Le cinquième fondement
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Avez-vous un singe sur le dos ?
« Avoir un singe sur le dos, ce n’est rien d’autre qu’avoir la responsabilité de l’étape suivante… du suivi d’un dossier, du montage d’une opération, de la réalisation d’un projet. Le but du jeu n’est pas de se débarrasser de tous les singes, mais de ne garder que ceux qui relèvent strictement de votre périmètre. » – Gilles Martin
Avez-vous déjà entendu l’expression « accepter un singe de quelqu’un » ou encore « transférer un singe à quelqu’un » ? Le singe peut aussi être présenté comme une « patate chaude », soit un problème (ou une responsabilité) dont une personne se départit en le donnant à quelqu’un d’autre. Dans leur article classique « Who’s Got the Monkey ? », William Oncken et Donald Wass indiquent que le singe représente les responsabilités, les tâches ou les problèmes qui appartiennent à une autre personne. Peut-être avez-vous déjà adopté un ou plusieurs singes sans même le savoir ! Il est important de vous familiariser avec l’idée des singes de votre organisation. Vous constaterez qu’il est nécessaire d’apprendre quand et comment les accepter ou les refuser.
Autant que possible, il est important de ne pas accepter les singes des autres. Tout d’abord, vous avez vos propres responsabilités que vous ne devez pas mettre de côté pour faire le travail de quelqu’un d’autre. Votre propre travail peut souffrir si vous êtes occupé à faire celui des autres. Deuxièmement, accepter les singes des autres ne leur apprend pas comment effectuer le travail eux-mêmes. Comme le dit l’adage, il vaut mieux apprendre à quelqu’un à pêcher plutôt que de lui donner du poisson. En outre, le Dr William Glasser mentionne que nous ne devrions jamais faire quelque chose pour quelqu’un lorsqu’il peut le faire lui-même. Si nous le faisons, nous le traitons comme un enfant et ne l’aidons pas à construire un sentiment d’autosuffisance.
Voici quelques solutions pour repérer et gérer ces petites bêtes et cohabiter harmonieusement avec elles.
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Adopter un singe. Avant d’adopter un singe, il faut vous assurer que vous serez capable d’en prendre soin sans amertume. Si la tâche, l’activité ou la responsabilité est compatible avec votre rôle, que vous disposez du temps pour l’adopter et vous en avez envie, l’adoption du singe pourrait être justifiée.
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Refuser un singe. S’il s’agit d’un dossier dont la responsabilité incombe à une autre personne et qu’elle est en mesure de le régler par elle-même, avec un peu de coaching ou bien d’encouragements de votre part, mieux vaut lui laisser le singe. S’il s’agit d’une question ou encore d’un problème qu’elle vous expose, ne vous gênez pas pour lui retourner la question en lui demandant ce qu’elle en pense. Lorsque vous acceptez un singe qui ne vous revient pas (par erreur ou par sentiment de charité déplacé), rappelez-vous que la rumeur que votre porte est ouverte se propage dans la communauté de primates. Ainsi, si vous êtes trop accueillant avec ces petites bêtes, elles auront tendance à venir cogner à votre porte ou même à s’installer confortablement dans votre bureau sans attirer l’attention.
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Refiler un singe. Si une tâche ne vous revient pas, vous pouvez la déléguer à la personne appropriée. Attention, cependant ! Déléguer n’est pas synonyme de se décharger, de se débarrasser ou de « pelleter dans la cour de l’autre ». La délégation est un art ! Selon Oncken et Wass, les leaders formidables savent déléguer de manière appropriée. En attribuant des responsabilités à d’autres, comme vos collègues, vous devez également vous assurer que ces personnes disposent de l’autorité et des ressources nécessaires pour l’exécuter. De plus, les leaders veillent à préparer leur personnel à la tâche. Enfin, ils savent déléguer la bonne tâche à la bonne personne en reconnaissant les talents et le potentiel de chacun.
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Conserver un singe. Travaillez votre sens de l’initiative et votre autonomie ! Si vous avez une tâche à accomplir et qu’elle vous appartient, vous seul pouvez la faire. Vous pouvez demander des conseils et de l’aide aux autres, mais ne déchargez pas vos responsabilités sur les autres.
