23 Éducation – L’ACA d’un programme d’initiation à la recherche au premier cycle universitaire

Bâtiment principal à l’Université du Texas à Austin. © 2014 Larry D. Moore. CC BY 4.0

Cette étude de cas a été élaborée à partir de Walcott et al., (2018) et Rodenbusch et al., (2016).

Concepts mobilisés Chapitres de référence
L’analyse d’impacts 1
Le traitement des risques 18
L’arbre de décisions 18

1.  Le contexte

Le besoin

L’enseignement universitaire dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM) est considéré comme crucial pour le développement des sociétés contemporaines. Toutefois, les programmes universitaires de ces domaines font face à des défis majeurs en matière de recrutement et de rétention, particulièrement en Amérique du Nord. Cela se produit malgré le fait que les salaires médians des diplômés en STIM sont généralement supérieurs à ceux provenant d’autres disciplines universitaires.

Les obstacles à l’attrait des disciplines en STIM comprennent :

  • Une insuffisance d’information chez les jeunes au moment de choisir leur orientation universitaire ;
  • Une tendance à privilégier le court terme : les études en STIM sont souvent perçues comme plus exigeantes, requérant un effort immédiat plus conséquent pour des avantages futurs ;
  • Une représentation traditionnellement masculine dans ces domaines, avec peu de figures féminines comme modèles à suivre.

En outre, bon nombre de ces programmes universitaires s’appuient encore sur une approche pédagogique traditionnelle, privilégiant des cours méthodologiques théoriques en début de cursus, ce qui peut entraîner une perte de sens et diminuer l’intérêt des étudiants. L’ACA présentée ici se concentre spécifiquement sur une modification de l’approche de ces cours de méthodologie, visant à renforcer la rétention des étudiants dans les disciplines de STIM.

Le projet

La mesure étudiée, mise en œuvre à l’Université du Texas à Austin et connue sous le nom d’« Initiative de Recherche pour les Premières Années » (Freshman Research Initiative – FRI), propose une approche pédagogique novatrice dans l’enseignement des disciplines des STIM. Cette initiative vise à transformer l’expérience éducative des nouveaux étudiants, en remplaçant trois cours de laboratoire traditionnels par des cours axés sur l’expérience de la recherche. Dans ces cours, un groupe de 35 à 40 étudiants travaillent conjointement sur un projet de recherche unique, supervisé par un doctorant ou une doctorante. Cette méthode fondée sur l’apprentissage par projet a pour ambition d’amener les étudiants à produire des contributions scientifiques originales.

Pour réussir, les participants sont encouragés à maîtriser les techniques de laboratoire nécessaires à l’avancement de leur projet de recherche. Ce cadre pédagogique vise, non seulement à enrichir leur compréhension théorique par une application pratique immédiate, mais aussi à stimuler leur intérêt et leur engagement envers leur domaine d’étude dès le début de leur parcours universitaire.

L’objectif

  • Améliorer le taux de rétention et de diplomation des programmes d’étude en STIM.

L’ACA

L’évaluation porte sur les avantages et sur les coûts associés à un « étudiant-type », c’est-à-dire à un profil d’étudiant moyen. Les principaux aspects de cette ACA comprennent :

  • La période d’analyse : L’impact du programme FRI est examiné sur toute la durée d’une carrière professionnelle standard ;
  • Le taux d’actualisation sociale : Un taux d’actualisation de 3 % est utilisé pour calculer la VAN ;
  • L’horizon spatial est restreint et asymétrique :
    • Pour les coûts : Seuls les coûts défrayés par l’université sont pris en compte dans l’analyse. Cela comprend, par exemple, les dépenses relatives à la mise en œuvre et au maintien du programme FRI, sans tenir compte des coûts éventuels pour les étudiants ou autres parties prenantes ;
    • Pour les avantages : L’analyse se concentre exclusivement sur les avantages tangibles pour l’étudiant, en termes de salaire additionnel, c’est-à-dire sur l’augmentation potentielle des revenus attribuables à la participation au programme FRI. D’autres types d’avantages, tels que l’amélioration des compétences, l’accroissement de l’employabilité ou les contributions scientifiques ne sont pas quantifiés dans cette évaluation.

2.   Les scénarios

Le scénario de référence

Dans ce scénario, l’étudiant-type s’engage dans un parcours éducatif conventionnel comprenant trois cours de laboratoire standards durant sa première année d’études universitaires. Ces cours mettent l’accent sur l’apprentissage théorique et méthodologique traditionnel.

