés pour favoriser la diffusion d’une innovation au sein d’un réseau, telles que les qualités perçues de l’innovation (avantages relatifs, compatibilité, observabilité, capacité d’essai, complexité) et la propension à l’innovation chez les adopteurs (innovateurs, adopteurs précoces, majorité précoce, majorité tardive, retardataires). C’est de cette théorie qu’est tirée la définition de la diffusion selon un processus passif. Ce concept est complémentaire à la dissémination des connaissances.
→ Ce cadre nous informe des éléments clés à considérer pour adapter le message selon le propension à l’innovation du public cible (ex.: la majorité tardive pourrait être considérée comme constituée de personnes ayant davantage de résistance au changement). on appelle ceci la segmentation de l’audience ou du public cible.
2. Cadre de la création des connaissances organisationnelles de Nonaka, Von Krogh et Voelpel (2006)
Ce cadre met l’accent sur la conversion des connaissances tacites en connaissances explicites et vice versa au sein des organisations. Il identifie des facteurs influençant ce processus, tels que les ressources organisationnelles, la communication (Baralou et Tsoukas, 2015; Tsoukas 2009), la culture organisationnelle et le leadership, idéalement partagé (Silva, et al. 2022; Currie et Spyridonidis, 2019).
→ Ce cadre nous informe du processus à réaliser pour connecter les connaissances actuelles avec d’autres connaissances (qu’elles soient coconstruites lors d’un projet d’amélioration ou qu’elles proviennent de la recherche) pour en créer de nouvelles connaissances au sein d’une organisation. Il y a lieu de rendre explicite ce qui est implicite.
→ Ce cadre nous souligne l’importance de créer un environnement propice à l’échange et à la création de connaissances.
3. Cadre d’application des connaissances à la pratique de Graham (2006)
Ce cadre, également connu sous le nom de Knowledge-to-Action Framework, guide le passage des connaissances théoriques à l’action pratique à travers un processus cyclique itératif en sept étapes :
-
- Déterminer un problème et analyser/sélectionner les connaissances les plus utiles pour le résoudre.
- Adapter ces connaissances au contexte local.
- Évaluer les obstacles à l’utilisation des connaissances.
- Déterminer, adapter et mettre en œuvre les pratiques innovantes.
- Faire le suivi de l’utilisation.
- Évaluer les résultats.
- Soutenir l’utilisation.
→ Ce cadre nous souligne l’importance d’adapter au contexte les connaissances et de planifier leur dissémination en évaluant les obstacles.
→ Ce cadre nous encourage à évaluer le processus et les résultats de la démarche de dissémination et d’implantation.
4. Cadre d’évaluation RE-AIM (Glascow et al., 2019)
Le cadre RE-AIM (Reach, Effectiveness, Adoption, Implementation, Maintenance) est utilisé pour planifier et évaluer les processus de transfert des connaissances en santé publique. Il se compose de cinq dimensions :
-
- Portée : L’atteinte du public cible.
- Efficacité : L’impact du message.
- Adoption : L’acceptation par les organisations et les personnes ciblées.
- Mise en œuvre : L’uniformité dans l’application de l’intervention.
- Maintien : La continuité des effets de l’intervention pour les individus et les milieux.
→ Ce cadre nous offre une démarche structurante pour évaluer le processus et les résultats de la démarche de dissémination et d’implantation.
Conclusion
Ce chapitre offre une vue d’ensemble des concepts et des stratégies clés pour la dissémination des connaissances. Il souligne l’importance de la planification et de l’adaptation des messages pour assurer une communication efficace et un impact durable.
Références
- Baralou, E., & Tsoukas, H. (2015). How is New Organizational Knowledge Created in a Virtual Context? An Ethnographic Study. Organization Studies, 36(5), 593‑620. https://doi.org/10.1177/0170840614556918
- Dearing, J. W. et Kreuter, M. W. (2010). Designing for diffusion: How can we increase uptake of cancer communication innovations? Patient Educ Couns, 81 Suppl, S100-110. https://10.1016/j.pec.2010.10.013
- Doig, E., Auld, M., & Bennett, S. (2024). Developing the Knowledge Translation and Impact Planner (KTIPs) : A resource to enhance research translation and impact in health and rehabilitation. JBI Evidence Implementation, 10.1097/XEB.0000000000000453. https://doi.org/10.1097/XEB.0000000000000453
- Fonds de recherche du Québec (FRQ) (s.d.). Mobilisation des connaissances. https://frq.gouv.qc.ca/mobilisation-des-connaissances/
- Gagnon, M. (2010). Section 5.1 : La dissémination et l’échange des connaissances. Instituts de recherche en santé du Canada. https://cihr-irsc.gc.ca/f/41953.html
- Glasgow, R. E., Harden, S. M., Gaglio, B., Rabin, B., Smith, M. L., Porter, G. C., Ory, M. G., & Estabrooks, P. A. (2019). RE-AIM Planning and Evaluation Framework : Adapting to New Science and Practice With a 20-Year Review. Frontiers in Public Health, 7. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpubh.2019.00064
- Graham, I.D., Logan, J., Harrison, M.B., et coll. (2006). Lost in knowledge translation: time for a map? Journal of Continuing Education in the Health Professions, vol. 26, no 1, p.1324.
