Le cinquième fondement
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Servez-vous le leadership ni trop chaud ni trop froid ?
« Allez vers les gens. Vivez avec eux. Apprenez d’eux. Aimez-les. Débutez avec ce qu’ils savent. Avec les meilleurs leaders, lorsque le travail est terminé, la tâche accomplie, les gens diront : « Nous l’avons fait nous-mêmes.« » – Lao Tzu
« Pour diriger les gens, marchez derrière eux. » – Lao Tzu
Comment aimez-vous votre gruau ? Chaud ? Froid ? Tiède ? Tout comme il y avait un gruau parfaitement réchauffé et un lit confortable pour Boucle d’or dans la fable du 19e siècle Boucle d’or et les trois ours, il y a aussi une quantité « parfaite » de leadership à offrir aux autres. Si nous considérons le leadership comme une combinaison de soutien et de direction, les leaders doivent trouver le juste équilibre entre ces deux comportements. Trop de soutien et d’encouragements peuvent être étouffants, mais pas assez peuvent être décourageants et démotivants. De même, trop de directives et d’ordres peuvent amener les gens à se sentir dévalorisés. En revanche, pas assez de direction et de clarification des attentes peuvent faire en sorte qu’ils se sentent perdus.
Les approches classiques du leadership, comme la grille de leadership de Robert Blake et Jane Mouton, préconisent que les leaders offrent un soutien et une direction substantiels à tous les membres de leur équipe. Les adeptes de ce modèle estiment que les meilleurs leaders offrent un soutien considérable et fournissent des directives importantes à leur équipe. Ce style maximaliste se distingue nettement des trois autres styles :
- L’approche minimaliste (« Laisse-les travailler sans tracas ») à la délégation, qui offre peu d’encouragements ou de direction aux membres de l’équipe.
- L’approche du club social (« Je suis là pour vous soutenir »), qui met l’accent sur la relation au détriment de l’accomplissement du travail.
- Le style de commandement et de contrôle, dans lequel le leader informe les membres de l’équipe du travail à faire en donnant des instructions précises sur la façon de le réaliser.
Remarquez bien que chaque style est approprié selon les circonstances. Par exemple, dans un cas d’urgence, le modèle de commandement et de contrôle est requis. Cela dit, si Roger délègue du travail à tous les membres de son équipe de la même façon, certains pourront ne pas savoir quoi faire et d’autres ne se sentiront pas motivés par cette délégation. Pour reprendre la métaphore, le gruau peut être trop chaud ou trop froid en fonction des attentes, des goûts et des besoins des collaborateurs.
Fait intéressant selon Paul Hersey et Ken Blanchard : les jeunes et les nouveaux leaders ont tendance à utiliser le style maximaliste parce qu’ils craignent que les autres aient l’impression qu’ils manquent de leadership s’ils ne fournissent pas beaucoup de direction et de soutien. Malheureusement, lorsque ce style maximaliste est utilisé dans toutes les circonstances, il devient super démotivant. Les collaborateurs voient leur leader comme autoritaire et bien trop présent. Comme le dit Ken Blanchard : « Trop de coaching tue le coaching ! » Le leader qui utilise le style maximaliste dans toutes les situations se retrouve alors à coacher inadéquatement les collaborateurs dont le niveau de développement est soit très faible (débutant enthousiaste), soit très élevé (expert chevronné et efficace). Ainsi, contrairement à la grille de leadership de Robert Blake et Jane Mouton, le style maximaliste n’est pas universellement approprié. Que faire alors ?
Eh bien, commençons par considérer le point de vue du psychiatre Dr William Glasser : nous ne devrions jamais faire pour les autres ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes. Faire autrement serait comme les infantiliser ou leur dire que nous pensons qu’ils sont incapables de faire ce qu’ils doivent faire. Ceci ne leur enseignerait jamais comment faire quelque chose et ne les aiderait pas à développer leur confiance en soi. Par exemple, si Roxanne aide toujours Roger à résoudre ses problèmes interpersonnels, il n’apprendra jamais à les résoudre par lui-même. Il ne passerait pas de la phase dépendante à la phase indépendante (et finalement à la phase interdépendante). Elle ne lui rendrait pas service en l’aidant constamment. Maintenant, imaginez si Roxanne commençait à inciter Roger à réfléchir à ses problèmes en posant des questions sur ce qu’il veut dans ces situations. Cela pourrait le pousser à prendre en main ses problèmes et à les résoudre peu à peu par lui-même.