Le scénario avec le projet

Dans ce scénario alternatif, l’étudiant-type remplace les trois cours de laboratoire traditionnels par des cours offerts dans le cadre du programme FRI, qui impliquent une participation active à un projet de recherche sous la supervision d’un doctorant ou d’une doctorante.

3.   Les parties prenantes et les impacts

Les acteurs engagés dans cette initiative comprennent :

  1. Les étudiants, qu’ils optent pour le cursus traditionnel ou pour l’approche FRI ;
  2. L’université qui met en place le programme FRI ;
  3. La société qui bénéficie des contributions d’un diplômé universitaire, en particulier dans les domaines des STIM ;
  4. Les autres établissements d’enseignement supérieur.

Les impacts sont brièvement résumés dans le Tableau 23.1.

Les avantages du programme FRI

  • Le FRI diminue le risque d’abandon des études universitaires et augmente les chances d’obtenir un diplôme en STIM. Ces effets augmentent donc les revenus anticipés sur la durée de la carrière ;
  • Le FRI est susceptible d’améliorer la renommée de l’université, augmentant ainsi ses revenus provenant des frais de scolarité et réduisant éventuellement ses dépenses de recrutement (par exemple, en diminuant les besoins en publicité). Cependant, ces avantages n’ont pas été quantifiés, faute de données ;
  • L’augmentation du nombre de diplômés en STIM grâce au FRI peut également entraîner des avantages tels que le progrès technologique et une croissance économique renforcée, bien que cet impact soit diffus et difficile à mesurer.

Les coûts associés au FRI

  • Le FRI nécessite davantage de ressources humaines (assistants d’enseignement) et une utilisation plus intensive des laboratoires, représentant des coûts assumés par l’université. On suppose que ces coûts ne sont pas répercutés sur les étudiants à travers une augmentation des frais de scolarité ;
  • Le programme FRI pourrait exiger un investissement en temps d’étude plus important de la part des étudiants, bien qu’il n’existe aucune donnée à ce sujet. Les auteurs estiment toutefois que cette différence devrait s’avérer minime ;
  • En l’absence de données, l’analyse exclut également les coûts de transition liés à l’adaptation des cours à la nouvelle approche pédagogique ;
  • Les autres universités maintenant un cursus traditionnel pourraient subir un impact négatif résultant de la perte d’étudiants attirés par l’université proposant le FRI. Cependant, cet effet de déplacement est jugé trop diffus pour être quantifié.
Tableau 23.1 Résumé des impacts dans l’ACA du FRI
Impact Pertinence Quantifiable Valorisé Détails
Avantages additionnels
Accroissement du salaire pendant la carrière X X X
Augmentation des revenus nets de l’Université qui met en place un FRI X Manque de données
Impact sur l’innovation et sur la croissance économique d’avoir plus de diplômés en STIM Effets diffus
Coûts additionnels
Coûts du FRI (auxiliaires et laboratoires supplémentaires) X X X
Coûts de mise en place (planification et réforme des cours) X X X
Coûts des efforts supplémentaires des étudiants dans le FRI X Manque de données et probablement faibles
Impact négatif sur les revenus nets des autres universités X Effet diffus

4.  La méthodologie

La valorisation des coûts

L’évaluation des coûts s’effectue à partir d’une estimation détaillée des coûts additionnels (micro-costing). Les éléments considérés sont : les ressources professorales, les auxiliaires d’enseignement, le matériel et l’utilisation des bâtiments. Au total, on évalue que le coût des trois cours de format FRI s’élève à 3 375 $/étudiant, alors que dans le format traditionnel, le coût monte à 2 136 $. Le coût additionnel s’établit donc à 1 239 $[1].

La valorisation des avantages

L’évaluation précise des avantages du programme nécessite une analyse de son impact causal sur le taux d’obtention des diplômes. L’ACA s’appuie sur l’étude de Rodenbusch et al., (2016), qui examine les répercussions du FRI. Un défi majeur dans l’évaluation de l’impact causal du FRI réside dans le fait que l’inscription au programme n’est pas déterminée de manière aléatoire. Le choix entre le parcours traditionnel et le FRI dépend de la décision de l’étudiant.

Ce mode de sélection introduit un risque de biais : les étudiants optant pour le FRI pourraient présenter une motivation intrinsèque plus forte ou des réussites académiques antérieures plus élevées, influençant ainsi leur taux de réussite, indépendamment du programme.

