La valorisation des effets intangibles
Comme l’illustre la Figure 1, un projet qui réduit la quantité ou la qualité d’un bien non marchand engendre des coûts intangibles. Par exemple, la construction d’une nouvelle route entraîne une augmentation de la pollution atmosphérique dans une région. Évidemment, le cas contraire est également possible : la construction d’un tramway, en réduisant le trafic automobile, permet d’améliorer la qualité de l’air.
Dans la partie précédente, nous avons établi que les effets intangibles peuvent s’analyser conceptuellement à l’aide des outils de la microéconomie. Ainsi, on peut concevoir qu’il existe une demande pour la qualité de l’air qui reflète la disposition à payer pour accéder à de l’air pur.
Sur le plan pratique, les effets intangibles sont cependant associés à des ressources pour lesquelles il n’existe pas de marché explicite. On ne trouve en effet aucun marché où l’on peut acheter ou vendre de l’air sain. L’absence de marché signifie qu’on n’observe pas de transaction directe ni de prix, ce qui complique la valorisation. Diverses techniques ont été élaborées pour surmonter cette difficulté. La Figure 2 classe ces différentes approches en trois catégories :
- Les approches pragmatiques sont souvent utilisées, bien qu’elles ne reposent pas véritablement sur des fondements théoriques explicites. Cette catégorie inclut l’évaluation des impacts monétaires et la méthode du transfert (voir le Chapitre 13) ;
- Les méthodes fondées sur les préférences révélées, également appelées « méthodes indirectes », valorisent les effets intangibles en examinant les traces de ces effets sur des marchés secondaires (voir le Chapitre 14);
- Les méthodes s’appuyant sur les préférences déclarées ou directes mesurent le consentement à payer pour un bien non marchand en créant des marchés hypothétiques (voir le Chapitre 15).
Dans le Chapitre 16, nous montrons comment ces différentes techniques ont été mises en œuvre pour déterminer la valeur du temps, de la vie humaine et du carbone.
La valeur économique totale
Avant d’effectuer l’examen de ces techniques, il est important de déterminer les origines de la valeur économique d’une ressource. La Figure 3 illustre les diverses composantes qui définissent la valeur économique totale.
La première source de valeur attribuée à une ressource est liée à son utilisation, qui peut être directe, indirecte ou d’option.
- La valeur d’usage direct est associée à une utilisation primaire de la ressource, comprenant souvent sa consommation. Par exemple, une forêt offre une valeur d’usage direct de consommation à travers des activités telles que la coupe de bois, la chasse, la pêche ou la récolte de champignons. Cependant, l’usage direct englobe également des utilisations sans consommation, c’est-à-dire des activités qui ne diminuent pas le niveau ou la qualité de la ressource. Se promener dans une forêt et en apprécier le paysage constituent des exemples d’usages directs qui, généralement, n’ont aucune conséquence sur la ressource elle-même.
- La valeur d’usage indirect découle de fonctions secondaires assurées par la ressource, sans nécessiter une relation directe avec elle. Par exemple, une forêt joue un rôle dans la filtration de l’eau, la séquestration du carbone, et sert de refuge à la biodiversité. Ces fonctions environnementales génèrent des valeurs d’usage indirectes qui ne requièrent pas une présence physique dans la forêt.
- La valeur d’option représente la valeur attribuée à une ressource en anticipation d’une utilisation potentielle dans l’avenir. La protection de la forêt amazonienne trouve sa justification, en partie, dans le fait qu’elle renferme des ressources encore inconnues qui pourraient se révéler précieuses à l’avenir, comme un champignon pouvant conduire à la découverte d’une nouvelle molécule à usage médical. Ainsi, il existe une disposition à payer pour préserver l’option d’exploiter certaines ressources.
La valeur peut également découler de motifs qui ne sont pas directement liés à l’usage. On distingue les deux sources suivantes :
- La valeur de legs correspond à l’importance accordée à une ressource dans le but de la transmettre aux générations futures. Par exemple, on peut souhaiter contribuer à la préservation de forêts primaires, même en l’absence de bénéfices directs ou indirects, le consentement à payer découlant de la volonté de léguer cette ressource aux générations futures ;
- La valeur d’existence reflète la disposition à payer pour protéger une ressource en dehors de toute utilité actuelle ou future pour l’humain. Par exemple, il pourrait exister une volonté à payer pour sauvegarder des espèces animales ou des lieux, indépendamment de toute considération anthropocentrique.
Comme l’indique la flèche dans la Figure 3, les sources de valeur sont disposées de gauche à droite en fonction de leur niveau d’intangibilité. En effet, les usages directs donnent souvent lieu à des échanges marchands (par exemple, le commerce du bois), tandis que la valeur d’existence est particulièrement immatérielle, relevant davantage de valeurs spirituelles ou philosophiques.
Cette classification est principalement utilisée dans le cadre de la valorisation des ressources environnementales, telles que les écosystèmes ou la biodiversité. Cependant, elle peut également se révéler utile pour établir la valeur d’une infrastructure humaine, comme un aéroport. Il peut exister une volonté à payer pour développer un aéroport dans une région, liée à l’usage direct (possibilité de voyager en avion depuis la région) ainsi qu’à l’usage indirect (amélioration des services de transport dans la région). De plus, une valeur d’option peut être associée à un usage futur, et éventuellement, à un consentement à léguer cette infrastructure aux générations à venir.
Mise en garde
L’étude rigoureuse des techniques d’évaluation des effets non marchands exige l’utilisation de modèles mathématiques et de techniques statistiques complexes qui dépassent le cadre de ce manuel. Dans les chapitres qui suivent, nous proposons une introduction à ces techniques qui permet de comprendre les principes de base, les champs d’application, les avantages ainsi que les limites de ces méthodes. Champ, Boyle et Brown (2017) présentent ces techniques de manière beaucoup plus formelle et abordent les développements les plus récents.
Bibliographie
Champ P.A., Boyle K. J. et Brown T. C. (Éds.). (2017). A Primer on Nonmarket Valuation (2e éd.). Springer, Dordrecht. https://doi.org/10.1007/978-94-007-7104-8