La théorie du leadership situationnel de Ken Blanchard s’inscrit également dans ce principe : les leaders doivent offrir autant de soutien et de direction que ce dont ont besoin les membres de l’équipe pour une tâche particulière. Cela signifie que les leaders doivent adapter leur style de leadership non seulement pour chaque employé, mais aussi pour chaque tâche. Selon Ken Blanchard, « n’importe quel style peut être efficace ou inefficace selon le degré de maturité professionnelle des collaborateurs. Le problème le plus fréquent est le comportement stéréotypé du gérant qui répond de la même façon en toutes circonstances ». Également, Roger pourrait être super compétent et motivé pour exécuter la tâche A, mais il pourrait ne rien savoir sur l’exécution de la tâche B. Quand il s’agit de leadership, une taille ne convient pas à tous !
Pour utiliser le modèle de Ken Blanchard, les leaders doivent suivre ce processus :
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Identifier la tâche que l’employé doit accomplir.
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Déterminer le niveau de compétence de l’employé pour cette tâche.
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Sait-il quoi faire et comment le faire ?
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Est-il capable d’accomplir la tâche sans direction ?
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Aura-t-il besoin de rétroaction et d’une orientation constante ?
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Déterminer son niveau de motivation pour cette tâche.
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Est-il enthousiaste et motivé ?
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A-t-il besoin que vous soyez sa pom-pom girl et sa source active de soutien ?
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En fonction des réponses aux questions 2 et 3, identifier son niveau de compétence.
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Niveau 1 – faible compétence, faible motivation
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Niveau 2 – compétence assez faible, mais motivé pour effectuer le travail
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Niveau 3 – assez compétent, mais peu motivé
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Niveau 4 – super compétent et super motivé
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Déterminer le style à adopter. Conformément à l’idée que vous ne devriez fournir à vos collaborateurs que ce qu’ils peuvent fournir pour eux-mêmes :
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les collaborateurs au niveau 1 devraient obtenir la dose maximale de direction et de soutien (le style maximaliste) ;
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ceux au niveau 2 devraient recevoir beaucoup d’orientation et de direction, mais très peu d’encouragements externes puisqu’ils sont motivés (le style de commandement) ;
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les collaborateurs qui se situent au niveau 3 sont à l’inverse du niveau 2, ils devraient donc recevoir beaucoup de soutien, mais peu de direction puisqu’ils savent quoi faire, mais sont découragés d’une certaine façon (l’approche du club social) ;
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les collaborateurs les plus développés, ceux au niveau 4, auraient besoin de très peu d’orientation et de soutien : la délégation (l’approche minimaliste) est de mise.
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Discuter avec l’employé du style qui sera utilisé. Ceci permettra de moduler ses attentes et de vous conforter dans votre choix de style. Ceci pourrait aussi ouvrir aux discussions qui amélioreront la relation ainsi que la satisfaction des parties !
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Développer les collaborateurs et, donc, diminuer graduellement le niveau de direction et de soutien. Espérons qu’en tant que leader, vous aiderez vos collaborateurs à développer leurs compétences et leur automotivation pour toutes leurs tâches afin qu’ils puissent devenir des indépendants à haut fonctionnement (niveau 4). Comment pouvez-vous vous y prendre ? Tout d’abord, vous devez offrir le bon niveau de leadership en fonction du niveau de compétence et de motivation de vos collaborateurs. Deuxièmement, vous devez (a) donner aux collaborateurs une responsabilité croissante et une indépendance au fur et à mesure qu’ils deviennent plus compétents et (b) réduire la quantité d’encouragements et de soutien que vous offrez au fur et à mesure que leur motivation croît.
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Intervenir lorsque des baisses dans l’un ou l’autre de ces ascenseurs sont constatées. Agissez immédiatement pour soutenir vos collaborateurs en choisissant un style qui est assez proche du style que vous utilisiez préalablement. Il est important d’éviter de changer radicalement votre style de leadership, car, le plus souvent, cela est interprété négativement.
Ainsi, contrairement au modèle de Robert Blake et de Jane Mouton, le leadership situationnel suggère que le style maximaliste ne convient qu’avec des collaborateurs « novices » qui se situent au niveau 1. Pour les collaborateurs « modèles », ceux qui sont à la fois compétents et motivés, le style maximaliste serait excessif, décourageant, voire insultant ! Vous devez donc déléguer et lâcher prise avec les collaborateurs au niveau 4, c’est-à-dire contrôler votre besoin d’intervenir dans leur travail et d’être constamment présent.