Pour atténuer ce problème, Rodenbusch et al., (2016) ont recours à un groupe de contrôle constitué selon une méthode d’appariement s’appuyant sur les scores de propension. Cette technique[2] vise à prédire la probabilité de choisir le programme FRI à partir de divers critères tels que le genre, l’ethnie, le niveau d’éducation et le revenu des parents, les succès académiques préalables ainsi que le nombre de crédits en mathématiques obtenus au secondaire. Ce modèle de prédiction est ensuite utilisé pour apparier les participants du FRI avec des étudiants non‑inscrits au programme, mais présentant des caractéristiques semblables, garantissant ainsi une probabilité équivalente de sélection du programme FRI entre les deux groupes.

L’analyse d’impacts du programme montre que celui-ci augmente :

  • La probabilité de diplômer de l’université (tous programmes confondus) de 66 % à 83 % ;
  • La probabilité d’obtenir un diplôme d’un programme STIM de 71 % à 94 %.

La valorisation de cet avantage s’effectue à partir du différentiel du salaire médian actualisé sur l’ensemble de la carrière. L’analyse examine aussi l’impact sur le salaire médian en début de carrière. Le Tableau 23.2 montre les différences salariales selon la situation.

Tableau 23.2 Le salaire médian selon le diplôme en $ canadiens de 2021

Pas de diplôme universitaire Diplôme universitaire STIM Diplôme universitaire non-STIM
Salaire annuel initial 17 150 $ 44 100 $ 32 950 $
Salaire sur l’ensemble de la carrière* 1 014 420 $ 2 007 600 $ 1 422 990 $
* Actualisé à 3 %

Source :  Walcott et al. (2018), Tableau 3, CC BY NC SA.

L’évaluation des avantages espérés a priori s’effectue ensuite à partir d’un arbre de décisions caractérisé par les différents parcours possibles, avec les coûts, les probabilités de diplomation et les salaires qui y sont associés (voir Figure 23.1).

 

Figure 23.1 L’arbre de décision. Source: Adapté de Walcott et al. (2018), Figure 2, CC BY NC SA.

5. Les résultats

Les résultats sont sans équivoques, comme l’illustre le Tableau 23.3 : les avantages dominent très fortement les coûts. C’est le cas, même si l’on ne tient compte que du différentiel de salaire en début de carrière.

Tableau 23.3 L’ACA du FRI
Coûts additionnels par étudiant 1 239 $
Avantages attendus en termes de salaire initial 6 142 $
Avantages attendus en termes de salaire en carrière 250 685 $

Une analyse de sensibilité est effectuée sur deux aspects, soit le coût additionnel par étudiants en prenant une valeur faible et une valeur élevée. Le deuxième aspect concerne le sort des étudiants qui n’obtiennent pas de diplôme. Dans le scénario de base, l’étudiant quitte l’université et n’obtient pas de diplôme universitaire. Dans un scénario alternatif, on suppose que 10 % des étudiants qui quittent obtiennent un diplôme universitaire ailleurs. Aucun des scénarios alternatifs ne change la rentabilité du programme.

6. La recommandation et les limites

L’ACA montre que le programme est très rentable. Il est cependant important de souligner certaines limites de l’analyse :

  1. Plusieurs impacts ne sont pas valorisés (voir Tableau 23.1) ;
  2. L’impact du programme est fondé sur les résultats d’une seule étude d’impacts et non sur les résultats d’un consensus scientifique ;
  3. Bien que l’analyse d’impacts tente de corriger pour la présence d’un biais de sélection, il est possible que d’autres facteurs non observables (par exemple, des facteurs psychologiques ou de motivation initiale) différencient les personnes qui choisissent le cursus FRI ;
  4. L’analyse de sensibilité est assez sommaire.

Bibliographie

Rodenbusch, S. E., Hernandez, P. R., Simmons, S. L., et Dolan, E. L. (2016). Early engagement in course-based research increases graduation rates and completion of science, engineering, and mathematics degrees. CBE—Life Sciences Education15(2). https://doi.org/10.1187/cbe.16-03-0117

Walcott, R. L., Corso, P. S., Rodenbusch, S. E., et Dolan, E. L. (2018). Benefit–cost analysis of undergraduate education programs: An example analysis of the Freshman Research Initiative. CBE—Life Sciences Education17(1). https://doi.org/10.1187/cbe.17-06-0114


  1. Les résultats initiaux de l’étude source sont exprimés en dollars américains de 2014. Pour les rendre plus concrets, ils ont été ajustés en dollars canadiens de 2021, en tenant compte de l’inflation de 2014 à 2021 et en utilisant le taux de change en parité de pouvoir d’achat de 2019, soit 1,2.
  2. Pour une présentation simple de cette méthode, voir la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=lwDcXH8kXds

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Introduction à l’analyse coût-avantage Droit d'auteur © 2024 par Philippe Barla est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.

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