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Mettre le singe dans le milieu. Lorsque la situation s’y prête, pourquoi ne pas entourer le singe ? Au lieu de prendre la responsabilité et d’alourdir votre charge de travail inutilement, pourquoi ne pas inviter vos collaborateurs à trouver une solution avec vous ? Un bon leader sait s’entourer des bonnes personnes pour résoudre un problème, mais il sait également comment rendre les autres plus autonomes. Ainsi, si un collaborateur souhaite lui confier un singe dont il ne sait que faire, le leader pourrait très bien lui demander de participer à la résolution du problème. Vous remarquerez que les deux parties sont gagnantes. Le leader ne prend pas une responsabilité qui ne lui revient pas et il apprend à son collaborateur comment s’y prendre avec la situation. Quant au collaborateur, il se développe et obtient ainsi une occasion d’apprentissage privilégiée. Ainsi, être un bon leader ne veut pas dire prendre les singes de tout le monde pour les soulager d’un fardeau : il peut être efficace d’habiliter les autres afin qu’ils prennent en charge leurs singes.
Autant que possible, essayez d’impliquer vos collaborateurs dans la planification et la résolution des problèmes. Gardez-les informés afin qu’ils prennent des décisions basées sur des informations à jour. Restez donc accessible. Gardez à l’esprit que l’objectif global est de partager votre leadership avec vos collaborateurs. Si vous déléguez efficacement, c’est-à-dire déléguez à la fois la responsabilité et l’autorité, vous développerez leur initiative et leur créativité. Votre relation sera alors un partenariat efficace et une collaboration bien ficelée.
Votre défi en deux parties
Partie 1
Nous vous proposons de lire le récit suivant. Il s’agit d’une adaptation d’une mise en situation écrite par William Oncken et Donald Wass. Ensuite, prenez quelques moments pour réfléchir dans quelle mesure elle peut s’appliquer à vous.
Un leader se promène dans son entreprise et vérifie si chaque personne est affairée à sa tâche. Il salue ses employés et ses collègues. Or, un de ses collaborateurs ne se contente pas de le saluer : il saisit l’occasion pour lui exposer un problème auquel il se heurte. La situation exposée interpelle le leader, mais il ne sait pas comment la résoudre pour l’instant. Alors, il mentionne à son collaborateur qu’il pensera à une solution et qu’il lui reviendra bientôt. Sans le savoir, le leader quitte son collaborateur avec un singe sur le dos. En s’engageant et en s’impliquant dans la résolution du problème, il a accepté de prendre en charge une nouvelle tâche : il a donc accepté le singe que son collaborateur lui tendait.
Comment cette métaphore révélatrice pourrait-elle s’appliquer à vos expériences ? Nous vous suggérons de prendre une demi-heure pour réfléchir aux situations suivantes.
- Les membres de votre équipe ont-ils déjà essayé de vous transférer des singes ? Avez-vous accepté ou refusé ces délégations inversées ? Si oui, pourquoi l’avez-vous fait ? L’avez-vous fait consciemment ?
- Avez-vous déjà essayé de transférer des singes à d’autres ? Ont-ils accepté ou refusé ces responsabilités ? Pourquoi ?
Décrivez les situations et vos réponses dans votre journal d’apprentissage.
Partie 2
Au cours de cette semaine, nous vous invitons à faire attention aux cas où vous transférez des singes à d’autres ou à lorsqu’ils vous font la même chose.
- Acceptez-vous d’accomplir des tâches qui devraient être effectuées par d’autres ?
- Est-ce que d’autres font leur travail de manière aléatoire ou partielle et s’attendent à ce que vous le finissiez ou le peaufiniez ?
- Avez-vous une boîte de réception remplie de rapports que vous avez accepté d’examiner ou de demandes d’aide ?
- Partagez-vous vos singes avec d’autres ?
Prenez note de vos expériences et vos idées dans votre journal d’apprentissage.
Réflexion
Répondez aux questions suivantes dans votre journal d’apprentissage.
- Comment les singes sont-ils apparus dans votre vie cette semaine ? Dans quelles circonstances ? Comment les avez-vous gérés ?
- Quelles conclusions pouvez-vous tirer de la présence des singes dans votre vie de manière plus générale ? Quelles leçons avez-vous tirées de votre défi de cette semaine ?