En passant, connaître ce modèle de leadership est important, même en tant qu’employé. Cela vous aidera à comprendre et à influencer la façon dont votre patron vous dirige. Cela vous encouragera à développer vos compétences et votre motivation personnelle afin que votre leader puisse simplement vous déléguer du travail (ce qui vous apportera plus d’influence et d’autonomie). De plus, connaître le leadership vous aidera à développer vos propres compétences en leadership. Parfois, en tant qu’employé, vous devez aider d’autres employés à effectuer leur travail (lorsqu’il y a de nouveaux employés ou lorsque vous êtes superviseur par intérim).
Une façon utile d’imaginer le niveau de développement des collaborateurs est de considérer que chacun d’entre eux possède deux ascenseurs pour chaque tâche – un pour leur niveau d’automotivation et un pour leur niveau de compétence.
À quel étage se situe son ascenseur d’automotivation ? |
À quel étage se situe son ascenseur de compétence ? |
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Super automotivé. Offre du soutien et des encouragements à autrui. |
3 |
Super compétent. Peut développer et diriger le travail d’autrui. |
Très automotivé. Aucune motivation externe nécessaire. |
2 |
Très compétent. Peut réaliser le travail sans aide. |
Généralement automotivé. A besoin de soutien et d’encouragements externes sur une base occasionnelle. |
1 |
Généralement compétent. Peut réaliser le travail avec très peu d’aide.
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Peu automotivé. Beaucoup de soutien et d’encouragements nécessaires, mais pas d’une façon constante. |
R |
Peu compétent. Peut réaliser le travail avec de la rétroaction continue. |
Zéro automotivation. Soutien et encouragements maximaux et constants nécessaires. |
SS |
Pas du tout compétent. A besoin de beaucoup de directions précises (quoi faire, comment faire, etc.). |
Quand un employé se trouve au dernier étage des deux ascenseurs, il peut s’automotiver entièrement sans devoir être encouragé et il est tellement compétent qu’il pourrait enseigner aux autres comment effectuer le travail. Comme vous pouvez l’imaginer, vous voudrez simplement déléguer du travail à cet employé plutôt que le surveiller étroitement ou le soutenir. Toutefois, si l’employé se trouve au sous-sol pour les deux ascenseurs, il est totalement démotivé et incapable de faire ses tâches sans surveillance constante. Donc, vous devrez essayer de fournir une grande direction et des encouragements à ce collaborateur. Si les deux ascenseurs d’automotivation et de compétence sont entre ces deux étages, disons à l’étage 1, vous devrez fournir un peu de direction et d’encouragements. En fin de compte, le but est que vos collaborateurs deviennent plus autonomes et atteignent l’étage 3 pour les deux ascenseurs.
Votre défi
Nous vous invitons à réfléchir aux styles de leadership mentionnés ci-dessus. Nous avons tous des préférences quant à la façon d’être encadré et de pratiquer le leadership. Nous avons tendance à utiliser le style de leadership que nous préférons. Par exemple, si Roger préfère avoir un leader qui lui délègue du travail, parce qu’il sait quoi faire et comment maintenir sa motivation, il aura tendance à toujours utiliser cette approche avec ses propres collaborateurs. Oups ! Comme vous l’avez appris, il faut utiliser un style en fonction du niveau de compétence et de motivation des collaborateurs !
Répondez aux questions suivantes dans votre journal d’apprentissage :
- Parmi les quatre styles, lequel préféreriez-vous que votre leader adopte ? Pourquoi ?
- Quel style utiliseriez-vous pour encadrer votre équipe ? Pourquoi ?
- Quelle est la flexibilité de votre leadership (c’est–à–dire votre capacité à varier votre style selon la situation) ? Si vous deviez évaluer votre niveau d’adaptabilité sur une échelle de 1 à 10, quel score vous donneriez-vous ? Pourquoi ?
- Quelle est l’efficacité de votre style de leadership ? En d’autres termes, dans quelle mesure (sur une échelle de 1 à 10) avez-vous tendance à choisir le style de leadership qui correspond le mieux au niveau de développement des membres de votre équipe ? Donnez un exemple de la façon dont vous adaptez votre style de leadership d’une manière qui répond aux besoins des employés.
- Êtes-vous un leader qui développe beaucoup ses collaborateurs ? En d’autres termes, dans quelle mesure (sur une échelle de 1 à 10) essayez-vous d’accroître le niveau de compétence et d’automotivation des membres de votre équipe ? Dans quelle mesure est-ce un défi pour vous lorsque (a) votre équipe se porte bien et que vous devez réduire votre implication et lorsque (b) votre équipe commence à faiblir et que vous devez augmenter votre implication ?
- En tant que membre d’équipe, que faites-vous pour améliorer activement votre niveau de compétence et d’automotivation afin que votre leader puisse appliquer un style de leadership minimaliste (délégation) ? Avez-vous déjà parlé avec votre leader de son style de leadership en fonction de vos capacités, vos besoins et vos attentes ?