- Greenhalgh, T., & Papoutsi, C. (2019). Spreading and scaling up innovation and improvement. BMJ, l2068. https://doi.org/10.1136/bmj.l2068
- Greenhalgh, T., Robert, G., Macfarlane, F., Bate, P., & Kyriakidou, O. (2004). Diffusion of Innovations in Service Organizations : Systematic Review and Recommendations. The Milbank Quarterly, 82(4), 581‑629. https://doi.org/10.1111/j.0887-378X.2004.00325.x
- Grol, R. and Wensing, M. (2020). Chapiter 11 : dissemination of innovations. Dans Wensing, M., Grol, R., & Grimshaw, J. (Eds.). Improving patient care: the implementation of change in health care (Third). John Wiley & Sons.
- Ham, C. (2003). Improving the performance of health services: The role of clinical leadership. Lancet (London, England), 361(9373), 1978–1980. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(03)13593-3
- Lemire, N., & Litvak, É. (2011). L’amélioration en santé : diriger, réaliser, diffuser. Laboratoire d’expérimentation en gestion et en gouvernance de la santé et des services sociaux (LEGG), Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie Québec. (p.34 à 42) Disponible à http://extranet.santemonteregie.qc.ca/userfiles/file/performance-innovation/legg/DIRIGER,%20R%C3%89ALISER,%20DIFFUSER.pdf
- Noar, S. M. (2012). An audience–channel–message–evaluation (ACME) framework for health communication campaigns. Health Promotion Practice, 13(4), 481-488. https://doi.org/10.1177/1524839910386901
- Nonaka I., von Krogh G. et Voelpel S. (2006). Organizational knowledge creation theory: Evolutionary paths and future advances. Organization Studies. 27(8):1179-208.
- Parmar, J., Sacrey, L. A., Anderson, S., Charles, L., Dobbs, B., McGhan, G., Shapkin, K., Tian, P., & Triscott, J. (2022). Facilitators, barriers and considerations for the implementation of healthcare innovation: A qualitative rapid systematic review. Health & Social Care in the Community, 30(3), 856–868. https://doi.org/10.1111/hsc.13578
- Rabin, B. A., Brownson, R. C., Haire-Joshu, D., Kreuter, M. W., & Weaver, N. L. (2008). A glossary for dissemination and implementation research in health. Journal of Public Health Management and Practice, 14(2), 117–123. https://doi.org/10.1097/01.PHH.0000311888.06252.bb
- Randall S. (2015). Using communications approaches to spread improvement. London: The Health Foundation. https://www.health.org.uk/publications/using-communications-approaches-to-spread-improvement
- Rogers, E. M. (2003). Diffusion of innovations (5th ed.). Free Press.
- Silva, J. A. M., Miniel, V. A., Agreli, H. F., Peduzzi, M., Harrison, R., & Xyrichis, A. (2022). Collective leadership to improve professional practice, healthcare outcomes and staff well‐being. Cochrane Database of Systematic Reviews, 10, Article CD013850. https://doi.org/10.1002/14651858.CD013850.pub2
-
Van Aerde, J., & Dickson, G. (2017). Livre blanc : Accepter notre responsabilité (plan directeur pour un leadership des médecins dans la transformation du système de santé du Canada. Société canadienne des leaders médicaux. https://physicianleaders.ca/assets/wpfrenchsummary.pdf
- Waltz, T. J., Powell, B. J., Matthieu, M. M., Damschroder, L. J., Chinman, M. J., Smith, J. L., Proctor, E. K., & Kirchner, J. E. (2015). Use of concept mapping to characterize relationships among implementation strategies and assess their feasibility and importance : Results from the Expert Recommendations for Implementing Change (ERIC) study. Implementation Science, 10(1), 109. https://doi.org/10.1186/s13012-015-0295-0