- Plus généralement, quel rôle jouent les singes dans votre vie professionnelle ? Sont-ils des visiteurs réguliers ? Pourquoi les acceptez-vous ? Si vous trouvez qu’ils sont trop courants, vous n’êtes pas seul. Par exemple, si vous venez de changer d’emploi ou d’augmenter vos responsabilités au travail, vous pourriez être plus tenté d’adopter des singes. Souvent, les personnes dans ces situations veulent montrer qu’elles sont inestimables, qu’elles prennent les choses en main, qu’elles s’attaquent aux vrais problèmes, qu’elles vont au fond des choses et que leur aide est inestimable. Vous devez être conscient de cette tendance dès le début et vous demander si c’est ce que vous souhaitez. Soyez vigilant si vous ne souhaitez pas que votre environnement professionnel se transforme en zoo !
- Comment pouvez-vous gérer au mieux les singes dans votre vie ? Pensez-vous qu’il existe d’autres façons de gérer les singes en entreprise ? Si oui, quelles sont-elles ? Avez-vous tendance à privilégier une méthode plutôt qu’une autre ? Si oui, laquelle et pourquoi ? Quels types de singes rencontrez-vous dans d’autres sphères de votre vie (famille, école, loisirs, activités sociales, etc.) ? Qu’est-ce qui est à l’origine de ces transferts de responsabilités ? Comment pourriez-vous les encourager ?
- Plus généralement, sur une échelle de 1 à 10, dans quelle mesure essayez-vous (a) de résoudre vous-même vos problèmes avant d’impliquer d’autres personnes dans la résolution de vos problèmes et (b) d’aider les autres à assumer leurs responsabilités par le biais d’un coaching ou de conseils (plutôt que de prendre le problème vous-même) ? Pourquoi ou pourquoi pas ?
- Au vu de vos priorités et de votre charge de travail – à la maison et au travail –, que pouvez-vous déléguer à d’autres personnes (ou tout simplement ne plus faire) ? En quoi cela profiterait-il à vous et aux autres ?
- Dans leur article, Oncken et Wass suggèrent que les leaders soient directs et fermes avec les membres de l’équipe qui tentent de transférer des singes : « À aucun moment, pendant que je vous aide avec ce problème ou tout autre problème, votre problème ne deviendra mon problème. Dès l’instant où votre problème devient le mien, vous n’avez plus de problème. Une fois cette réunion terminée, le problème quittera ce bureau exactement comme il est arrivé : sur votre dos. Vous pouvez demander mon aide à tout moment, et nous déterminerons ensemble quelle sera la prochaine étape et lequel d’entre nous la fera. Dans les rares cas où le prochain mouvement s’avère être le mien, vous et moi le déterminerons ensemble. Je ne ferai aucun geste seul. » À titre d’exemple, si les membres de l’équipe vous demandent votre avis sur un rapport, vous devez donner cette rétroaction en leur présence. Vous ne devriez jamais accepter le rapport et dire que vous y reviendrez, car cela transfère le singe sur votre dos. Êtes-vous d’accord avec la suggestion d’Oncken et Wass ? Pourquoi ou pourquoi pas ?
- Certains leaders sont des micromanagers. Ils adorent mettre la main à la pâte dans tous les aspects du travail de leur équipe. Malheureusement, en plus d’être démotivant pour les membres de l’équipe, cela nuit à leur propre productivité. Dans le même temps, les membres de l’équipe disent souvent que malgré les micromanagers, ils recherchent continuellement des conseils et des affirmations auprès de leur leader : ils sont complices de leur situation. Comment les leaders devraient-ils gérer ou apprivoiser les singes ? Que peuvent faire les leaders pour aider les membres de leur équipe à devenir plus autonomes dans l’exécution de leur propre travail ? Comment pouvez-vous mieux soutenir les membres de votre équipe et les aider à exceller ?
Faites part de vos réflexions à votre équipe de rétroaction.
Plan d’action
Dans votre journal d’apprentissage, décrivez trois actions spécifiques que vous entreprendrez dès maintenant pour (a) garder les singes qui vous appartiennent, pour (b) refuser ceux qui ne relèvent pas de votre responsabilité et pour (c) transmettre ceux qui peuvent être délégués.
Roger : Mes employés me posent toujours des questions sur leurs projets en cours ou m’envoient leurs rapports et me demandent conseil. Je finis par regarder ces rapports et écrire des commentaires et des suggestions d’amélioration pendant la soirée. Qui travaille pour qui ici ?