Réflexion
Répondez aux questions suivantes dans votre journal d’apprentissage.
- Quelles sont les forces et les faiblesses possibles de vos préférences en matière de leadership – à la fois pour la manière dont vous êtes dirigé et pour la manière dont vous dirigez les autres ? Que pouvez-vous faire pour contrer vos faiblesses ?
- Quels sont les défis possibles que votre leadership pourrait présenter à l’avenir ?
- Comment le leader idéal « met-il en valeur » son leadership ?
- Vous voir confier un travail est un signe de la confiance de votre leader en vos capacités. Cependant, certains salariés se sentent abandonnés par les leaders qui se contentent de déléguer le travail. Ils veulent que leur leader soit leur cheerleader, leur motivateur et leur bâtisseur de confiance. De plus, ils pourraient croire que la délégation signale l’absence de leadership. Qu’est-ce que cela dit sur leur niveau de développement ? Comment les leaders devraient-ils répondre à de telles attentes ?
- Comment les employés peuvent-ils évoluer vers le niveau de développement 4 et aider leur leader à choisir un style de leadership adapté à leur niveau de développement ?
Plan d’action
Dans votre journal d’apprentissage, décrivez trois actions spécifiques que vous entreprendrez dès maintenant pour (a) développer votre propre style de leadership, pour (b) vous assurer qu’il convient à vous et aux autres, et pour (c) devenir plus compétent et motivé en tant que collaborateur.
Roger : Quand mon patron est revenu d’une formation sur le leadership, il a commencé à flâner autour de mon bureau, tellement que ça a eu pour effet de changer ma façon de travailler. Donc, je lui ai demandé pourquoi il faisait ça, et il m’a répondu qu’il avait appris l’importance d’être accessible par le Management by Walking Around (MBWA), ce qui pourrait être traduit par « la gestion en marchant aux alentours », donc le style maximaliste. C’est donc ce qu’il faisait. Il ne réalisait pas que son MBWA était NÀMT (nuisible à mon travail). Je me sentais surveillé, et sa présence me déconcentrait. J’avais l’impression qu’il n’avait pas confiance en moi pour effectuer mon travail. Je voulais qu’il gère, mais en marchant plus loin ! Finalement, je l’ai convaincu de revenir à sa manière habituelle de gérer : le MBCD, Management by Concentrated Desk Time, c’est-à-dire la gestion par exception (me laisser venir le voir si j’ai des questions), donc le style minimaliste. Je lui ai dit que je lui ferais savoir si j’avais besoin de son aide. Ça a bien fonctionné pour lui et moi.
Roxanne : Je suppose qu’il n’a pas réalisé qu’il était impossible de simplement appliquer une technique en pensant que ça fonctionnerait pour tout le monde.
Roger : Eh bien, il est introverti, et on lui a dit que les introvertis devraient cesser d’utiliser le MBCD et commencer à faire ce que les extravertis ont tendance à faire (le MBWA). Mais j’avais l’impression qu’il faisait du gardiennage. En fait, c’était un peu envahissant, mais j’ai négocié un arrangement plus acceptable pour nous deux.
Roxanne : Négocié ?
Roger : Bien, c’était une discussion. Tu sais, parfois les gens oublient que les collaborateurs, surtout ceux qui sont proactifs et exceptionnels comme moi…
Roxanne : Hum…
Roger : …ont aussi la responsabilité de gérer leur leader. Les bons collaborateurs prennent une certaine initiative pour clarifier les attentes, les niveaux d’autorité, quand ils doivent rencontrer leur leader, la négociation des ressources et des outils dont ils ont besoin pour faire un bon travail, etc. Ils n’attendent pas passivement d’être encadrés.
Roxanne : Je suis d’accord avec toi ! Mes meilleurs collaborateurs sont proactifs et positifs dans leurs interactions avec moi. Ils sont « faciles » à leader. Ils savent quoi faire et peuvent faire les choses sans intervention ou soutien. Dans le passé, j’ai essayé le style maximaliste, pour tout te dire. J’ai dû apprendre à avoir confiance en mon équipe, la laisser apprendre de ses erreurs et l’aider à atteindre ses objectifs pour ensuite célébrer ses succès. Il a fallu des essais et des rectifications et beaucoup de travail avec mon équipe pour m’assurer que je n’étais pas trop présente, mais pas trop absente non plus. C’était une question d’équilibre – j’étais assez déséquilibrée au début –, mais c’est devenu une seconde nature après un certain temps.