Roxanne : Roger, tu contribues à engendrer ce problème sans même le réaliser. Tes employés te livrent leur travail, et tu l’acceptes tout simplement. Les courriels sont un bon exemple. Ils sont acceptables pour les questions rapides qui nécessitent une réponse du type oui/non, mais il est préférable de traiter les questions plus complexes en personne. Il en va de même pour les rapports ; il vaut mieux les examiner avec les employés.
Roger : Mais examiner les rapports en personne avec les employés peut prendre beaucoup de temps. Que dois-je faire lorsque mes employés m’envoient des courriels ?
Roxanne : Tout d’abord, tu passes beaucoup de temps à examiner les rapports de toute façon. En les examinant en personne avec tes employés, ça les aidera à comprendre ton processus d’analyse tout en gardant les rapports dans leur « cour ». Les rapports restent leur responsabilité, et tu les aides à réfléchir à leur travail. Ils deviendront de plus en plus indépendants. Je pense que tu as favorisé cette dépendance, et ce n’est bon pour personne. Deuxièmement, lorsque les employés t’envoient des courriels te demandant de faire quelque chose qui exige plus qu’une réponse rapide (disons plus de cinq minutes), demande-leur de te rencontrer pour en discuter. La responsabilité demeure la leur (et tu t’assures qu’ils le savent). Lorsque mes employés viennent me voir avec un problème, je leur demande ce qu’ils pensent qu’il faut faire. Ils ont appris à venir me voir avec des problèmes et des solutions (les deux sont essentiels). Je les aide souvent à réfléchir aux problèmes et, peu à peu, ils ont moins besoin de mon aide. Quoi qu’il en soit, c’est ce que j’ai fait et, même si c’était difficile au début, mes employés ont appris à régler la majorité de leurs problèmes eux-mêmes.
Roger : Mais je n’ai pas le temps d’avoir beaucoup de rendez-vous avec mes employés. Que fais-tu pour y arriver ?
Roxanne : Mes rendez-vous sont rapides, maximum 15 minutes. On règle les problèmes sans tarder (pour empêcher qu’ils ne deviennent de gros problèmes). Si ça prend plus que 15 minutes, d’habitude, ça veut dire que l’employé n’a pas bien réfléchi et n’a pas identifié de solutions. Donc, je lui donne du temps supplémentaire pour se préparer.
Roger : C’est un processus qui vise à aider tes employés à devenir de plus en plus autonomes et proactifs ?
Roxanne : Oui, et tout ça commence avec une bonne délégation. Tu sais, il y a cinq niveaux d’autorité possibles à déléguer : 1) attendre que les autres nous disent quelle tâche accomplir, 2) demander aux autres ce que nous devons faire, 3) proposer des idées sur les choses à faire et les concrétiser, 4) effectuer la tâche comme nous le pensons et en informer immédiatement notre patron et 5) prendre l’initiative d’accomplir la tâche et l’assumer. Roger, dans le continuum entre la passivité et l’initiative, où se trouve le degré d’autorité que tu délègues ?
Roger : Ça fait partie de mon problème, je suppose.
Roxanne : Non, c’est le problème. Si on ne leur dit pas quel niveau d’autorité ils ont, les employés deviennent confus et vont au plus petit dénominateur commun : ce qui est le plus facile et le moins risqué. Il faut s’assurer de bien clarifier leur niveau d’autorité. En outre, tu devrais idéalement diriger tes employés vers les deux derniers niveaux d’autorité. Ça me fait penser : j’ai trouvé un site Internet de Dan Rockwell qui a décrit 12 choses à dire pour éviter une délégation inversée. Veux-tu en entendre quelques-unes ?
Roger : Bien sûr. Comme tu le sais, j’ai parfois du mal à ne pas effectuer le travail à la place de mes employés. Ça pourrait m’être utile !
Roxanne : Écoute bien !
- « Quelle est la prochaine étape que vous pouvez prendre ? » Utilise « vous », pas « nous ».
- « Je veux que ce soit un effort d’équipe. Quelle contribution pouvez-vous apporter ? »
- « Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit lorsque vous pensez prendre cette responsabilité ? »
- « Vous devez assumer l’entière responsabilité. La diviser en morceaux crée plus de complexité. » Donc, c’est à utiliser uniquement lorsque les gens essaient de te transférer une partie de la tâche.
Roger : Ce sont des trucs géniaux.
Roxanne : Ce que je trouve utile, c’est de dire aux gens que j’ai confiance en eux et en leur capacité à trouver une solution. Souvent, ça leur donne le petit coup de pouce nécessaire pour oser prendre des initiatives !